Depuis la Révolution française, le royalisme participe à la vie politique de multiples manières, selon les divers courants idéologiques qui le constituent. L’un d’entre eux, la Nouvelle Action royaliste, a été créé voici cinquante ans. Ce mouvement, qui publie le bimensuel “Royaliste”, a souvent voté à gauche sans se reconnaître dans la gauche. C’est un paradoxe que la NAR assume volontiers et qu’elle explique par l’histoire, non moins paradoxale, de l’idée monarchique en France depuis deux siècles.

 

Il est impossible de comprendre l’histoire de la France contemporaine et les débats qui scandent notre vie politique sans faire référence à ce qui, dans le passé monarchique, se prolonge dans notre présent. L’histoire de l’Etat commence en 987 avec l’élection d’Hugues Capet. L’organisation communale prend force au XIIe siècle avec l’appui du pouvoir royal. La laïcité s’esquisse avec Philippe Le Bel qui organise en 1303 une opération de vive force contre le Pape. Le principe de l’équilibre européen, fondamental pour notre politique étrangère, est l’œuvre toujours reprise des rois capétiens. Le droit du sol a été affirmé par le Parlement de Paris en 1517. Nous devons à la Restauration l’institution du parlementarisme et la structuration du débat politique entre la droite et la gauche. Notre Constitution, en 1958, a repris de la royauté française la conception d’un chef de l’Etat arbitral, garant de l’unité et de l’indépendance de la nation.

Ces résultats, jamais définitifs, sont l’effet de guerres civiles, de révoltes sociales, de défaites militaires, de révolutions mais aussi d’une quête du bien commun où figure la liberté, la justice et la paix ; ils procèdent d’un idéal de la res publica qui est partagé par l’Etat monarchique et royal sous ses différentes formes et par les démocraties parlementaires depuis 1871. Dans les régimes monarchiques, il n’y a pas de parti royaliste – sauf dans les périodes de guerres civiles où l’on voit se rassembler les défenseurs de l’Etat royal et des principes de la res publica. C’est ainsi que se constitue pendant les guerres de Religion le “parti des Politiques” alliant des catholiques et des protestants qui veulent refaire l’unité du royaume autour de l’État libéré des factions religieuses – et plus particulièrement de la Ligue ultra-catholique. Ce parti de l’unité d’une France souveraine aura de nombreux héritiers.

La Révolution française place la question de l’autorité royale dans sa relation à la nation qui affirme soudain sa souveraineté. A partir de ce moment, les royalistes participent à tous les conflits politiques et à tous les débats fondamentaux – mais dans des camps irréductiblement opposés.  Dès 1789, le royalisme contre-révolutionnaire, défenseur de l’absolutisme, est récusé par les monarchiens et les monarchistes constitutionnels qui veulent une Constitution associant le pouvoir royal et la souveraineté nationale. Après la chute du Premier Empire, les ultra-royalistes s’opposent aux monarchistes libéraux et c’est de leur conflit que naîtra l’institution parlementaire. L’échec des ultras à la fin du règne de Charles X provoque la Révolution de 1830 et l’instauration de la “monarchie tricolore” incarnée par Louis-Philippe, le “roi-citoyen” qui combattit à Valmy et Jemmapes. Sous la Monarchie de Juillet, le légitimisme nostalgique et revanchard s’oppose à l’orléanisme qui vise la réconciliation nationale, assure les libertés publiques, maintient une équilibre pacifique en Europe…mais néglige la révolte sociale alors qu’une fraction des légitimistes se soucie effectivement de la misère ouvrière et des moyens d’y remédier. De ce souci naîtra le catholicisme royaliste et social, dont l’influence est trop souvent négligée. Après l’effondrement du Second Empire, ce sont les orléanistes qui conçoivent les institutions de la IIIe République, dans l’attente d’un roi qui n’est pas venu – le comte de Chambord – puis se perdent dans le conservatisme tandis que le légitimisme disparaît faute de prétendant.

Contre le monarchisme libéral qui prédomine tout au long du 19e siècle, un monarchisme nationaliste, papiste, xénophobe, violemment antisémite, s’organise sous l’égide de l’Action française peu avant 1914 dans la haine de la République et de la démocratie. Condamnée par le pape en 1926 et par le chef de la Maison de France en 1937, l’Action française soutient passionnément Pétain entre 1940 et 1944 alors que de très nombreux royalistes s’engagent dans la Résistance sous les ordres du général de Gaulle qui, comme le général Leclerc de Hauteclocque, est issu d’une tradition catholique et monarchiste. C’est autour du fondateur de la Ve République que se regroupent les gaullo-royalistes qui souhaitent que le comte de Paris, chef de la Maison de France, puisse se faire élire à la présidence de la République dès lors que le Général ne se représenterait pas en 1965.

Selon le clivage entre la droite et la gauche qui se constitue après 1814, les tendances royalistes connaissent des déplacements aussi complexes que les tendances républicanistes et socialistes. Les monarchiens sont à gauche par rapport aux royalistes contre-révolutionnaires mais siègent à droite à l’Assemblée nationale pendant la Constituante. Sous la Restauration, les libéraux sont à la gauche des ultras et l’on voit se constituer sous la Monarchie de Juillet une gauche dynastique sous l’égide d’Odilon Barrot, alliée au centre-gauche qui dirige Adolphe Thiers. Les monarchistes libéraux opposés au Second empire sont rejetés vers la droite dans les premières assemblées de la IIIe République avant de disparaître de la scène parlementaire. Créée en 1908, l’Action française s’installe à l’extrême droite et y reste fixée.

La Nouvelle Action royaliste (NAR) naît en 1971 en rupture avec les héritiers de l’Action française, d’abord sous la forme de la Nouvelle Action française (NAF) abusivement désignée par la presse comme “mao-maurrassienne” et de manière plus précise comme le mouvement des “gauchistes du roi”. La NAF procède à l’éradication du maurrassisme concrétisée par le changement de nom du journal, “Royaliste”, et du mouvement. Quand la NAR se prononce en faveur de François Mitterrand en 1981, la presse prend l’habitude d’évoquer un “royalisme de gauche”. La Nouvelle Action royaliste n’a jamais accepté cette définition pour trois raisons : elle souhaite dépasser le clivage entre la droite et la gauche sur le mode gaullien ; elle observe sans s’y reconnaître les mutations profondes qui marquent les forces politiques de chacun des deux camps ; elle ne peut s’identifier aux traits dominants qu’elle croit pouvoir repérer dans la gauche.

Après l’élection présidentielle de 1974, où elle présente un candidat, la Nouvelle Action royaliste prend acte de la mort du gauchisme et renforce ses liens avec les gaullistes qui refusent l’alliance avec Valéry Giscard d’Estaing. Face à la “bande des quatre” partis dominants, il s’agit de trouver la voie d’un rassemblement patriotique. C’est cet objectif commun aux gaullistes de gauche et aux royalistes de la NAR qui est poursuivi sans succès pendant les deux septennats mitterrandiens et qui est repris en 2001 lors du lancement du Pôle républicain auquel la NAR participe activement. L’échec de Jean-Pierre Chevènement  – qui se rallie aux socialistes pour les législatives de 2002 – laisse en latence la reconstitution d’un “parti des Politiques” au-delà de la mouvance des groupes réputés “souverainistes”.

Au fur et à mesure qu’elle précise ses positions, la Nouvelle Action royaliste marque ses distances, plus ou moins grandes, avec les partis dominants. Fidèle au dirigisme mis en œuvre à la Libération, la NAR est hostile au libéralisme économique esquissé par les giscardiens et repris après 1981 par les chiraquiens ; logique, elle dénonce avec virulence le “tournant de la rigueur” en 1983. Dans la guerre des courants au sein du Parti socialiste, elle appuie explicitement Jean-Pierre Chevènement, prend parti pour les mitterrandiens contre la “deuxième gauche” rocardienne de 1981 à 1994, dénonce violemment la dérive de gouvernement vers le néo-libéralisme. A partir du moment où le Front national intervient de façon significative sur le terrain politique, la NAR participe activement aux collectifs de lutte contre la xénophobie et à plusieurs associations de jeunes issus de l’immigration. Par ailleurs, ses dirigeants sont dans le carré de tête de la grande manifestation laïque de janvier 1995.

Somme toute, la Nouvelle Action royaliste n’a jamais participé aux campagnes des formations de droite – hostile à la loi Savary, elle n’appelle pas à participer aux manifestations pour “l’école libre” – alors qu’elle participe aux batailles de la gauche et appelle encore à voter pour François Hollande en 2012. Il est cependant difficile de classer le NAR à gauche en raison du caractère composite de ses références et de ses refus intellectuels. Hostile aux versions soviétiques et chinoises du marxisme-léninisme pendant la Guerre froide – sans tenir les communistes français pour des ennemis de l’intérieur -, elle récuse non moins fermement le libéralisme économique. Sa conception du Politique est aristotélicienne, elle puise dans Blaise Pascal mais ignore Bossuet, elle lit Chateaubriand plus que Tocqueville, elle se réclame de Georges Bernanos et demeure fidèle à Maurice Clavel qui conjugua le royalisme, le gaullisme et le gauchisme. Dans le domaine historiographique, elle se réfère à Blandine Kriegel pour l’histoire de la République avant 1789 et à Jean-Christian Petitfils pour ses biographies et pour son Histoire de la France, elle étudie la période révolutionnaire avec François Furet puis avec ses disciples et dialogue avec plusieurs autres de ses historiens, elle se réclame de Jacques Bainville et accueille ses disciples pour l’examen des relations internationales. En économie, elle se situe dans la ligne hétérodoxe de Keynes, de François Perroux, de René Passet, de Jacques Sapir. Elle a reconnu sa source juive avec Raphaël Draï et dans l’ordre de la philosophe politique elle se réfère à Marcel Gauchet et à Bernard Bourdin. Elle a appris l’anthropologie avec Georges Balandier, la laïcité avec Emile Poulat, la stratégie nucléaire avec le Général Gallois, théoricien de l’arme nucléaire. Elle a noué des liens fraternels avec Régis Debray. Loin des doctrines closes, elle est du côté de ceux qui développent une pensée novatrice, reliée à la culture européenne.

La Nouvelle Action royaliste est d’autant plus difficile à classer qu’elle utilise le lexique de la droite la plus traditionnelle quand elle défend le principe de légitimité, quand elle distingue le pouvoir et l’autorité, quand elle invoque l’indépendance nationale – tout en défendant avec la gauche classique la justice sociale, le droit du sol, la laïcité et la souveraineté populaire – tous concepts qu’elle replace dans leur perspective historique. Cependant, au fil de ses dialogues avec les communistes et les socialistes, la NAR a mis en évidence un point majeur de désaccord qui porte sur l’État, et plus précisément sur la fonction gouvernementale. Dans les deux premières assemblées révolutionnaires, l’aile gauche se définit dans l’opposition au pouvoir ministériel et rêve d’une assemblée qui serait pleinement représentative et pleinement souveraine. Cette hostilité au pouvoir exécutif est caractéristique de la gauche républicaniste au XIXe siècle et s’exprime pleinement dans le Parti radical puis dans les diverses tendances de la gauche au début de la Ve République : l’idée est de parvenir à l’élection d’une assemblée représentative du Peuple, réputé tout entier à gauche, qui ferait du pouvoir exécutif son commis. Au contraire, la Nouvelle Action royaliste se réfère à la lettre de la Constitution gaullienne qui définit une présidence arbitrale, dans laquelle le gouvernement responsable devant l’Assemblée nationale « détermine et conduit la politique de la Nation”. Lorsque la NAR décide de voter pour François Mitterrand en 1981, elle le fait pour des raisons programmatiques – elle souhaite une politique de nationalisations et de décentralisation – mais aussi avec l’espoir que la gauche socialiste et communiste s’intégrera dans le jeu institutionnel et acceptera la “monarchie républicaine”. C’est dans cet espoir qu’elle dénonce, entre 1981 et 1994, les excès du culte mitterrandien de la personnalité tout en défendant le principe de la cohabitation en 1986 et en 1993. Puis elle s’oppose au quinquennat, qui a effectivement détruit toute possibilité de relation équilibrée entre l’Elysée et Matignon au profit exclusif d’un président devenu un super Premier ministre. Dans le débat institutionnel, la NAR est à droite et s’affirme dans la ligne du libéralisme politique français qui veut établir une relation équilibrée entre le chef de l’Etat arbitral, le Gouvernement et le Parlement. Cette défense de la monarchie républicaine, démocratique et parlementaire, se relie logiquement à une conception de la République qui procède d’Aristote : la République n’est pas un régime mais l’idéal de la raison politique, celui du gouvernement selon l’intérêt général, dans le respect des principes de liberté et d’égalité. C’est selon cette définition que la Nouvelle Action royaliste s’affirme républicaine et respecte la Déclaration de 1789, le Préambule de 1946, le drapeau tricolore et la devise de la République. Pour elle, il n’y a pas de légitimité hors des principes inscrits dans notre Bloc de constitutionnalité.

Cette conception résolument droitière de l’Etat s’inspire de la politique gaullienne : fonder l’Etat dans son indépendance, assurer la puissance de gouverner, consulter régulièrement le peuple souverain par référendum afin de réaliser les révolutions nécessaires. La Nouvelle Action royaliste se situe dans la dynamique des révolutions de 1789, de 1830 et de 1944-1946. Reprendre le programme du Conseil national de la Résistance consiste à établir une planification démocratique désormais soumise à l’impératif écologique, nationaliser le crédit et les secteurs-clés, contrôler les mouvements internationaux de capitaux, protéger l’activité économique nationale et, par conséquent, retrouver notre souveraineté monétaire qui permettra, entre autres avantages, de relever les bas et moyens salaires en attendant la mise en œuvre, avec les partenaires sociaux, d’une politique de participation. La dénonciation des méfaits de l’euro et la critique radicale des organes de l’Union européenne ne permettent pas de classer la NAR parmi les groupes nationalistes : son ambition est celle d’une confédération européenne regroupant tous les Etats du continent, dans le prolongement de “l’Europe de l’Atlantique à l’Oural”.

Le projet de la NAR, ici très succinctement présenté, place ce mouvement dans la mouvance qui est en quête d’une figure nationale depuis la défection de Jean-Pierre Chevènement en 2002. C’est de cette mouvance, intellectuellement très solide, que naîtra tôt ou tard un nouveau parti des Politiques, aussi éloigné de la droite identitaire que de la gauche différentialiste, autrement dit un rassemblement explicitement gaullien capable d’accomplir les révolutions nécessaires – dès lors que la Constitution de la Ve République, rénovée, serait libérée de son carcan oligarchique.

La participation de la Nouvelle Action royaliste a un tel rassemblement ne saurait lui interdire d’expliquer que l’application littérale du texte constitutionnel – quant à l’arbitrage, à l’unité nationale, à la continuité de l’Etat, à l’équilibre des pouvoirs exécutif et législatif dans le souci de rehausser les droits du Parlement -, peut être réalisée par l’évolution de la monarchie élective à une monarchie royale, dès lors que le peuple français en formulerait le vœu par référendum. Si cette instauration démocratique avait lieu, la NAR annoncerait sa dissolution puisque, comme on le vérifie dans les monarchies européennes, il n’y a pas de parti du roi ou de la reine. J’imagine que les anciens militants royalistes qui arriveraient à se faire élire à l’Assemblée nationale irait siéger tantôt à droite, pour rénover le libéralisme politique, tantôt à gauche pour redonner au socialisme sa signification première.

Bertrand RENOUVIN

Directeur politique du bimensuel “Royaliste”

NB : Les lecteurs qui désireraient découvrir certains auteurs cités et vérifier ou approfondir mes affirmations peuvent utiliser mon blog :  https://bertrand-renouvin.fr

Article publié dans le numéro 7 de la revue Front populaire – Hiver 2021.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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