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Tous responsables ! Tous coupables ! Sauf l’oligarchie dans ses diverses composantes politique, affairiste et médiatique…

Avant de faire naufrage, François Bayrou avait accusé les “boomers” d’avoir profité du confort des Trente Glorieuses et d’avoir largement contribué à creuser les déficits publics en reportant le poids de la dette sur leurs enfants.

Son projet de réforme de l’assurance-chômage – encore une – faisait écho à la thématique cent fois martelée de la France paresseuse qu’il faudrait remettre au travail par restriction des droits aux allocations. Dans les médias, on entend dire qu’un chômeur “récidive” lorsqu’il retombe dans le chômage – comme s’il était un délinquant. Par extension, ceux qui reçoivent des aides sociales sont dénoncés comme des parasites évoluant dans un univers de fraude.

Alain Juppé est venu couronner ce festival de dénonciations en pointant la “responsabilité des électeurs” dans l’actuelle confusion parlementaire.

Une population livrée à l’esprit de jouissance et qui, de surcroît, vote mal : la classe dirigeante a bien du mérite, elle qui supporte cet écrasant fardeau et qui doit, pour l’alléger, imposer des sacrifices à ce peuple de cigales ! Seul problème, énoncé par Philippe Dessertine, expert parfaitement habillé et normé : “Personne n’a le courage de faire le sale boulot” pour désendetter le pays. On devine qu’il s’agirait d’une saignée à la manière grecque.

Confrontée au rejet massif des dirigeants politiques et à une nouvelle vague de colère sociale, le bloc oligarchique se défend par une mobilisation d’ampleur exceptionnelle, pour laquelle tous les médias sous contrôle affairiste agissent comme des officines de propagande. La tactique est grossière : il s’agit de créer un conflit de générations et de cultiver les préjugés et ressentiments qui pousseront les classes moyennes contre les classes populaires. La relance du problème de l’immigration – qui existe et qu’on laisse s’aggraver – permet d’aiguiser les tensions avec un parfait cynisme puisque le patronat a besoin d’une main- d’œuvre immigrée et surtout clandestine à très bas prix.

Malgré la puissance de ses moyens, la classe dirigeante fait l’objet d’un rejet croissant. Les trois-quarts des Français refusent le discours austéritaire qui consiste à imposer de nouveaux sacrifices à des groupes sociaux et à des classes sacrifiées depuis quarante ans. La France compte 5,5 millions de chômeurs. Un Français sur six ne mange pas à sa faim, sept millions de personnes reçoivent l’aide alimentaire et la précarité alimentaire touche 62% des jeunes de 18 à 24 ans. Le nombre des SDF (350 000) est en augmentation de 145% depuis 2012. Les deux-tiers des salariés se perçoivent entre un et deux smic : tel est le résultat de la politique d’allègement des cotisations patronales sur les salaires les plus proches du smic. Dans la fonction publique, objet de la vindicte patronale, la précarité touche 22% des agents. Quant au parasitisme, on rappellera que 35 à 50% des personnes qui pourraient bénéficier des aides sociales n’en font pas la demande.

Dans la catégorie fictive des “boomers”, on range tous ceux qui ont été sacrifiés au tournant de la rigueur depuis 1983, aux réductions de charges patronales depuis 1993, au mythe de l’équilibre budgétaire et à la “monnaie unique” depuis le début du siècle. Ce sont ces sacrifiés qu’on accuse d’égoïsme, selon la légende de la dette qu’ils feraient peser sur les épaules de leurs enfants. C’est oublier les résultats du travail accumulé par les générations d’après-guerre. C’est oublier que ces générations ont été dépossédées du capital collectif représenté par les entreprises du secteur nationalisé, lors des privatisations commencées par la droite en 1986 et dont la gauche, à sa suite, s’est rendue coupable. C’est cette dépossession, aggravée par les saccages résultant du néolibéralisme, qui va peser sur la tête des enfants et des petits-enfants des “boomers”. J’observe à ce propos que de nouvelles générations étaient dans la rue aux côtés des plus anciennes, le 18 septembre comme il y a deux ans lors des mobilisations contre la réforme des retraites. Tartuffe est en échec : la guerre des générations n’aura pas lieu.

Soyons sûrs, cependant, que Tartuffe se battra jusqu’au bout. Les concessions de l’oligarchie sont faites pour gagner du temps, dans l’attente de la solution politique qui permettra de préserver l’essentiel. Comme l’écrit Frédéric Farah dans une remarquable étude (1), l’Etat est devenu “le gardien de rentes acquises” dans une Union européenne vouée à la défense et à la promotion du capitalisme financier. Le démantèlement de la fiscalité sur la transmission des patrimoines est au programme et la volonté de détruire l’Etat social inspire toutes les “réformes” mises en œuvre depuis plusieurs décennies. Depuis 1995, le syndicalisme de résistance mène d’indispensables actions de retardement. Mais il faudrait une action politique résolue, dont la gauche se montre incapable, pour briser le parti des rentiers.

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1/ Frédéric Farah : “Une société d’héritiers : le nouveau terreau des inégalités françaises”, Elucid, 12 août 2025.

Editorial du numéro 1307 de « Royaliste » – 22 septembre 2025