Violence de la monnaie (1998)

Avr 20, 1998 | Union européenne

Encore une fois, ne nous laissons pas impressionner. On parle de l’euro comme d’une réalité, on vote des modifications au statut de la Banque de France, mais des questions essentielles n’ont pas été abordées, et rien de décisif n’a été fait.

Tout le monde, ou presque, nous assure du contraire ? Sans doute, mais il faut voir de quelle manière.

Comme toujours dans les affaires européennes, il est difficile de prendre l’exacte mesure d’enjeux qui font l’objet de déclarations solennelles, mais lourdes d’arrière-pensées et d’ambiguïtés volontaires. Les discours sur le changement de statut de notre banque centrale n’ont pas échappé à la règle, puisque nous avons entendu dire qu’il s’agissait d’un transfert de notre souveraineté nationale à l’Europe, ce qui est grave, alors que M. Strauss-Kahn déclarait à l’Assemblée nationale qu’il s’agissait d’un « petit projet de loi ». S’abuse-t-on ? Veut-on nous abuser ?

Le doute est permis. En attendant qu’il soit levé, observons que les explications données par les experts noient la question de la monnaie européenne dans un brouillard de plus en plus épais. D’un côté, on présent le « transfert » comme un abandon de souveraineté ; de l’autre, on continue de dire que la France va reconquérir un pouvoir de décision dans le domaine monétaire. Mais ces points de vue sont masqués par des affirmations péremptoires (l’euro se fera), et les formules magiques (sur le « passage » à la monnaie unique) par lesquelles on tente d’intimider les citoyens dubitatifs – vite rangés dans le dernier carré des « archaïques ».

Où est la vérité ? Partout et nulle part puisque les pays membres de l’Union européenne ne peuvent coexister qu’en cultivant l’ambigüité. Trois exemples, faute de pouvoir entrer ici dans les détails :

Le transfert de souveraineté à la Banque centrale européenne concerne l’émission de monnaie – gestion quantitative, et non politique monétaire – par un organisme composé d’un directoire nommé par les Etats et de gouverneurs de banques centrales nationales.

La Banque centrale européenne coopère avec le Système européen de banques centrales (SEBC) nationales, ce qui constitue un mélange un mélange d’union monétaire (intergouvernementale) et d’institution à vocation fédérale – cette vocation étant irréalisable.

Cette Banque centrale européenne est chargée de « maintenir la stabilité des prix », mais ce sont les ministres des Finances des Quinze qui définiront la politique de change. Le transfert de souveraineté porte donc sur des décisions en matière d’offre de monnaie, en vue d’un objectif (pas d’inflation !) déjà atteint, alors que les Etats continueront de décider de la valeur d’une monnaie (l’euro) qui n’est pas créée.

Les partisans de la « monnaie européenne » font l’impasse sur ces contradictions en affirmant que la dynamique collective permettra de les dépasser. C’est le contraire qui se produit. Pour avancer, on accumule des compromis entre les nations et, ce faisant, on multiplie les contradictions et les blocages jusqu’au point où l’on doit en rabattre sur ses prétentions.

Ainsi, on bavarde sur le « passage à la monnaie unique » alors que, en 2002, l’euro circulera (hypothétiquement) dans l’Europe des Quinze en même temps que les monnaies (la livre notamment) des pays qui ne participeront pas au système. Ainsi, les fameux « critères » qui permettraient d’entrer dans la monnaie unique se réduisent à un respect fanatique des limites du déficit budgétaire, alors que l’excès d’endettement de certains Etats est regardé avec une immense bienveillance.

Nous ne saurions nous résigner à cette situation, ni nous en réjouir :

Les eurocrates s’approchent du moment où ils s’apercevront qu’il n’y a pas de monnaie possible sans pouvoir politique souverain, pas d’institut d’émission monétaire qui ne soit fondé sur une légitimité politique, nationale ou impériale.

Les peuples européens savent déjà que la seule politique monétaire tangible est celle qui est dictée par la Bundesbank, selon ses propres intérêts, qui la conduisent à imposer une politique dé déflation qui interdit le développement économique et multiplie le nombre de chômeurs.

Au lieu du paradis monétaire annoncé, nous allons vers une conjonction de crises qui révèleront la nature violente de la monnaie.

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Editorial du numéro 706 de « Royaliste » – 1998.

 

 

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