Vers les épreuves

Mai 12, 2008 | Chemins et distances

Rien ne vaut un détour par l’étranger pour clarifier ses idées et impressions sur les affaires intérieures. Après huit jours en Asie centrale, il m’apparaît clairement que la partie est jouée et perdue pour l’ensemble du milieu dirigeant français. Longtemps, les oligarques nous ont impressionnés en se présentant comme des pragmatiques – les deux pieds sur le terrain et les mains dans le cambouis. Comme nous ne comprenions pas les « réformes », ils changeaient de propagandistes. Cela ne marche plus. Le peuple français ne vit pas au gré de la communication médiatique. Les intellectuels – pas leurs caricatures – débattent loin des querelles dérisoires qui s’étalent dans la presse officielle. Les journalistes – pas les chiens de garde – trouvent leur liberté et leurs lecteurs sur la Toile quand ils n’ont pas la chance de pouvoir écrire sur du papier libre.

Je ne revendique donc pas une lucidité supérieure, au nom d’expériences hors du commun. Si je prenais cette pose, si nous proclamions que « Royaliste » se bat seul contre tous, ce serait atroce parce que cela signifierait que notre combat est perdu. Au retour du Tadjikistan, écrivant dans un journal qui s’est toujours fait un peu partout en France et dans le monde, j’observe que nous sommes dans le mouvement de l’histoire nationale sans en tirer la moindre satisfaction. Pourquoi ?

S’il est vrai que toutes les fractions de l’oligarchie – de droite, de gauche, patronale, syndicale,médiatique – vivent dans la même bulle face à un peuple de salariés, de chômeurs, de lycéens, d’étudiants et de retraités en colère, nous sommes bel et bien dans une situation prérévolutionnaire. Dès lors, nous perdons notre temps, nous nous dissipons et nous sommes, tous, en danger.

Perte de temps. Quand je suis parti, le 20 avril, la crise alimentaire était au centre de l’actualité. Les pauvres ont faim ? Drôle de découverte. A Douchanbe l’été dernier, la hausse du prix du pain était déjà angoissante. C’est aujourd’hui une tragédie. Elle frappe d’autres pays, d’autres continents mais l’Asie centrale a subi de surcroît un effroyable hiver : nous ne savons pas encore combien il a fait de morts. Les pays riches, frappés par une crise de riches, devraient réorganiser complètement les relations économiques internationales. Ils ne le font pas. Ils ne le feront pas tant qu’ils n’y seront pas contraints par la pression populaire. C’est parce que les émeutes de la faim ont fait peur, en Afrique, à Haïti, que l’on s’est gravement penché sur le problème.

Et que de temps perdu à répondre des divagations élyséennes et gouvernementales alors qu’on s’interdit de critiquer les autorités françaises devant des étrangers ! Heureusement, les amis de la France font par eux-mêmes les distinctions nécessaires et, dans la plupart des cas, l’action quotidienne des diplomates, des soldats, des ingénieurs et des entrepreneurs français compense les errements et reniements des très hauts personnages. La tâche était tout de même plus facile, au temps de Dominique de Villepin et de Jacques Chirac…

Dissipation. A l’heure où j’écris, « Radio Nostalgie » célèbre Mai 1968 en diffusant 48 heures durant des documents sonores et des chansons de l’époque. Après huit jours passés à parler de la faim, du froid, de l’Union soviétique, de la guerre civile, ce récit « légendaire » comme ils disent à la radio, est proprement hallucinant. Voici des « anciens combattants » qui n’ont pas combattu. Des intellectuels sans œuvre – excellents charlatans. Des écologistes ennemis d’une politique de développement capable de transformer la nature pour le bien être des hommes. Des « humanitaires » méprisés ou détestés par les populations qu’ils sont censés sauver à cause de leur égocentrisme et de leurs trafics. Des féministes qui ont produit un discours absurde ou désastreux dans les sociétés où les femmes sont exposées quotidiennement à toutes les formes de violence.

Danger. Dans la rue le 1er Mai, on se rassure un peu et on espère que la dynamique des mobilisations l’emportera sur les prudences – le mot est faible – des directions syndicales. Mais on doit aussi envisager la réaction violente d’une oligarchie aux abois. Nous ne sommes plus en Mai 1968 : le risque de répression sanglante d’une révolte de grande ampleur ne saurait être exclu.

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Editorial du numéro 926 de « Royaliste » – 2008

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