Une note de Jacques Sapir : Mario Draghi ou le pompier pyromane (6 septembre 2012)

Sep 7, 2012 | Union européenne | 1 commentaire

L’annonce des mesures décidées par la BCE lors de la conférence de presse de ce jeudi 6 septembre ont favorablement influencé les marchés. Mais, cet enthousiasme sera de courte durée. Ces mesures ne peuvent cacher la victoire des thèses les plus dures de la Bundesbank. Loin de soulager la zone Euro dans la durée, elles ne peuvent apporter au mieux qu’un répit très temporaire. La crise de compétitivité et les forces de récession et de dépression vont continuer de s’étendre et leur effet se fera sentir d’ici à la seconde moitié du mois de novembre.

Quelles sont ces mesures.

La Président de la BCE, M. Mario Draghi, a annoncé la mise en place d’un dispositif d’intervention sur le marché secondaire des dettes souveraines, désigné sous le nom Outright Monetary Transactions (OMT). Ce dispositif prévoit la possibilité pour la BCE de racheter une quantité qualifiée « d’illimitée » de titres d’une maturité de 1 an à 3 ans mais sous les conditions suivantes :

(a)Le pays qui voudrait bénéficier de l’OMT doit en faire la demande et accepter la conditionnalité économique attachée au FESF/MES (programmes d’ajustements fiscaux et budgétaires) ou accepter un programme similaire dit « de précaution » (le Enhanced Conditions Credit Line) sous réserve que ce programme inclue la possibilité d’intervention du FESF/MES mais aussi leur supervision. En d’autres termes, tout pays demandant à bénéficier de l’OMT doit s’attendre à perdre une part non négligeable de sa souveraineté budgétaire et fiscale.

(b)Les opérations effectuées dans le cadre de l’OMT ne devront pas entraîner de hausse de la liquidité sur le marché. Elles seront accompagnées d’opérations de stérilisation de la liquidité. Cela signifie que la BCE s’engage à vendre des obligations privées pour un montant égal aux achats d’obligations publiques auxquels elle se livrerait dans le cadre de l’OMT.

 

Ces mesures apparaissent comme limitées et restrictives.

Elles sont limitées car elles ne s’adressent qu’au marché secondaire, et uniquement aux titres dont la maturité n’excède pas trois ans. De ce point de vue, il faut signaler le danger de voir l’endettement des pays de la zone Euro se déformer vers le court terme si ces pays veulent avoir l’espoir de bénéficier des opérations d’OMT.

Elles sont restrictives, car accompagnées non seulement d’une conditionnalité stricte en matière de politique d’ajustement fiscal et budgétaire, mais de plus elles doivent se faire à masse constante de liquidité. Or, en raison de la récession dont pâtit la zone Euro, les banques mais aussi les entreprises auront de plus en plus des besoins de financement qu’il faudra couvrir par des obligations. Dans les règles de la stérilisation, il faut donc s’attendre à ce que les taux d’intérêts se stabilisent pour la dette souveraine, mais augmentent sensiblement pour les agents privés. Ceci aura des conséquences très néfastes pour la croissance et conduira à amplifier la récession que nous connaissons déjà.

 

Ces mesures marquent une victoire de fait pour les thèses de la Bundesbank.

 

On constate qu’en dépit de ses rodomontades, Mario Draghi a été obligé de céder sur les deux points importants mis en avant ces derniers jours par les dirigeants de la Bundesbank.

 

D’une part, il accepte de lier les interventions de la BCE à une supervision des politiques fiscales et budgétaires point sur lequel la Bundesbank avait d’emblée mis l’accent. Cette supervision signifie l’accroissement et la généralisation des politiques d’ajustements d’ores et déjà menées en Grèce, au Portugal, en Irlande, en Espagne et en Italie, avec les résultats désastreux que l’on connaît, tant dans ses pays qu’à l’échelle de l’ensemble de la zone Euro. Or, ces politiques ont démontré leur inefficacité. Elles sont incapables de réduire significativement le déficit budgétaire. Mais ces politiques sont aussi nocives, provoquant une dépression économique accompagnée d’une crise sociale qui prend dans les pays qui les appliquent une tournure tragique.

 

D’autre part, en acceptant que les interventions de la BCE se fassent à liquidité constante (principe de stérilisation), Mario Draghi a cédé devant les plus dogmatiques des responsables monétaristes de la Bundesbank.

 

En dépit des discours triomphalistes que l’on peut entendre ici et là, ces mesures marquent une victoire claire et nette des thèses de la Bundesbank à la BCE.

Ces mesures seront inefficaces et même contre-productives.

Une fois que la satisfaction de voir la BCE bouger se sera dissipée, il faudra bien se rendre à l’évidence :

(1)La crise de compétitivité interne à la zone Euro, qui est en réalité la « mère » de la crise de la dette n’est absolument pas affectée par ces mesures. Pire, en contribuant à élever le coût de l’argent et en impliquant une aggravation de la pressions fiscale, ces mesures vont rendre encore plus difficile aux pays qui ont de sérieux problèmes de compétitivité la solution de cette crise.

(2)Ces mesures vont aggraver les politiques d’ajustements et enfoncer un peu plus la zone Euro dans la récession, voire dans la dépression, rendant impossible en dernière analyse l’ajustement pourtant recherché.

(3)Les marchés, d’ici à quelques semaines, vont comprendre que ces mesures ne règlent rien, et les investisseurs vont se retirer du marché des dettes de la zone Euro, considérant, non sans raisons, que la question de la solvabilité des entreprises et des pays n’est nullement réglée. De fait, la BCE sera contrainte d’acheter des quantités de plus en plus importantes de dettes souveraines, qui ne trouveront pas preneur, et pour respecter le principe de stérilisation, de prélever sur les compartiments privés du marché de plus en plus de liquidité, provoquant à terme une crise massive du financement des agents privés. Ceci viendra renforcer de manière considérable les pressions récessives et dépressives que l’on connaît dans de nombreuses économies.

Les mesures présentées par Mario Draghi perpétuent l’erreur fondamentale d’analyse au sujet de la crise de la zone Euro. En mettant l’accent sur la question de la liquidité, mais un accent il faut le dire fort contraint par les positions de la Bundesbank, on « oublie » la crise de solvabilité. Cet oubli est révélateur d’une question de fond : l’aveuglement quant à la crise de compétitivité relative que l’on connaît dans la zone Euro. En ne s’attaquant qu’aux symptômes et non à la cause de cette crise, la BCE contribue à la renforcer et nous prépare pour les mois qui viennent des effondrements économiques et sociaux qui mettront très vite à mal le dogme de « l’irréversibilité de l’Euro ».

L’incendie n’a pas été atteint. Il reprendre de plus bel avant la fin de cette année.

Jacques Sapir

CEMI-EHESS – septembre 2012.

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1 Commentaire

  1. vaclav olmac

    Vous avez raison de signaler cette décision historique de Mario Draghi.

    Comme le disait Jacques Bainville : « les banquiers gouvernent le monde ». Et il en est un qui vient de prendre le contrôle d’une bonne partie de l’Europe : le Président de la BCE. En quelque sorte, l’Europe vient de trouver son patron, son président de fait, peut-être son Empereur. L’Europe attendait son fédérateur, son despote éclairé, sa poigne de fer ; elle l’a trouvé. Certes, la route sera longue et elle est semée d’embûches mais Draghi a beaucoup d’atouts dans son jeu.

    Tout d’abord, il y a un consensus partout en Europe chez tous les responsables, tous les dirigeants, ils l’ont dit et répété : il faut continuer avec l’euro. Les économies des grands pays de l’eurozone ne convergent peut-être pas encore mais elles sont de plus en plus étroitement imbriquées. Plus aucuns dirigeants économiques ou politiques ne souhaitent revenir aux changes flottants, aux risques de change, à l’instabilité monétaire entre les grands pays de la zone euro. Ce serait ingérable et c’est en ce sens qu’ils disent que l’euro est irréversible.

    A partir de là, la seule route possible c’est celle de l’ajustement et de la convergence. Et Draghi s’est maintenant donné les moyens d’agiter la carotte et le bâton. Moi président de la BCE, je suis prêt à vous racheter vos dettes, oui mais, montrez-moi vos réformes ! C’est la ligne Merkel effectivement qui est une ligne médiane car en Allemagne il y a des banquiers extrémistes qui ne veulent entendre parler que de gros bâtons et de misérables carottes. Ces derniers peuvent poser problème mais Draghi a les moyens de les contourner car il a de nombreux alliés soit tous les gouvernements et responsables politiques européens ravis de lui refourguer la patate chaude de la dette. Il pourra compter sur eux notamment pour faire sauter le verrou de la création monétaire à liquidité constante qui n’est pas tenable en effet.

    La décision et maintenant l’existence politique de Draghi arrangent beaucoup de monde. Il sera désigné comme le sauveur de l’euro ou le méchant instigateur d’austérité et de réformes impopulaires, ce sera selon. Mais tant que le président de la BCE ne sera pas soumis à l’élection ou restera assez indépendant du politique, il sera solidement installé sur son roc et emmènera l’Europe là où il veut. La démocratie pure n’a jamais été à l’origine de construction politique solide. L’émergence de la fédération européenne a maintenant besoin de son moment « autocratique ». Si, par malheur, il n’advenait pas, la régression vers les divisions européennes d’avant 1945 ne sont pas à exclure tant l’anarchie, le désordre et le sauve-qui-peut égoïste formeront sa seule alternative.

    Ce sont les banquiers italiens du Moyen-âge qui ont lancé la Renaissance européenne. Souhaitons à Mario Draghi d’en être leur digne successeur !