Un voyage au Baloutchistan

Fév 14, 2010 | Chemins et distances

Dans l’unité d’une nation, on s’émerveille toujours de trouver une inépuisable diversité. Encore faut-il avoir le goût du voyage, le don des langues et une tranquille audace. Celui qui, possédant ces qualités, est assez sage pour ne pas se munir d’une kalachnikov et assez fort pour ingurgiter maints breuvages trouvera bien des bonheurs au pays des Baloutches.

C’est toujours la même histoire, mais de celle-ci on ne peut se lasser. Prenez n’importe quelle dictature de religieux à barbe, ou telle société totalitaire guidée par un tyran moustachu, et vous trouverez malgré eux des êtres qui résistent à la terreur et d’immenses domaines qui échappent à la normalisation. Même au plus noir du stalinisme, les peuples de l’Union soviétique ne furent pas réduits à l’état de masses robotisées. Et la République islamique d’Iran, malgré ses pasdarans, échappe à la volonté des mollahs. Pas seulement la jeunesse narguant le pouvoir depuis les souterrains (1) et les révoltés qui osent descendre dans la rue – mais le pays tout entier qui maintient sa profonde et belle diversité.

Preuve suffisante : le peuple baloutche qui vit pour partie au sein de l’Iran. Témoin digne de foi : Stéphane A. Dudoignon, qui a une connaissance savante et intime de la religion musulmane dans ses différentes expressions, du monde iranien, de l’Asie centrale dans toutes ses composantes grâce à sa pratique du persan, du russe, de l’ouzbek (2), du baloutche… Cette belle somme de savoirs condamne d’ordinaire les chercheurs français à l’obscurité car les milieux dirigeants parisiens persistent à ne pas voir que les routes de l’avenir, pour la France et pour l’Ouest européen, traversent les mondes turcs et iraniens qui se prolongent jusqu’à la frontière chinoise – et même au-delà.

Stéphane A. Dudoignon eut cependant son heure de notoriété quand il fut courtoisement alpagué au Baloutchistan, puis assigné à résidence en des circonstances et pour des motifs qu’il expose avec sérénité. Rentré à Paris, il se refusa à la gloire en déclinant l’invitation à paraître sur le plateau de Laurent Ruquier pour y jouer le rôle, rentable entre tous, de la victime des méchants. Ce sage préféra rester chez lui le temps qu’on l’oublie – quarante huit heures – et écrire pour une maison peu connue mais courageuse le récit de son « Voyage au pays des Baloutches » (3).

Pour épargner au lecteur toute hésitation sur la localisation du Baloutchistan, Stéphane A. Dudoignon lui offre une carte qui lui permet de se souvenir que cette province éloignée de Téhéran se situe au sud-ouest de l’Iran, jouxte le Pakistan, touche l’extrême pointe de l’Afghanistan et se trouve chaleureusement baignée par les eaux du golfe d’Oman.

C’est sur ces terres arides que vit un peuple vieux d’au moins mille ans, composé de tribus qui se sont appuyées sur l’Inde ou sur l’Iran jusqu’à ce qu’une partie du pays soit intégrée à l’empire Qadjar. Il se trouve que les Baloutches, comme les Kurdes et les Turkmènes iraniens, comme les Persans du Khorasan, sont sunnites. Or ces musulmans sont beaucoup moins bien traités par les chiites que les zoroastriens, les juifs et les chrétiens d’Iran qui peuvent quant à eux prier dans leurs temples, synagogues et églises à Téhéran – alors que les Baloutches et autres sunnites n’y disposent pas de la plus petite mosquée. Au Baloutchistan même, ces musulmans sont soumis à la pression de Téhéran, qui installe partout des fonctionnaires chiites et qui prive les sunnites de tout accès à l’université et à la fonction publique à cause de la part religieuse des examens et concours.

Parti visiter les madrasas sunnites, Stéphane A. Dudoignon a rencontré de grands érudits, avalé la poussière des pistes, bu des alcools bizarres, affronté divers dangers, refusé l’achat d’une Kalachnikov qui les eut aggravés, observé des pratiques magiques fort éloignées de ce que professent les musulmans, vécu somme toute ce qui est nié ou méprisé en haut lieu : la belle aventure de la recherche savante, périlleuse dès qu’on sort des sentiers battus.

***

(1) voir « Les Chats persans », film de Bahman Ghobadi (2009).

(2) Cf. sa traduction de l’ouzbek du roman de Tchulpân, « Nuit » (Editions Bleu autour).

(3) Stéphane A. Dudoignon, Voyage au pays des Baloutches (Iran, début du 20ème siècle), Editions Cartouche, 2009.

 

Article publié dans le numéro 964 de « Royaliste » – 2010

 

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