Trump ? Poutine ? Assad ?

Déc 19, 2016 | Chemins et distances | 3 commentaires

Le discours dominant dénonce le trio maléfique que formeraient Donald Trump, Vladimir Poutine et Bachar el-Assad. Dans les grands médias, la priorité est comme toujours donnée à l’image émouvante et aux « éléments de réponse » manichéens. C’est là une vérité connue. Elle est combattue sur les réseaux sociaux par la production d’images, d’informations et de commentaires qui tendent à inverser les représentations collectives : le camp du Mal serait le camp du Bien, celui du peuple aux Etats-Unis avec Donald Trump, celui du bon combat russo-loyaliste en Syrie.

La politique étatsunienne au Moyen-Orient, l’arrogance ploutocratique d’Hillary Clinton, les exactions djihadistes et l’agressivité de Barack Obama à l’égard de la Russie suscitent en France une exaspération d’autant plus violente que la politique extérieure de la France balance le plus souvent entre l’effacement et l’alignement. De là à inverser le sens du manichéisme, il y a un pas immense qu’il faut se garder de franchir. Par bienveillance humanitariste ? Non. Pour se garder de toute compromission fâcheuse ? Non plus. Il s’agit de défendre l’action politique en tant que telle. Celle-ci ne vise pas l’absolu sur terre, elle s’accomplit rarement par la geste des héros et des saints, mais elle doit chercher à explorer tout le champ des possibles, face aux pures volontés de puissance, sans perdre de vue les conditions du bien commun : la justice, la liberté, la paix entre les nations. Or le discours dominant sur les relations internationales mélange abusivement la politique et la morale et obscurcit les données géopolitiques par des jugements à l’emporte-pièce sur les chefs d’Etat.

Il faut donc revenir aux distinctions aussi banales que nécessaires entre politique intérieure et politique extérieure sans séparer radicalement les deux domaines mais en prenant soin d’indiquer le point de vue auquel on se place.

– Si l’on prend la démocratie universelle pour critère, il faut exclure tout à la fois les tyrans, les présidents autoritaires et les dictateurs – sans oublier les Chinois et les Saoudiens. La diplomatie deviendra un club très fermé, d’où l’on contemplera avec effroi la brutalité du monde.

– Si l’on a pour souci le rôle et le rang de la France dans le monde, selon les principes universels qui doivent guider notre patrie, on ne saurait réunir dans le même emballement Donald Trump, Vladimir Poutine et Bachar el-Assad. Le premier, élu démocratiquement, ne fera l’objet d’un jugement politique que lorsqu’il sera devenu le président d’une nation qui a plus de deux siècles. Le deuxième, élu au suffrage universel, exerce de manière autoritaire la présidence d’une fédération, héritière d’un empire multiséculaire, qui s’est donnée voici vingt-cinq ans seulement des institutions représentatives. Le troisième est le dictateur d’une nation introuvable, l’héritier de « l’Etat de barbarie » (1) fondé par son père.

Si elle retrouvait son indépendance, notre diplomatie prendrait le temps d’examiner le nouveau cours de la politique extérieure des Etats-Unis et chercherait à anticiper les réactions de Washington à notre départ du commandement intégré de l’Otan. Elle verrait dans la Russie le moyen de limiter la puissance étatsunienne et un acteur décisif dans la construction de l’Europe confédérale de Brest à Vladivostok. En Orient, elle pourrait contribuer à effacer l’effroyable désastre créé par l’agression étatsunienne de 2003 en préparant le retour à une paix qui suppose la construction d’Etats solides.

On dira que ces vœux sont exprimés pour masquer l’impuissance totale des citoyens que nous sommes. Ce n’est pas vrai. Un citoyen français peut participer aux libres discussions qui ont lieu en Russie. Il peut aller voir de près ce socialisme yankee révélé par la candidature de Bernie Sanders. Il peut parler avec des exilés syriens et irakiens de l’avenir de leur pays, à l’exemple de ceux qui accueillaient naguère les exilés polonais, russes, grecs, bulgares, roumains…  Contre le nationalisme toujours xénophobe, les vieilles et les jeunes générations de patriotes ont à repenser l’Europe en vue de sa refondation et à inventer un nouvel internationalisme, hors de la fascination pour des personnalités et des pays mythifiés. Nous n’oublierons pas, cependant, que rien de décisif ne sera entrepris tant que la diplomatie française sera contrainte, par des dirigeants incapables, au bavardage et à l’alignement.

***

(1)    Cf. Michel Seurat, L’Etat de barbarie, PUF, 2012. Voir notre article dans le numéro 1017 de « Royaliste ».

Editorial du numéro 1112 de « Royaliste » – 2016

 

 

Partagez

3 Commentaires

  1. doubroff

    …intéressant et juste comme « exploration renouvellee » donc nécessaire…Avant Michel Seurat dont il est important de rappeler la mémoire, il y eut déjà Kessel avec le texte « en Syrie »
    Avez vous écouté la rencontre entre M Villepin et M Debray la semaine dernière a 22h20 sur F Culture?

  2. Bertrand Renouvin

    Un lecteur depuis longtemps attentif à ce blog me demande de publier le commentaire suivant :

    Votre article reçu en date du 19 décembre 2016 a attiré toute mon attention. J’approuve, certes, l’essentiel de son contenu mais permettez moi d’ introduire de trés fortes réserves concernant votre jugement sur la Syrie.

    Ce pays n’est nullement – comme vous le dites – une nation introuvable ou alors vous devez étendre le même jugement à la plupart des pays de la région ( les monarchies du golfe n’étant, elles, rien d’autre que des constructions totalement artificielles et inconsistantes et le seraient sans doute restées s’il n’y avait pas le pétrole pour les faire émerger du néant où elles se trouvaient.). Malgré la grande diversité ethnique et culturelle des éléments qui la composent, la nation syrienne existe bel et bien et elle a eu, depuis des décennies, l’occasion de le prouver à maintes occasions, notamment fàce à l’oppression ottomane et lors des multiples guerres menées contre Israel. Le sentiment national y est d’ailleurs suffisamment fort pour lui permettre de tenir aujourd’hui fàce à la guerre criminelle qui lui est imposée.

    La Syrie est un pays millénaire à la civilisation profondément affirmée et d’une richesse exceptionelle. Son régime actuel est de nature certes autoritaire mais le qualifier de dictatorial prouve une méconnaissance complête des évolutions politiques substancielles qu’il a connu depuis 5 ans ( et que les médias occidentaux ont, bien entendu, par aveuglement volontaire, choisi de délibérément et totalement occulter ). De toutes manières, émettre un jugement sur la nature du régime syrien et ses pratiques, en s’abstenant de le situer dans son contexte régional global est un non sens et une aberration complêtye. La Syrie, cela ne peut échapper à toute personne ayant des yeux pour voir et un cerveau pour réfléchir, ne se trouve pas en Scandinavie et n’est pas, non plus, une province du Canada. Elle se situe au proche-orient et au coeur du monde arabe. C’est en tenant pleinement compte de l’histoire de cette région comme de sa réalité socio-culturelle et politique qu’il faudrait apprécier son état et l’attitude de ses dirigeants. Et si nous le faisons, je ne suis pas du tout sûr, que le jugement, qui sera porté, sera vraiment défavorable à ceux qui dirigent actuellement ce pays et tentent, avec tous les moyens dont ils disposent, de défendre leur patrie et leur terre contre une ignoble et abominable agression orchestrée à partir de l’Etranger. Les dirigeants actuels ne sont certes pas des saints. Ils ont une part non négligeable de responsabilité dans le terrible conflit qui déchire leur pays mais cette part n’est rien comparativement à celle, absolument accablante et écrasante, des Etats ( dont la France ) qui ont décidé, depuis 6 ans, de déclarer la guerre à leur pays en violation absolue de tous les principes et de toutes les régles du droit international. La Syrie n’a, pourtant ni agressé ni menacé personne mais c’est bien elle qui est actuellement trés violemment agressée. Ce n’est certainement pas Assad qui a formé, entrainé et envoyé des terroristes en France pour massacrer des civils par centaines et ce n’est pas lui, non plus, qui finance, entraine, arme et défend politiquement et médiatiquement les hordes terroristes sans foi ni loi qui sèment, depuis de longues années, mort, horreur, destruction et désolation dans tout le proche orient et ailleurs. Ce sont bien les gouvernements occidentaux et leurs alliés du golfe qui apportent, depuis des années, toutes les formes de soutien et d’aides possibles à ces hordes d’égorgeurs et d’assassins, marchands de mort et de ténèbres, afin de les instrumentaliser contre les Etats nationalistes et laics arabes qui s’obstinent à défendre leur souveraineté, leur indépendance et l’autonomie de leurs choix à l’intérieur comme à l’extérieur. Cela a commencé, ilya 40 ans, en Afghanistan ( pays non arabe certes mais néanmoins musulman ) et ne s’est jamais arrêté. La seule conclusion qui en ressort est que l’oligarchie occidentale demeurre, plus que jamais, enfermée dans ses obsessions coloniales et que tous ses choix en politique extérieure en découlent directement. Comme vous le disiez justement, c’est dorénavant, l’émotion et l’indignation, trés soigneusement orientées et sélectives, qui tiennent lieu, dans les médias occidentaux, de réflexion et d’analyse , dans l’espoir d’obscurcir l’esprit des citoyens, en tout cas suffisemment pour paralyser, chez eux, toute capacité de réflexion libre et d’esprit critique. C’est ce que nous pouvons appeler une dictature douce nourrissant une forme de totalitarisme obscurantiste qui finira, un jour ou l’autre, par réduire à néant ce qui nous reste d’acquis démocratiques.

    Chokri Ben Fradj historien

  3. Jean-Paul Roufast

    Merci pour ce regard équilibré.
    Les media et la dictature de  » l’émotionnel » sont en train de nous tuer…
    Amitiés.