Touvier : Justice n’est pas faite

Mai 4, 1992 | La guerre, la Résistance et la Déportation

 

Ce n’est pas l’Eglise, ni la Magistrature, ni la France qui sont coupables, mais Paul Touvier, ceux qui le protègent ou l’on protégé.

Le non-lieu dont bénéficie provisoirement l’ancien milicien a provoqué en France une stupéfaction indignée, évidemment légitime, que la lecture de l’arrêt de la chambre d’accusation n’a fait qu’amplifier : oubli du droit, raisonnements insensés, et falsifications historiques composent le tissu d’un texte qui aboutit à un véritable déni de justice.

Oubli du droit ? Quant à la définition du crime contre l’humanité, les magistrats ont utilisé très partiellement un arrêt de la Cour de Cassation qui, en 1985, faisait explicitement référence à la charte du tribunal de Nuremberg visant « l’assassinat, l’extermination, la réduction en esclavage, la déportation et tous autres actes inhumains commis contre toutes populations civiles… ». Or Touvier est bien l’homme qui a sélectionné et fait fusiller sept otages juifs au lendemain de l’assassinat de Philippe Henriot.

Raisonnements insensés ? On souligne que les discours du maréchal Pétain ne contiennent aucune trace d’antisémitisme en oubliant que le statut des juifs de 1940 a été signé de sa main et qu’il n’y aurait pas eu de Commissariat aux questions juives sans son approbation. On soutient que la Milice avait des visées hégémoniques sur l’Etat français et cherchait à imposer un ordre totalitaire afin d’établir que la politique de Vichy n’était ni hégémonique ni totalitaire. Ainsi, la Milice aurait été un groupe de pression, voire un parti subversif alors que son chef (Darnand) siégeait au gouvernement ! Selon cette logique, l’Etat hitlérien naissant n’était ni hégémonique ni totalitaire puisque les S.A. avaient leurs visées propres !

Falsifications historiques ? Contrairement à ce qui est soutenu dans l’arrêt, Vichy a bien mené une « politique d’hégémonie idéologique » qui a devancé les volontés de l’Occupant. Sinon, comment qualifier la politique anti-juive et anti maçonnique, l’interdiction des partis politiques et des syndicats, la répression de tout acte de « dissidence », l’internement administratif de suspects… ?

Sélection et manipulation des faits sollicitation de textes, mépris de la recherche historique, témoignages de victimes torturées et déportées rejetés pour « invraisemblances » ou « affabulations » : nous sommes en présence d’une entreprise révisionniste, et non d’une décision de justice. La Cour de Cassation appréciera.

Ces points précisés, faut-il considérer l’affaire Touvier comme le symptôme du malaise de la France à l’égard de sa propre histoire ? Si l’ancien milicien est parvenu à échapper depuis la Libération à la police puis à la justice, grâce à des complicités religieuses, policières puis judiciaires, serait-ce par volonté de ne juger ni l’Eglise, ni la Police, ni la Magistrature ? Serait-ce parce que la France ne veut pas juger son propre passé de la France comme on le lit ici et là (1) ? La thèse paraît procéder d’une lucidité supérieure, agrémentée d’une pointe de masochisme. Elle n’en est pas moins spécieuse puisque ses auteurs font mine d’oublier les procès de la Libération – ceux de Pétain, de Laval, de Darnand, de Brasillach, etc. – qui permirent de passer au crible cette période noire de notre histoire et de condamner les coupables. De même, il serait injuste de proclamer la culpabilité globale de telle communauté ou de telle institution en raison des trahisons, des lâchetés, des complaisances de certains de leurs membres. Comme le montre le récent rapport d’une commission d’historiens (2) des évêques, des prêtres et tout un réseau de couvents ont protégé Paul Touvier pour des raisons qui relèvent de la naïveté, d’une fausse conception du droit d’asile, de l’indifférence à la justice des hommes, et plus rarement de la solidarité politique : c’est scandaleux, mais cela ne permet pas de mettre en cause l’Eglise en tant que telle dans l’oubli du patriotisme et parfois de l’héroïsme de ses serviteurs. De même les aberrations des trois magistrats de la Chambre d’accusation ne permettent pas de dire que la magistrature a failli à sa mission : elle a jugé et condamné les criminels et les traîtres ; elle continuera de le faire.

***

(1) Par exemple l’article d’Edwy Plenel dans « Le Monde » du 22 avril 1992.

(2) Paul Touvier et l’Eglise, Fayard, 1992.

Article publié dans le numéro 579 de « Royaliste » – 4 mai 1992

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