Le ministre de l’Intérieur avait réussi à créer une institution représentative des musulmans. Le toujours jeune Nicolas Sarkozy, candidat à l’élection présidentielle, piétine l’œuvre accomplie et ne cesse de jouer avec le feu. Il n’est pas le seul…

Il faut savoir changer de monstre en temps utile. Les médias font cela de façon épatante, surtout quand ils sont aidés par les dirigeants politiques.

Inutile de crier au complot comme les paranoïaques qui sévissent dans la mouvance altermondialiste : nous sommes dans la logique banale d’un système où les intentions des acteurs sont faibles. A la télévision, il s’agit d’adapter mollement le spectacle à l’air du temps. Le spectacle a besoin de monstres, c’est-à-dire de quelques uns qui se montrent : il faut une figure du Bien et une autre du Mal, une Victime et un Bourreau…

Jean-Marie Le Pen est parfait dans le rôle du Méchant, mais ses déclamations ne sont plus de la première fraîcheur. Arrive sur le marché un prédicateur genevois au charme délicieusement ambigu : il est musulman donc Victime mais aussi Bourreau possible ; il est beau comme Massoud, cet autre fondamentaliste, et il s’exprime avec grâce.

Ce qui est moins gracieux, c’est la propagande de Tariq Ramadan. Comme Jean-Marie Le Pen naguère, ce prédicateur accède à la célébrité médiatique par des écrits nauséabonds et des propos arrogants. Accusé d’antisémitisme pour un texte dénonçant de supposés « intellectuels juifs », il rejette l’accusation sans renier ce qu’il a écrit : « j’affirme clairement qu’un certain nombre d’intellectuels, majoritairement juifs mais pas seulement, sont en train de nous imposer une lecture biaisée des enjeux politiques nationaux et internationaux ».

Si Jean-Marie Le Pen avait prononcé cette phrase, il aurait été immédiatement cloué au pilori et personne n’aurait accepté de débattre avec lui. Or Tariq Ramadan fait plus de recette que le chef du Front national :

–  il plaît à ceux qui sont toujours solidaires des Victimes : les altermondialistes défendent  par principe des peuples en lutte et des minorités persécutées – par exemple les musulmans d’Europe et les extrémistes palestiniens.

– il attire ceux qui veulent affronter le Bourreau et qui se présentent en Victimes.

Le piège de cette grossière dialectique est connu et a été maintes fois dénoncé : tout comme l’acte terroriste, les provocations médiatiques n’ont pas de spectateurs, mais seulement des complices. Il est donc regrettable que quelques intellocrates parisiens facilitent la promotion médiatique des extrémistes pour mieux s’en indigner – mais cela fait longtemps que nous n’avons plus espoir de les convaincre.

Nous attendions en revanche du ministre de l’Intérieur qu’il fasse la preuve de son sens des responsabilités. Or sa conduite ressemble à celle d’un homme atteint d’un dédoublement de personnalité.

Le ministre de l’Intérieur avait réussi à installer un Conseil français du Culte musulman et des élections lui ont donné une incontestable représentativité. Mais l’édifice est fragile et doit être renforcé ce qui implique une politique d’apaisement des conflits entre les organisations musulmanes et entre citoyens de confessions différentes.

Or Nicolas Sarkozy agit depuis quelques mois selon une tactique dont le cynisme a éclaté le 20 novembre, lors de l’émission « Cent minutes pour convaincre » diffusée par France 2.

Souvenons-nous que M. Sarkozy avait délibérément provoqué les musulmans de l’UOIF (tendance dure de l’islam) en dénonçant le port de foulard islamique. Cette noble indignation ne l’a pas empêché de prouver, chiffres à l’appui, que les affaires de voile étaient en constante diminution depuis plusieurs années.

Dramatiser et rassurer, c’est faire coup double sur le théâtre médiatique. Il reste que l’affaire du foulard est relancée et qu’on évoque stupidement une loi sur la laïcité – refusée par le ministre de l’Intérieur. Nicolas Sarkozy joue donc au pompier pyromane. La dramatisation demeure cependant et s’amplifie au fil de la polémique entre ceux qui dénoncent l’antisémitisme et ceux qui se plaignent de l’islamophobie. Au lieu de s’inquiéter de ce climat et de veiller à la répression exemplaire des attentats racistes, Nicolas Sarkozy assure en personne la promotion des extrémistes devant plusieurs millions de téléspectateurs.

Pour le politicien, c’est une entrée en campagne réussie : il a prestement mouché Tariq Ramadan et il a représenté la jeune droite efficace face à un Le Pen en fin de carrière.

Pour la collectivité nationale, c’est une opération à tous égards scandaleuse :

En choisissant de discuter avec un prédicateur genevois il a oublié l’existence des représentants élus de l’islam de France : le candidat Sarkozy a donc sapé l’autorité du Conseil que le ministre de l’Intérieur avait installé et donné une prime à l’intégrisme religieux transnational.

En se déclarant partisan de la discrimination positive, il a porté atteinte au principe constitutionnel d’égalité qu’un ministre est évidemment tenu de respecter.

En annonçant la prochain nomination d’un « préfet musulman », il a ouvert la voie à des revendications communautaires, religieuses et ethniques, parfaitement odieuses : après la liste des « intellectuels-juifs » publiée par Tariq Ramadan, faudra-t-il faire le décompte des « magistrats-protestants » en attendant la désignation d’un «ministre-bouddhiste » et la parité homo-hétérosexuels aux élections législatives ? Nous entrons dans la logique infernale des quotas selon un « droit des minorités » contraire aux principes de la République française.

En toute connaissance de cause, le candidat Sarkozy joue avec le feu.

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Article publié dans le numéro 827 de « Royaliste » – 8 décembre 2003

 

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