Il existe un phénomène Rocard. Ou plutôt, comme disent Hervé Hamon et Patrick Rotman, un « effet » qu’ils tentent d’analyser. Leur livre n’est ni un monument à la gloire du dirigeant socialiste, ni une démolition, mais une intéressante tentative d’explication.

Etrange phénomène alors qu’une fraction du Parti Socialiste le soupçonne des plus noirs desseins, Michel Rocard séduit une partie de la droite. Bernard Stasi célèbre sa compétence, Michel Pinton son réalisme, et Sanguinetti trouve qu’« il a des idées». L’ancien secrétaire national du P.S.U. serait-il entré dans la voie de la trahison ? Pour H. Hamon et P. Rotman, la réalité est beaucoup plus complexe. Sans doute y-a-t ‘il derrière Rocard toute une entreprise de « marketing » politique bien rodée, qui ne cesse de peaufiner l’image de marque de l’éventuel candidat à la Présidence. A tel point qu’on ne sait plus distinguer, dans le personnage, le spontané du fabriqué. Dure loi des campagnes électorales à l’américaine, rigoureusement appliquée par le plus « américain » de nos hommes politiques -du moins dans sa manière d’être- et par son équipe de conseillers.

Pourtant « l’effet Rocard » semble avoir des origines lointaines et profondes. Selon Hamon et Rotman, c’est toute une tendance de la gauche qui se trouve en lui exprimée : celle des militants chrétiens rodés par le syndicalisme étudiant et le combat pour l’indépendance algérienne, celle de la CFDT, du mendésisme et de la technocratie éclairée. Dans cette perspective, l’opposition entre Rocard et Mitterrand prend une autre signification : ce n’est plus la rivalité de deux hommes, mais l’affrontement de deux traditions de gauche qui s’exprime. Face à la gauche laïcarde, idéologique, dogmatique, irréaliste, voici une gauche « nouvelle », qui se voudrait compétente, inventive, jeune et dynamique. Image qui correspond exactement à celle que voulait se donner Giscard d’Estaing.

Michel Rocard suivrait-il la même pente que l’actuel Président ? Autogestionnaire, décentralisateur, le futur candidat dit évidemment le contraire. Mais le toujours-jeune homme compétent et dynamique semble trop bien refléter les valeurs de l’ordre établi pour qu’on puisse attendre de lui une action en profondeur. D’ailleurs, même s’il le voulait encore, le pourrait-il ? les auteurs de « l’effet-Rocard » soulignent deux contradictions difficilement surmontables : comment la foi autogestionnaire peut-elle se concilier avec la soumission aux techniques publicitaires des présidentielles ? Et surtout comment ferait-il, une fois élu, pour se défaire de la logique partisane ? Question qui dépasse la personne de Michel Rocard et qui s’adresse à tous les hommes de parti qui briguent la charge suprême. Quels que soient les espoirs qu’ils expriment, ou les illusions qu’ils entretiennent.

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Hervé Hamon, Patrick Rotman, L’effet Rocard, Stock.

Article publié dans le numéro 314 de « Royaliste » – 17 avril 1980

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