Deux économistes ont récemment publié un livre important sur la Chine (1).Antoine Brunet, a été économiste en chef au Crédit lyonnais puis à la banque HSBC avant de fonder « AB Marché », société d’analyse de la conjoncture et des marchés. Jean-Paul Guichard, professeur à l’université de Nice Sophia-Antipolis, est titulaire d’une chaire Jean Monnet de l’Union européenne. Tous deux exposent la stratégie des dirigeants chinois, montrent l’étendue de leurs conquêtes et nous pressent d’y résister.

 

La crise qui a commencé en 2007 aux Etats-Unis s’aggrave car les dirigeants des Etats-Unis et de l’Union européenne ne veulent pas voir que sa cause première est le libre-échange. Tous adhérent à l’idéologie du laisser-faire qui a déjà profondément bouleversé les rapports de force sur le marché mondialisé. Alors que beaucoup à gauche s’obstinent à présenter la Chine comme un pays du tiers-monde, pauvre et méritant, il est chaque année plus évident que nous sommes confrontés à un impérialisme chinois, implacable à l’égard des peuples qu’il oppresse et qui déploie à l’égard du reste du monde une agressivité monétaire et commerciale qui provoque de considérables dégâts.

Dans le livre qu’ils consacrent aux ambitions chinoises, Antoine Brunet et Jean-Paul Guichard montrent par quels moyens la Chine met en œuvre sa stratégie :

Le taux de change est son maître atout : à partir de 1989, la Chine a procédé à des dévaluations successives (de 50 {9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} au total) qui stimulent massivement ses exportations et qui lui assurent un coût salarial 80 fois inférieur à celui des Etats-Unis – alors que le coût salarial dans les pays dits émergents est 40 fois inférieur. De plus, les dirigeants chinois ont tiré la leçon de l’expérience malheureuse faite par le Japon, qui fut contraint de renoncer au contrôle des changes en 1980 sous la pression américaine et qui fut entraîné vers une crise bancaire et financière dont le pays n’est toujours pas sorti. La Chine, quant à elle, maintient le strict contrôle des changes mis en place en 1949, assorti de lourdes sanctions pour les contrevenants.

La main d’œuvre chinoise constitue la fameuse « armée de réserve » massive, sous-payée et très surveillée. Cette masse corvéable assure la rentabilité maximale des investissements directs américains et européens en Chine.

La dictature exercée par le Parti communiste permet d’imposer à tous les acteurs économiques une stratégie cohérente, d’autant plus efficace qu’elle est mise en œuvre sur un marché ouvert et grâce à des groupes de pression complices, quoique « bourgeois », aux Etats-Unis et dans l’Union européenne.

Ce n’est pas le mécanisme spontané du marché qui explique les succès chinois, mais les décisions politiques prises par un pouvoir qui dispose de tous les leviers de commande et qui réprime violemment la population exploitée.

Antoine Brunet et Jean-Paul Guichard donnent un tableau précis de la puissance chinoise qui est :

La première puissance commerciale du monde. En 2009, ses exportations ont dépassé pour la première fois celles de l’Allemagne et distancent largement celles des Etats-Unis et du Japon. L’excédent commercial chinois est le plus élevé du monde : officiellement 250 milliards de dollars par an, probablement 600 milliards de dollars selon les calculs effectués hors de Chine.

La première puissance financière du monde : ses réserves de change totales sont estimées à 4 000 milliards de dollars – officiellement 2 900 milliards seulement – soit 30 à 40{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} des réserves de change mondiales. Point important : fin avril 2010, la Chine détenait 850 ou 900 milliards de dollars d’obligations de l’Etat américain et 630 milliards d’obligations d’Etats de la zone euro.

Une puissance économique égale à celle des Etats-Unis : le produit intérieur brut réel chinois représenterait, comme le PIB américain, 20{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} du PIB mondial.

Une grande puissance technologique qui démontre à quel point ceux qui vouaient la Chine à la sous-traitance et aux produits bas de gamme ont pu se tromper : la Chine exporte des ordinateurs et des trains à grande vitesse, et bientôt des avions et des centrales nucléaires.

Une grande puissance militaire, la troisième pour le nombre de missiles nucléaires après les Etats-Unis et la Russie, la deuxième pour le nombre de sous-marins nucléaires, devant la Russie (2).

Cette puissance accumulée permet à la Chine de mener une politique extérieure conquérante : elle a établit en 2010 une relation privilégiée avec l’Association des Nations d’Asie du Sud-Est (ASEAN) et elle est la partenaire de la Russie dans l’Organisation de Coopération de Shanghai à laquelle participent quatre républiques d’Asie centrale. Par ailleurs, la Chine investit massivement sur le continent africain et elle est en mesure de marquer des points décisifs en Europe depuis que le sommet européen du 26 octobre 2011 a décidé de solliciter l’aide financière de Pékin.

Nous sommes bien en présence d’un nouvel impérialisme, qui est en pleine phase offensive. Le déploiement de cet impérialisme, pour le moment pacifique, provoque une déstabilisation de l’Europe et des Etats-Unis d’autant plus violente que les oligarchies occidentales restent passives – quant elles ne sont pas activement complices. Les démonstrations d’Antoine Brunet et Jean-Paul Guichard sont à cet égard indiscutables. Mais c’est à tort, selon moi, qu’ils présentent la Chine comme un pays totalitaire, agissant à la manière d’un rouleau compresseur. Comme à la grande époque des impérialismes américain et soviétique, il me paraît nécessaire de souligner les points faibles et les contradictions de l’adversaire :

Le pouvoir politique chinois impressionne par sa cohésion apparente mais il n’est plus totalitaire : manquent la religiosité séculière et le guide absolument génial qui permettent la mobilisation totale du peuple et la liquidation physique des déviants. Reste une dictature appuyée sur le parti unique, l’armée et la police : de quoi assurer la surveillance des dissidents et leur emprisonnement, qui suscitent des protestations beaucoup trop faibles. Mais la terreur a été remplacée par un pacte entre le pouvoir politique, les classes moyennes qui bénéficient de la croissance économique (250 millions de Chinois environ, sur 1,3 milliards) et les populations qui adhérent au nationalisme revanchard qui a remplacé l’idéologie maoïste.

L’affaiblissement du pouvoir central chinois permet d’envisager une mise en échec de ses dirigeants, guettés comme tous les dictateurs par une volonté de toute puissance qui se heurte un jour où l’autre à des obstacles imprévus ou trop longtemps négligés. La lutte du peuple tibétain et la résistance du peuple ouïghour font peser une menace sérieuse sur l’unité de la Chine. Les révoltes sociales, très nombreuses, peuvent contribuer à la déstabilisation de la dictature qui, plus largement, se heurte ou se heurtera au désir universel de liberté. La faiblesse de la Chine tient aussi à sa démographie : la politique de l’enfant unique, avantageuse à court terme, va exposer la Chine a de très sérieuses difficultés car, dans vingt ans, on comptera un actif pour un inactif (3).

Bien entendu, nous ne saurions attendre que le colosse s’effondre. C’est dès à présent qu’il faut agir pour faire échec à la Chine. On peut discuter sur le point de savoir si l’Empire du Milieu vise ou non l’hégémonie mondiale mais sa stratégie agressivement dominatrice, telle que l’analysent Antoine Brunet et Jean-Paul Guichard, est une réalité incontestable. Aujourd’hui destructrice des économies européennes, la politique monétaire chinoise sera sans doute accompagnée, dans les prochaines années, d’une politique militaire qui pourrait être redoutable pour les nombreux pays voisins de la Chine. Contre le groupe de pression prochinois, très puissant en France, il faut faire campagne pour que les futurs responsables politiques de notre pays prennent conscience du danger et agissent sans plus tarder. Les propositions d’Antoine Brunet et de Jean-Paul Guichard sont à cet égard pertinentes et percutantes :

-Il faudrait pouvoir dévaluer les monnaies occidentales contre le yuan ce qui suppose, en Europe, une autre conception de la politique monétaire. Pour le moment impossible, cette politique devra voir le jour après l’éclatement de la zone euro ;

-Il faudra, contre le protectionnisme monétaire chinois, organiser la protection économique concertée des économies nationales menacées de destruction par l’offensive chinoise. D’où le projet de création d’une nouvelle Organisation mondiale du commerce, en rupture avec le dogme libre-échangiste de l’actuelle OMC et qui permettrait une organisation des échanges entre les pays libérés de la pression chinoise. Cette contre-offensive devrait avoir des conséquences importantes sur la situation sociale et politique à l’intérieur de la Chine.

Les réflexions des deux auteurs sur la montée en puissance diplomatique et militaire de la Chine et sur ses prétentions territoriales – en Sibérie, en Mongolie – et sur le début d’une colonisation de peuplement en Asie centrale confirment selon nous la nécessité de l’organisation politique de l’Europe continentale, impliquant une alliance étroite avec la Russie qui s’apercevra bientôt qu’elle est directement menacée par l’offensive chinoise, et avec la Turquie. Le quarteron d’intellocrates qui donnent dans l’hystérie antirusse et les journalistes qui vivent au temps de la guerre froide doivent être combattus plus durement que jamais ; les démagogues qui tentent d’exciter les Français contre la Turquie francophile au prétexte qu’elle est peuplée de musulmans doivent être renvoyés à leur inculture et à leurs bassesses électoralistes.

La tâche est immense mais le sentiment d’humiliation ressenti lorsque les européistes aux abois ont décidé de faire appel à l’aide chinoise va contribuer à développer la volonté de résistance, qu’il faut maintenir à l’écart des pulsions nationalistes. C’est à une défense économique et militaire du continent européen qu’il faut se préparer.

***

(1) Antoine Brunet, Jean-Paul Guichard, La visée hégémonique de la Chine, L’impérialisme économique, L’Harmattan, 2011.21 €.

(2) Cf. la revue DSI – Défense & Sécurité internationale, n° 15 hors série : « Chine, le géant militaire du 21ème siècle ». 10, 95 €.

(3) Cf. Isabelle Attané, Au pays des enfants rares, Fayard, 2011. 19 €.

Article publié dans le numéro 1000 de « Royaliste » – 2011

 

 

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