Raphaël Draï

Sep 6, 2015 | Références

Nous avons perdu, le 17 juillet, un ami et l’un de nos maîtres. Raphaël Draï nous a montré que la tradition royale et l’ensemble de notre projet politique trouvaient dans la pensée juive leur origine et leur signification profonde.

Raphaël Draï était beaucoup plus qu’un remarquable professeur de sciences politiques. Pour la France, il fut un grand exégète qui développa la compréhension du judaïsme dans un large public et un acteur important du dialogue inter-religieux. Il occupe une place éminente dans la mémoire de la Nouvelle Action royaliste car il fut le premier, parmi nos invités aux « Mercredis » parisiens, qui expliqua, un beau soir de 1989, comment la royauté avait été instituée dans le peuple d’Israël, selon quels principes la fonction royale était exercée, tout en nous précisant les bienfaits il était possible d’en attendre – la médiation durable, le dynamisme – et les périls auxquels elle était exposée. Passant de la Thora à Maïmonide, Raphaël Draï révélait ou rappelait aux croyants et aux incroyants qui formaient son public l’éthique d’une royauté soumise à la Loi et d’un roi qui doit respecter en tous domaines la juste mesure (1). Nous avons alors compris dans toute sa profondeur historique et spirituelle ce que nous avait dit le défunt comte de Paris sous une forme lapidaire : « la monarchie capétienne, c’est les rois d’Israël ».

Raphaël Draï appréciait la neutralité bienveillante de la Nouvelle Action royaliste à l’égard des religions. Après nous avoir présenté « La communication prophétique » (2) en 1991, il m’avait demandé d’organiser dans nos locaux de la rue des Petits-Champs un débat de fond entre le judaïsme, le christianisme et l’islam. Il voulait un débat sans concession et nous avions décidé qu’il aurait lieu à huis clos afin que personne ne puisse en tirer des conclusions bassement polémiques. Deux chrétiens et un musulman le rejoignirent un samedi après-midi pour une « disputatio » cordiale qui dura plusieurs heures. Deux ans plus tard, les lecteurs de Cité trouvèrent un écho de cette controverse savante dans un entretien sur le théologico-politique que notre ami avait accordé à notre revue (3). Raphaël Draï disait que les religions sont dans des débats théologiques sans solution de compromis mais qu’elles peuvent communiquer « …par la question de la justice sociale qui est transversale entre elles. Si vous trouvez dans des théologies ce langage commun à propos de la justice sociale, si Dieu se révèle à tout le monde de la même manière, par la diffusion et le partage, il y a là une sorte d’œcuménisme dynamique. »

Un soir de mai 1999, alors que l’aviation de l’Otan bombardait la Serbie et le Monténégro, Raphaël Draï nous avait présenté son livre sur l’économie chabbatique (4). En raison d’une grève des transports, nous n’étions que huit dans la salle. Notre invité aurait pu demander un report. Intense et chaleureux, il parla comme devant un vaste public de la tsedaka – la justice économique – qui gouverne une économie fraternelle puisque l’homme est le gardien de son frère. L’économie chabbatique, nous disait-il, est celle de la juste mesure et du temps de repos laissé régulièrement aux hommes, aux animaux et à la terre. C’est une économie de marchés, qui s’oppose à la finance usuraire et à une concurrence acharnée à l’élimination du prochain…

Plus tard, Raphaël Draï éclaira magistralement l’Etat-providence auquel a succédé un « Etat purgatoire » (5) qui n’est pas seulement la négation du précédent modèle mais qui contredit en tous domaines l’éthique économique et sociale affirmée par la tradition biblique. Tandis qu’on se lamente  sur la « perte des valeurs », Raphaël Draï n’a cessé et ne cesse de dire aux croyants et aux incroyants que ces valeurs sont présentes – toujours prêtes à nous indiquer les voies et les moyens de la délivrance.

 

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(1)    Cf. l’entretien publié dans le numéro 527 de « Royaliste », repris sur ce blog.

(2)    Raphaël Draï, La communication prophétique, I – Le Dieu caché et sa révélation, Fayard, 1990.

(3)    Cité, n° 26, Religion et liberté. On y lira également un article de Bernard Bourdin : « Monarchie et monothéisme chez les Hébreux ».

(4)    Raphaël Draï, L’économie chabbatique – La communication prophétique III, Fayard, 1998. Cf. mon article dans le numéro 725 de « Royaliste » repris sur ce blog.

(5)    Raphaël Draï, L’Etat purgatoire, La tentation posdémocratique, Editions Michalon, 2005. Cf. mon article dans le numéro 875 de « Royaliste » repris sur ce blog.

Article publié dans le numéro 1083 de « Royaliste » – 2015

 

 

 

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