Pragmatic.com : L’escroquerie du « bon sens »

Fév 17, 2003 | Partis politiques, intelligentsia, médias

 

Le parti des amis de Jacques Chirac s’affiche sur les murs comme celui du pragmatisme, de la proximité, du terrain, du « bon sens ». Tromperie sur la marchandise ! Nous avons affaire à une offensive idéologique contre le gouvernement, nécessairement politique, des Etats.

Cela fait vingt ans que nous luttons contre le « réalisme » et ses succédanés. Mais ça revient comme une marée noire, ça coule comme de la glu de tous les micros, ça enrobe le discours dominant, répétitif, finassier, tellement bienveillant qu’on a envie de se laisser aller à l’imposture « pragmatique ».

C’est vrai, quoi ! Le petit bébé de l’affiche UMP, il n’a pas envie de travailler jusqu’à 99 ans. Et le petit écolier, il souhaite comme nous une « société plus sûre » de même que nous voulons toutes, nous les femmes modernes, une lessive qui lave plus blanc – et même, plus blanc que le blanc. Avant même de lire ces vérités premières sur les murs, je les découvre dans Libération (8/1/03) et j’y apprends que M. Douste-Blazy se réjouit de l’efficacité de cette campagne d’adhésions qui coûtera à l’UMP la modique somme de 1,2 million d’euros.

Comme la communication n’a pas tué l’information et la réflexion, j’apprends dans le même quotidien que « le chef du gouvernement se pose en champion de la dépolitisation du débat public » (1). Bien vu, cher confrère ! Jean-Pierre Raffarin s’affiche en homme qui « écoute le terrain » (avec un stéthoscope ?)  et Jacques Chirac se fait le chantre d’un Etat policier (de la route), médecin (cancérologue), assistant social (l’insertion des handicapés) et d’une administration où personne n’attendrait plus au guichet.

Tel est le pragmatisme gouvernemental qui, accommodé à la sauce compassionnelle, fabrique une belle unanimité : tout le monde est contre le cancer, les accidents de la route, les files d’attente, les incendies, les inondations et les maladies. Le piège est grossier et les intellectuels socialistes se précipitent pour l’éventer. Pétain se réclamait lui aussi du réalisme ! Antoine Pinay se voulait lui aussi proche des gens ! Raymond Barre vantait le bon sens ! Bien vu, lanturlu. Mais Pierre Bérégovoy prêchait lui aussi le pragmatisme, tout comme Laurent Fabius ; Martine Aubry chantait le terrain et Lionel Jospin s’affirmait réaliste.

De gauche ou de droite, tous les oligarques parlent le même langage pour couvrir les mêmes démissions et la même fuite devant les responsabilités politiques.

Il est facile, mais nécessaire, de rappeler que le réalisme de Pétain consistait à prôner la Collaboration et à participer activement à la guerre civile entre la Milice, qu’il encourageait, et la Résistance. Antoine Pinay tenait quant à lui des propos de bon sens qui incitaient à la confiance peu avant le déclenchement de la guerre d’Algérie qui fut, aussi, une guerre civile. Chacun à leur manière, ils se soumettaient au « réel » sans voir la violence qui est en lui.

Il est facile, mais nécessaire, de rappeler que c’est au nom du pragmatisme que la gauche a laissé grandir la crise des hôpitaux et que c’est la réalité qui pousse Nicolas Sarkozy à fermer des dizaines de commissariats. Sous les bons sentiments, souffrance et violence.

Il est facile, mais nécessaire, de souligner que la propagande unanimiste de l’UMP se développe au moment même où le gouvernement laisse des industriels fermer leurs usines et licencier massivement (chez Péchiney, Danone, Vivendi…) abandonne Air Lib à son triste sort et se prépare à naufrager GIAT industrie. Les nouveaux chômeurs auront droit aux condoléances de ministres compassés, entre deux mesures de gel budgétaire et après « aménagement » de l’impôt de la fortune qui confirme la solidarité du gouvernement à l’égard des plus riches. Proximité, certes, mais de classe !

Douste-Blazy aura dépensé 1,2 millions d’euros pour rien : c’est le prix de la poudre au yeux, du voile posé sur l’idéologie ultra-libérale. Surtout, cette offensive antipolitique se déroule au moment où le président de la République doit prendre une décision éminemment politique qui engagera, ou non, la nation française dans la guerre qui vient. Le bon sens, c’est hallucinant.

***

(1)  Excellente analyse du phénomène par Jean-Pierre Le Goff dans Libération du 7 février sous le titre « Cessation d’activité politique ».

 

Article publié dans le numéro 810 de « Royaliste » – 17 février 2003

 

 

 

 

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