On se souvient de la réflexion du général de Gaulle, au terme de la visite que lui fit le 13 octobre 1944 Albert Lebrun, écarté par le coup d’Etat de juillet 1940 mais toujours président de la République : « Au fond, comme chef de l’Etat, deux choses lui avaient manqué : qu’il fût un chef ; qu’il y eût un Etat. »

La situation est aujourd’hui très différente. Au fil des événements qui se succèdent depuis le début de l’affaire Benalla, nous constatons qu’une chose manque à Emmanuel Macron : qu’il soit un chef. Mais il y a encore un Etat.

L’élu de 2017 n’a plus qu’un semblant d’existence politique. Macron empêtré dans le scandale faute d’avoir ordonné le renvoi immédiat d’une petite frappe, Macron offensé par deux jeunes Antillais lors de son déplacement à Saint-Martin, Macron humilié par les démissions de Nicolas Hulot et de Gérard Collomb, annoncées toutes deux dans les médias, Macron obstiné dans son mépris qui se plaint à Colombey-les-deux-Eglises que les retraités puissent se plaindre : cet homme est aujourd’hui perdu d’autorité comme on dit de quelqu’un qu’il est perdu de réputation.  Perdu comme président de la République, comme chef de l’Etat, comme chef de clan.

Président de la République ? La fonction symbolique, qui commande tous les ordres de réalités se réduit à un rôle joué par un intermittent du spectacle. Pour la majorité des Français, Emmanuel Macron n’est que le président des riches, l’homme qui se répand en propos blessants quand il ne lit pas les textes qu’on lui a préparés.

Chef de l’Etat ? Dans la police, dans l’armée, dans la diplomatie, dans les grands corps de l’Etat, les faits et gestes d’Emmanuel Macron suscitent une colère sourde mais profonde. Le caporalisme élyséen, le mépris des personnes et des règles et l’arrogance brouillonne font que beaucoup  décrochent, moralement ou concrètement, le portrait officiel.

Chef de clan ? Le fanfaron qui demande en juillet qu’on vienne le chercher est abandonné par son principal parrain politique, lassé de parler à quelqu’un qui n’écoute pas. Emmanuel Macron a voulu être, « en même temps », le chef du gouvernement, le chef du parti majoritaire et le chef de l’équipe élyséenne. Il découvre, à l’occasion du remaniement ministériel, qui ses fidèles se comptent sur les doigts de la main. Des fidèles qui ont intégré Macron dans leur plan de carrière mais qui, comme Gérard Collomb, peuvent demain choisir leur carrière contre Macron.

Aucune personnalité d’opposition ne pouvant se présenter en recours, la situation paraît désespérante. Elle ne l’est pas, puisqu’à la différence de 1940 il nous reste encore un Etat. Comme toujours dans l’histoire de la France moderne, quand l’autorité est défaillante, quand le pouvoir est frappé d’instabilité, c’est la Constitution administrative qui pallie les dérèglements et défaillances des institutions politiques. Nous l’avons souvent dit et il faut le redire avec force : ce sont nos soldats, nos policiers, nos diplomates, nos fonctionnaires de tous grades qui préservent concrètement, quotidiennement, l’existence de notre pays.

Cependant, Emmanuel Macron tient encore le gouvernement et le parti majoritaire. S’il est perdu d’autorité, il conserve le pouvoir et il va continuer à l’exercer selon le bloc de certitudes dans lequel il est muré. Ainsi, l’Assemblée nationale vient de voter la privatisation de la Française des jeux et d’Aéroport de Paris, et le gouvernement se prépare à privatiser nos barrages tout en poursuivant la mise en œuvre de réformes ultralibérales.

D’où un paradoxe insoutenable : alors que la France continue de vivre grâce à sa Constitution administrative, alors que les Français restent relativement protégés par notre Constitution sociale, l’oligarchie continue avec Emmanuel Macron les opérations de privatisation de l’administration et de dynamitage de notre système de protection sociale. Cette obstination est suicidaire pour le milieu dirigeant et expose le pays à de violentes secousses. La crise terminale de l’Union européenne va s’accélérer si le gouvernement italien ne se laisse pas impressionner par Bruxelles et nous sommes sous la menace d’une nouvelle crise financière, plus ravageuse que la précédente (1). Pourtant, ils s’ingénient à désarmer la nation.

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(1)    CF. l’entretien accordé au Figaro par David Cayla, le 9 septembre 2018.

Editorial du numéro 1152 de « Royaliste » – 2018

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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2 Commentaires

  1. jacques-andré Libioulle

    Ah! le pauvre chef que voilà, perdu dans une machinerie dont il méconnaît qu’il l’a lui-même déclenchée! Il faudrait ici revisiter la théorie de la déraison de la gouvernance, qui consiste à accumuler sans cesse les (bonnes) raisons qui au finale, par accumulation, sautent hors de raison. C’est un curieux paradoxe que celui de la déraison dans la raison! Si bien que les mathématiciens eux-mêmes s’en sont emparé (sic)!
    Refaire le monde, telle est l’ambition de tout chef épris du pouvoir vertical. Cornegidouille, c’est bien l’exemple du père Ubu qui nous est ici rappelé! (cfr. en particulier « Ubu sur la butte ») Voilà d’ailleurs que d’aucuns vont passer céans à la trappe! Méthode infaillible! Epuration-purgative!
    Cela dit, nos apitoyer serait malsain! Allons plutôt revoir « Le roi se meurt » (le roi se leurre) de cet admirable et purgatif Ionesco!
    « Parce que rire est le propre de l’homme »

  2. Franck Boizard

    J’entends dire que le sieur Macron songerait de plus en plus à partager notre siège de membre permanent du conseil de sécurité de l’ONU avec l’Allemagne.

    Cela serait une véritable trahison, au sens le plus fort du terme, celle qui mérite la peine de mort, mais elle n’a rien d’étonnant venant de ce triste sire.