Philippe VI d’Espagne, roi modérateur – Billet invité : Christophe Barret

Juil 2, 2014 | Billet invité | 3 commentaires

La force tranquille… pour de vrai ! Le vieux slogan mitterrandiste, un peu réactualisé, pourrait refléter au mieux les quelques atouts dont dispose le nouveau roi d’Espagne. Une certaine tradition jacobine teintée de jugements encore marqués par une historiographie datée pourrait nous empêcher de saisir tous l’avantage qu’il y a, en Espagne, de disposer d’un chef de l’État effectivement neutre, « arbitre et modérateur » selon la lettre de la Constitution. Dès les premiers mots de son discours d’investiture, le 19 juin dernier, le roi Philippe VI a « exprimé la reconnaissance de  la Couronne à ces Chambres, dépositaires de la souveraineté nationale ». Il a de même précisé ses fonctions : « être symbole de l’unité et de la permanence de l’État, assumer sa plus haute représentation et arbitrer et modérer le fonctionnement régulier des institutions ». Le nouveau roi a aussi simplement voulu rassurer ces Espagnols, qu’on a longtemps dit plus juan-carlistes que monarchistes : « nous trouverez en moi un Chef d’État loyal et disposé à écouter, comprendre, avertir et conseiller (…) ».

Au cours de la cérémonie de Proclamation du roi, Artur Mas, le président de la Generalitat de Catalogne, s’était ostensiblement abstenu d’applaudir le discours du nouveau roi. C’est que, depuis de nombreux mois, l’homme fort de la Catalogne affronte le Premier ministre Mariano Rajoy sur la question de ce qu’on appelle, en Catalogne et au Pays-Basque, « le droit à décider ». De fait, ce droit, depuis le début de l’année a été rejeté par les Cortès de Madrid puis par le Tribunal Constitutionnel, un peu comme on le fît en France, il y a quelques années, avec un projet distinguant un autre « peuple » au sein du « peuple français ». Sauf qu’en Catalogne, une consultation électorale – illégale, donc – est toujours prévue, pour l’automne.

Le roi, qui exerce le plus haut niveau de représentation de la nation espagnole, ne saurait se taire. Dans son discours d’investiture, Philippe VI a aussi rappelé que son droit de regard sur les affaires catalanes, un droit qui lui vient aussi tout droit de l’histoire. « Tout au long de ma vie, comme Prince des Asturies, de Gérone et de Viana ma fidélité à la Constitution a été permanente. » Pour son premier déplacement dans son royaume, quelques jours après, le roi a justement choisi Gérone, en Catalogne, pour signaler que, déjà, ce lien établi par les titres de l’héritier de la Couronne est transmis à sa fille aînée et que, malgré son jeune âge, l’infante Léonore en est très fière. Cette présence politique vaut déjà au roi quelques tentatives de récupération de la part d’Artur Mas, qui réclame déjà une médiation royale dans le conflit qui l’oppose à Madrid. Le président de la Generalitat a demandé au chef de l’État, en réponse au discours de Gérone, d’agir « avec imagination, en écoutant les gens, en sachant que les choses ne sont plus comme il y a quarante ans et pas uniquement en invoquant la Constitution ».

La figure d’un roi modérateur demeure à ce point incontournable qu’à son tour, Iñigo Urkullu, le Lehendakari, le chef du gouvernement basque, s’est manifesté. « Philippe VI doit être conscient que le statut [d’autonomie] a été laminé. (…) Je le soupçonne de l’être, en tout cas je suis prêt à réfléchir avec lui ». Maniant lui-aussi les symboles du passé, celui qui est aussi le chef du parti nationaliste basque est allé jusqu’à inviter le nouveau souverain à faire une visite à Guernica, haut lieu des libertés locales. Bien sûr, la plupart des nationalistes basques comme les Catalans ne poursuivent qu’un but : l’indépendance de leurs régions respectives. Mais les avis donnés et les conseils reçus d’un roi ne peuvent pas être bradés devant une opinion publique loin d’être majoritairement acquise aux idéaux indépendantistes, y compris dans les régions aux velléités les plus fortes. Pèsera pour longtemps, dans les mémoires, l’adoption par 87{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} de députés de Madrid de la loi organique sur l’abdication du père du roi. Seulement six des quarante-sept députés catalans présents à l’assemblée de Madrid ont alors dit « non ». La forme monarchique du pouvoir, dans un grand État européen, en ressort consolidée.

Christophe Barret

 Editorial du numéro 1060 de « Royaliste » – 2014

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3 Commentaires

  1. Mercier Alain

    Tout à fait d’accord que dès son premier discours face aux Cortes le nouveau roi s’est présenté en chef de l’état respectueux des institutions qui entend être l’arbitre de la société espagnole . L’Espagne en plus de la grave crise économique et sociale qu’elle traverse aggravée par la déliquescence de sa classe politique doit faire face aux velléités souverainistes de plusieurs régions . pour le moment le problème catalan est le plus pressant pour l’annonce unilatérale d’un référendum par le gouvernement régional . Or si un maillon cède , d’autres suivront Pays Basque , Canaries , Galice … Certes le scrutin annoncé pour novembre par l’exécutif régional est hors la loi , mais le fossé entre la Catalogne et le reste de l’Espagne se creuse , d’une part par l’absence de dialogue entre ceux qui gouvernent à Madrid et Barcelone , de l’autre par l’hostilité d’une certaine droite politique et médiatique espagnole . Celle ci à une certaine époque a appelé au boycott des produits catalans en engageant entre autre aux espagnols à boire des vins mousseux d’autres régions ou même du Champagne français au lieu et place du Cava catalan . Cela ne manque pas de charme lorsque l’on connait la francophobie de cette droite espagnole . Et ainsi en réaction l’on voit monter dans les sondages le sentiment catalan et alors que les indépendantistes étaient une minorité , ils sont maintenant majoritaire en Catalogne . Certes cela ne veut pas dire que si on leur demandait de franchir le pas ils seraient tous prêts à la faire avec toutes ces conséquences économiques , administratives ou autres . Ce sentiment d’appartenance à une communauté différente qui utilise une langue propre dont l’utilisation s’est développée s’explique en grande partie par le système éducatif . Celui ci nous surprend quelque peu pour nous français les programmes de l’éducation nationale étant les même à Paris , Bayonne , Strasbourg ou Fort de France . Or en Catalogne et au Pays Basque coexistent trois modèles . Celui que connait le reste de l’Espagne mais qui est minoritaire ou presque inexistant dans les régions disposant d’une langue propre . Le second modèle est mixte c’est à dire est assuré pour partie en espagnole et pour partie dans la langue locale . Ainsi les mathématiques pourront être enseigner en basque ou Catalan et l’histoire en espagnol , en général la moitié des enseignements en espagnol et l’autre dans la langue vernaculaire . Mais le modèle majoritaire est un enseignement tout en catalan , l’espagnol étant enseigné comme peut l’être l’anglais ou le français , soit une langue étrangère . De plus en histoire et géographie , on insistera particulièrement sur les faits , les personnages de la région en construisant un roman national différent du roman national espagnol . Alors que la population est formée dans ces régions d’une souche locale que l’on reconnait aux noms et prénoms locaux , une grande partie de la population est le résultat de l’émigration intérieure , des espagnols principalement des régions d’Andalousie ou d’Estrémadure venant chercher du travail à partir des années 60 dans les industries du nord de l’Espagne . Et maintenant ces migrants de seconde ou troisième générations sont des basques ou catalans pure souche qui défendent le drapeau de leur terre d’adoption , même si ils se nomment Lopez ou Gonzalez . Tout retour en arrière vers un détricotage de la décentralisation est impensable , en retirant des pouvoirs aux régions , la solution semble être un état fédéral chapeauté par le roi qui assurerait la cohésion de l’ensemble . Une petite précision si certes l’acte d’abdication a été approuvé par 87 {9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} des députés , les députés des partis qui gouvernent localement en Catalogne et Pays basque se sont abstenus , ceux ci représentent 21 des 350 députés .

  2. Francois Gerlotto

    Tout à fait d’accord avec cette analyse. J’ai écouté le discours du nouveau roi, il était remarquable, à la fois très moderne (posant en particulier la question des autonomies régionales) et traditionnel, se situant dans la continuité de son père et insistant sur l’importance des lois et de la Constitution. Heureux espagnols.
    Par ailleurs le roi est déjà bien connu des gouvernements et des pays d’Amérique Latine et je ne doute pas qu’il y soit aussi populaire et efficace dans les coopérations hispano-américaines que son père, qui s’était rendu célèbre (et apprécié) par son fameux « Porque no te callas » à l’adresse d’Hugo Chavez. Heureux espagnols…

  3. cording

    Qu’il y ait un roi ou un président, en bien d’autres pays il y a une autorité symbolique qui s’appelle Président, cela n’empêche pas l’Espagne de subir, comme nous autres français et tous les autres peuples de l’UE, la loi d’airain de l’oligarchie européenne néolibérale et la mondialisation du même acabit, les dogmes économiques stupides de cette UE.