Que se passe-t-il de si inquiétant, mais quels sont ces événements d’une bouleversante nouveauté qui condamneraient à brève échéance le gouvernement et qui annonceraient la défaite de la majorité présidentielle ? Nous connaissons la réponse, et nous voyons la mise en scène – dramatisée à l’extrême. Il y a la montée du chômage, il y a les manifestations, les grèves, les violences paysannes, les lenteurs et les maladresses gouvernementales. Au juste, quoi de nouveau sous le soleil ?

Oh ! ce n’est pas que je prenne de la distance, ou que je veuille défendre le Premier ministre au mépris de l’évidence. Mais je demande qu’on ne vive pas dans l’instant, en jugeant gravissime ce dont on s’accommodait il y a un an et en accablant Edith Cresson pour des attitudes, des choix et des contradictions que l’on trouvait normales, habiles ou provisoirement subies par son prédécesseur. Etranger à l’idée d’un éternel retour qui inciterait à une contemplation lassée de vaines agitations, je n’excuse pas non plus les lenteurs et les ruptures dans les négociations sociales – et encore moins la répression absurde qui a frappé les infirmières.

RÉPLIQUES

En février 1988, sous un tout autre gouvernement, j’ai affirmé dans un éditorial qu’on aurait raison de se révolter. Mon point de vue n’a pas changé. On a raison de se révolter pour se faire respecter dans son milieu professionnel et dans la société, et on a raison d’exiger que la difficulté du travail demandé soit compensée par un minimum d’aisance matérielle. C’est le cas des infirmières, hier des gardiens de prisons, et sans doute demain des policiers qui exercent des métiers où l’on est chaque jour confronté à la souffrance, au désespoir, à la mort.

Ceux qui portent directement ce poids n’ont pas de dénomination commune mais ils donnent depuis quelques années une tonalité nouvelle aux rentrées sociales. Comme une réponse aux exigences formulées bouleverserait sans doute les relations hiérarchiques et la pyramide des salaires, nous serons souvent confrontés à des manifestations de colères. Mais il faut se souvenir que ces mouvements ne coïncident pas avec la nomination d’Edith Cresson et que, dans son ensemble, le malaise économique et social lui préexistait largement. Il y a un an, à la même époque, je notais que la rentrée sociale était une réplique de la précédente et je pourrais aujourd’hui recopier mes textes précédents où étaient évoqués la première protestation des infirmières, la dure et longue grève des gardiens de prisons, le conflit des usines Peugeot (cette année c’est Renault), le conflit des impôts, la protestation des gendarmes, les émeutes de Vaulx-en-Velin, les manifestations lycéennes et celles des magistrats – sans oublier les agriculteurs.

Rien ne permet de soutenir que l’agitation sociale prend une tournure inédite et nul ne peut feindre la surprise indignée face à la situation de l’emploi. Le chômage recommence à croître depuis un an et les gouvernements socialistes successifs n’ont cessé de proclamer qu’il n’y avait pas d’autre politique économique que celle choisie en 1983. Nous en payons le prix (chômage, affaiblissement industriel) sans que le pouvoir donne clairement les raisons, assurément politiques, de son obstination. Le débat s’en trouve faussé et si la critique des orientations économiques demeure nécessaire le gouvernement actuel ne peut être tenu pour seul responsable d’une situation certes dégradée mais pas aussi catastrophique que ne l’affirment ses censeurs.

ACHARNEMENT

Il y a donc lieu de s’inquiéter, de protester, de dénoncer les hésitations, les inconséquences et les carences gouvernementales, mais certainement pas de se laisser aller à la panique. Et pourtant elle se propage dans les milieux dirigeants, qui l’alimentent de leurs calculs sournois et de leurs manœuvres basses. On a peur de son ombre (les sondages) on répute perdues les batailles électorales pas encore engagées, on murmure que le gouvernement ne passera pas l’hiver.

Qui ? Je n’incrimine pas l’opposition, qui joue normalement son rôle. Et si certains « commentateurs » de la presse dite d’information regardent le Premier ministre comme une proie facile (c’est une femme, elle n’est pas présidentiable) et attendent (espèrent ?) qu’elle soit achevée comme un animal blessé (1), l’acharnement médiatique serait moindre s’il n’était stimulé par les propos défaitistes et par les pures calomnies qui émanent de certaines fractions du Parti socialiste. Tout en réaffirmant notre pleine liberté critique, nous refusons de participer aux jeux pervers de la déstabilisation du gouvernement et de l’affolement de l’opinion publique : loin de proposer une autre ambition pour le pays, ceux qui s’y livrent représentent seulement les intérêts de groupes de pression et de coteries politiciennes, quand ils n’expriment pas de misérables préjugés. Leur victoire serait néfaste pour le pouvoir politique en tant que tel et dangereuse pour la démocratie – aujourd’hui plus fragile qu’il n’y paraît.

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(1) Commentaire du « Monde » (4 octobre 1991) au lendemain de la rentrée parlementaire : « La curée n’a pas eu lieu » !

Editorial du numéro 566 de « Royaliste » – 4 novembre 1991.

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