Cet éditorial a été publié au lendemain de la victoire de la gauche en juin 1997.

Suite au vote de rejet que nous avions souhaité, le retour de la gauche aux affaires devrait alléger notre souci dans deux domaines : le droit de la nationalité et le statut des résidents étrangers ; les services publics et le secteur nationalisé.

C’est beaucoup. Ce n’est pas suffisant. Bien entendu, le gouvernement Jospin doit bénéficier, comme tout autre, d’un crédit initial. Il lui est accordé d’autant plus volontiers que les nouveaux dirigeants ont dit et répété qu’ils n’avaient pas le droit à l’erreur. Encore faudrait-il savoir sur quels plans ils entendent démontrer la justesse de leurs analyses et de leurs choix.

Il ne saurait seulement s’agit de connaissance des « dossiers », de bonne gestion des finances et de moralité publique : c’est le minimum, la banalité même. L’erreur, la grande erreur commise par les gouvernements socialistes puis par ceux de la droite, serait de méconnaître notre fonds commun, que nous avons peu à peu constitué depuis un millier d’années, et sans lequel nous ne pouvons plus penser ni ressentir notre appartenance collective, poursuivre vos projets, en concevoir de nouveaux, afin de vivre aussi bien que possible notre aventure historique.

Ce fonds est constitué par des valeurs, des certitudes, des sentiments transmis au fil du temps, et par un territoire précisément situé sur lequel nous avons construit nos villes, tracé nos routes, dessiné nos paysages : la France n’est pas un absolu, ni une religion, mais le pays de notre naissance ou de notre élection auquel nous sommes simplement mais fortement attachés.

Qu’est-ce que cela signifie pour un gouvernement ? Qu’il ne fera rien de bon, et qu’il n’aura pas l’assentiment des citoyens s’il néglige, méprise ou rejette six caractères constitutifs de l’ensemble français :

1/ La France est une nation qui s’est toujours voulue indépendante. Aucun rapport d’expert, aucune leçon sur la modernité, n’empêcheront les Français de rejeter les prétendues solutions supranationales.

2/ Les Français ont la passion de l’égalité : ils n’accepteront jamais la tyrannie des marchés et le « despotisme éclairé » des prétendus constructeurs de l’Europe.

3/ Le patriotisme français ne se conçoit pas sans référence à des institutions symboliques (médiatrices et unifiantes) et incarnées – que ce soit pas les rois ou par les Grands hommes de la République. Qu’on prenne garde à ne pas détruire le pouvoir politique, par l’oubli du caractère arbitrale de la fonction présidentielle ou par le quinquennat.

4/ La conception égalitaire des Français implique un Etat gardien de l’intérêt général, neutre mais bienveillant à l’égard des religions et capable de mettre en œuvre l’exigence de justice. Nos affrontements politiques, nos disputes religieuses et nos luttes sociales s’inscrivent dans ce cadre. Il est concevable que d’autres peuples fondent leur patriotisme sur une monnaie stable, ou leurs relations sociales sur un principe de concurrence : les Français ne comprendront jamais qu’on puisse tenir pour essentiels une telle référence et un tel critère.

5/ La conception française de la solidarité suppose que l’Etat veille à ce que chacun bénéficie de toute la protection sanitaire et sociale qui lui est nécessaire. Contrairement à ce que serinent certains retraités de l’enseignement supérieur, cette protection n’est pas un obstacle mais une condition du progrès économique et de l’initiative individuelle.

6/ La doctrine économique de notre nation tient pour indispensable l’articulation des services publics, du secteur nationalisé et de libres activités de production et d’échanges. Toute dogmatique ultralibérale ou collectiviste est par conséquent facteur de révolte.

Le rejet des équipes dirigeantes, qu’on observe depuis près de vingt ans, s’explique par le fait que les élites de droite et de gauche ignorent, trahissent ou violent ces principes qui fondent, par-delà toutes nos divisions, le pacte républicain – c’est-à-dire l’alliance du pouvoir et du peuple en vue du bien commun. Telle est la réalité nationale qu’il faut rappeler aux experts américanisés et aux professeurs de « réalisme ». De droite ou de gauche, ceux qui ne respectent pas notre fonds commun seront de plus en plus radicalement et de plus en plus violemment récusés.

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Editorial du numéro 689 de « Royaliste » – 1997.

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