La vieillesse n’est pas toujours un naufrage. Elle le fut pour le maréchal Pétain. Mais le général de Gaulle demeura jusqu’à la fin de sa vie soucieux de laisser aux Français les pensées, les institutions et les projets nécessaires pour faire vivre la France après lui.

En politique, la vieillesse naufragée ne tient pas à l’âge mais aux effets de la paresse d’esprit et à cette résignation intime qui fait qu’on se relâche sur l’essentiel – les devoirs de la charge – tout en s’accrochant aux sièges prestigieux et aux signes dérisoires de la puissance.  Il arrive que cette obstination sénile s’accompagne de pulsions destructrices provoquées par un immense orgueil : celui qui va mourir veut qu’on le suive dans sa régression infantile, et que le monde disparaisse avec lui.

Nous sommes administrés par ces naufrageurs, qui détruisent d’autant plus facilement qu’ils ont hérité sans avoir rien construit – ni le gaullisme, ni le socialisme, ni d’ailleurs le communisme. Ces carriéristes sont sans mémoire et ne reconnaissent pas leurs dettes, ce qui les empêche de penser à l’avenir collectif et de vouloir l’assurer. Ils vivent dans l’instant, se croient modernes parce qu’ils suivent la mode, et modernisateurs parce que la mode destructurante et concurrentielle condamne le symbolique, l’institutionnel, les filiations, la transmission. Ils ont anéantit en quelques années l’œuvre économique et sociale de la Libération, ils sont entrés dans le système américain comme on entre dans une maison de retraite, et maintenant ils veulent ruiner l’architecture institutionnelle qui rendrait possible une rapide renaissance. Que rien ne subsiste…

La misérable affaire du quinquennat est en effet le résultat de la débilité ambiante, qui consiste pour ces vieillards crépusculaires à se donner l’illusion d’agir pour saccager tout ce qui peut l’être. Telle est la pratique imbécile qui prévaut à droite et à gauche. Valéry Giscard d’Estaing a lancé l’affaire du quinquennat pour se redonner un bout de rôle, à l’aide d’un texte justement dénoncé par deux juristes[1]comme une « rhétorique de l’esbrouffe et du faux-semblant ». Lionel Jospin veut inscrire un point positif sur son bilan, réduit pour l’instant à la somme de ses mensonges et de ses reniements. Jacques Chirac serait décidé selon la presse à sacrifier la Constitution gaullienne pour assurer sa propre réélection. J’ose encore espérer que le président de la République continuera à s’opposer à une proposition qui ne repose sur des arguments spécieux[2] :

Il est faux de dire que le quinquennat résout le problème de la cohabitation car la concordance des élections présidentielle et législatives ne donne aucune assurance quant à la convergence de vue entre la majorité parlementaire et le président de la République. N’oublions pas non plus les violents conflits qui ont opposé des hommes du même camp (V. Giscard d’Estaing et Jacques Chirac) ou du même parti (François Mitterrand et Michel Rocard).

Il est scandaleux d’affirmer, comme Alain Juppé, que le septennat « n’est pas un temps démocratique dans un univers fortement médiatisé » car c’est consentir à ce que le démocratique soit soumis au médiatique.

Il est inepte de soutenir que le septennat est « trop long » puisqu’on ne précise jamais par rapport à quoi. La présidence septennale en France est  beaucoup moins longue que le règne d’un souverain dans l’Europe des Quinze. La présidence quinquennale serait moins longue que le mandat d’un maire – élu pour six ans. Ces différences ont leur justification dans la pratique politique comme dans la symbolique institutionnelle. Leur effacement conduirait à des confusions violentes.

La réduction de la durée du mandat présidentiel transformerait radicalement la fonction du chef de l’Etat et ferait sauter tout l’édifice institutionnel, selon le souhait des partisans du régime présidentiel à l’américaine. Pour préserver le principe d’arbitrage, dans le souci de la continuité, pour assurer à la présidence un minimum d’indépendance, nous ferons campagne contre le quinquennat, pour la République gaullienne.

***

Editorial du numéro 751 de « Royaliste » – 29 mai 2000

[1] Cf.  l’excellente tribune de Christophe Boutin et Frédéric Rouvillois, professeurs agrégés de droit public, dans Le Figaro du 18 mai.

[2] Pour une réfutation juridique complète, cf. Royaliste n°667, p.6 et 7.

Partagez

0 commentaires