Nicolas Sarkozy a perdu la guerre sociale

Fév 1, 2009 | la lutte des classes

Dans la guerre sociale qui fait rage, Nicolas Sarkozy a d’ores et déjà perdu. L’homme peut encore gagner des batailles, dans les urnes et dans les sondages, mais toutes ses réactions s’inscrivent dans une logique de défaite. A cause de tendances lourdes et de ses propres fautes politiques, il est désormais obligé d’inventer sans cesse des tactiques de survie qui ne devraient pas abuser grand monde. Résumons :

L’entrée de Nicolas Sarkozy à l’Elysée fut une divine surprise pour l’oligarchie de droite qui avait subi sous le précédent quinquennat de cinglantes défaites : celle du référendum de 2005, qui avait également disqualifié les oligarques de gauche, celle du CPE l’année suivante. A la suite d’Emmanuel Todd, nous avions alors souligné le basculement des classes moyennes paupérisées dans le camp populaire. Avant même que n’éclate la crise financière, les oligarques ultralibéraux et sociaux-libéraux se trouvaient radicalement contestés et récusés. Les thèmes de la campagne sarkozyste ont habilement brouillé le jeu mais il était évident à la fin de l’été 2007 que la fameuse « rupture » se ferait selon les intérêts de la classe possédante : reprise du «traité constitutionnel » dans le traité de Lisbonne, poursuite et intensification des « réformes » utiles aux principaux détenteurs du capitalisme industriel et financier.

La crise n’a rien changé à cette orientation profonde et les propos hardis sur la « refondation du capitalisme » n’ont pas été concrétisés par les mesures d’urgences qui auraient marqué une véritable rupture, salutaire : nationalisation des banques, augmentation massive des salaires et retraites, plan de protection de l’économie européenne. C’est faire trop d’honneur à Nicolas Sarkozy que de le comparer à Bonaparte : il n’a jamais été autre chose que le fondé de pouvoir de la bourgeoisie affairiste, celui que la crise économique et financière a transformé en syndic de faillite.

Rien de polémique dans cette remarque : il s’agit de signifier que le natif de Neuilly n’appartient pas à l’aristocratie fortunée, à la différence de Valéry Giscard d’Estaing. C’est un homme seul, plus précisément un individu sans appartenances ni fidélités qui ne peut pas compter sur de forts groupes de soutien – à la différence de Jacques Chirac appuyé par les agriculteurs de la FNSEA et les petits patrons de la CGPME. Dans la guerre sociale, Nicolas Sarkozy est un capitaine sans troupes, qui ne peut compter que sur peu, vraiment très peu d’amis.

Cette extrême fragilité sociale aurait pu constituer un atout politique décisif si Nicolas Sarkozy était effectivement entré dans sa fonction de président de la République : l’homme déclassé pouvait abandonner ses commanditaires et ses copains pour devenir l’homme de la Nation, le serviteur de la France selon l’esprit et la lettre de notre Constitution. Même son inculture, dont on se gausse, pouvait devenir un avantage : intelligent, volontaire, il aurait pu apprendre très vite l’essentiel tout en faisant l’expérience du pouvoir.

C’est cette prise de fonctions, réelle et symbolique, que Nicolas Sarkozy a sacrifié à la jouissance solitaire, non du pouvoir mais de ses apparences et instruments. A l’entendre déclamer, sur le mode surjoué du candide de bonne volonté, à le voir s’esclaffer, flatter ses ennemis ou au contraire agresser – un jour tel syndicat, un autre les énarques – puis punir le préfet et le policier qui n’ont pas su vider Saint-Lô de ses manifestants, on comprend mieux que le chef de l’Etat doit exercer le pouvoir politique à distance et en altitude afin d’être, à l’opposé de toute arrogance et mépris, le serviteur de tous.

Nicolas Sarkozy ne veut pas être président de la République selon notre Constitution : sa faute n’est pas seulement d’être tout à la fois le Premier ministre et le chef de son parti mais d’avoir privatisé les apparences du pouvoir. Il en en première ligne, socialement isolé, sans autorité politique, sans pouvoir de commandement : les magistrats et les policiers sont dans la rue, d’innombrables hauts fonctionnaires sont en dissidence muette, l’administration toute entière sait qu’elle est considérée comme un poids coûteux. Nicolas Sarkozy a perdu sa guerre : celle qu’il mène pour imposer au peuple français les recettes ultralibérales que celui-ci refuse par la grève et dans la rue.

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Editorial du numéro 941 de « Royaliste » – 2009.

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