Mystique de la Nature – sur Marcel Conche

Avr 19, 2003 | Chemins et distances

Qu’a donc à confesser l’auteur d’une œuvre philosophique ? L’amour de la philosophie. Et l’homme-philosophe, que peut-il donner à ses contemporains ? Sa propre philosophie. Don gracieux, qui n’implique pas adhésion, soumission ni imitation puisque cette pensée libère tout homme qui choisit de penser.

Mais peut-on encore choisir quelque chose, en une époque ou on entend dire partout – au gouvernement, à la télévision, dans les films – que « nous n’avons pas le choix » ? Marcel Conche réplique que « l’homme peut toujours choisir de dire la vérité » car tout être humain est libre par essence.

On peut maugréer que, pour dire la vérité, il faut encore la connaître et que philosopher n’est pas donné à tout le monde. C’est se faire plus bête que nature : tout être humain est capable de philosophie parce qu’il est doué de raison et dispose de la parole.

Voilà qui nous permet d’assister sans aucune gêne au dialogue (1) noué entre Marcel Conche et André Comte-Sponville, qui fut son élève. Soigneusement préparées et méditées, questions et réponses, intéressent tout un chacun puisqu’elles portent sur le plaisir, l’amour, le bonheur, l’éthique, la morale, la mort, la guerre…

Prenons garde cependant. On ne trouvera pas dans la philosophie de la Nature une « base » au programme électoral des Verts et les fondements de la morale tels que les établit Marcel Conche ne permettent pas de se fabriquer un catalogue de recettes pour les aléas de la vie. L’ouverture à la vérité implique une véritable ascèse car il faut s’arracher aux déterminismes, aux influences et aux tentations – en deux mots se rendre libre pour voir la vérité dans son évidence, en disposer et la faire connaître.

Homme qui a voué toute sa vie à la philosophie, Marcel Conche confesse que cette vocation n’est pas facile à vivre. Contre l’opinion courante, qui se représente les philosophes comme de purs esprits, on vérifiera avec lui ce que disent les biographes de Pascal, Hegel, Marx ou Arendt : la réflexion ne détruit pas le désir, la tentation du plaisir n’est pas moins forte que chez les autres mortels, la question du bonheur n’est pas seulement matière à spéculations.

Evoquant quelques fragments de sa vie sans se raconter (le moi est haïssable) Marcel Conche expose une éthique sans complaisance. Les jeunes femmes sont tentantes, mais «L’amour débute comme une aurore : à l’horizon est pressenti une joie sans commune mesure avec toute autre joie. La joie est comme un soleil. Durant la période magique de l’amour, ce soleil peut avoir des éclipses, mais à certains moments on pense en être très près. C’est une illusion ». Aussi a-t-il préféré les belles et riches heures de la vie conjugale, sans en tirer cependant une philosophie du bonheur. Ce corrézien d’Altillac garde le souvenir du dur travail de la terre qui ne dispose guère aux abandons du plaisir et à la quête du bonheur. L’exemple de son père, petit paysan, est demeuré si présent qu’il lui inspire une sorte de « position de classe » qui le conduit à critiquer Marx, étranger à la paysannerie, et même son cher Montaigne qui regardait les autres travailler.

C’est dire qu’on est toujours de son temps, même si on consacre ses jours à traduire et à commenter Anaxagore, Epicure et Héraclite, toujours avec les autres (mitsein) et confronté aux mêmes problèmes que les autres hommes. Les plus difficiles et les plus douloureux sont abordés au fil de cette confession, d’une manière qui surprendra : Marcel Conche est hostile à l’avortement, favorable sous certaines conditions au clonage, et sa métaphysique de la Nature (2), rigoureusement extérieure à toutes les théologies et à toutes les théo-philosophies avouées ou implicites, rebelle aux mystiques orientales vers lesquelles l’extraordinaire Emilie veut l’attirer, est liée à une philosophie morale raisonnablement fondée sur le principe d’égalité.

Lire Marcel Conche c’est fréquenter un homme qui apprend à philosopher dans l’incertitude, c’est pénétrer dans une pensée accueillante, libératrice et heureusement provocante puisqu’elle appelle à la prise de parole,éveille des vocations philosophiques, indique les divers chemins qui mènent à la vérité.

***

(1) Marcel Conche, Confession d’un philosophe, Réponses à André Comte-Sponville, Albin Michel, 2002. 19,50 €.

(2) Cf. Présence de la nature, PUF, 2001, et notre critique dans Royaliste n°; et Quelle philosophie pour demain ? PUF, 2003. 14 €

Article publié dans « Royaliste », numéro 815 – 2003

Partagez

0 commentaires