Dans un article publié sur slate.fr, Gaël Brustier évoque le déclin du militantisme partisan. Ce fait est amplement avéré. La société formée par le Parti communiste et ses organisations satellites est un lointain souvenir, le Parti socialiste a perdu la plupart de ses militants et la moitié de ses adhérents, le Rassemblement national est une formation électorale qui serait incapable d’organiser une manifestation de rue et la République en Marche est un parti-entreprise dépourvu de toute tradition militante.

En dehors de la campagne présidentielle, où les partis investissent des sommes colossales dans des réunions-spectacle, les partis politiques ne sont plus capables d’organiser des réunions et des débats. A l’exception de L’Humanité, la presse partisane a disparu : La Nation des gaullistes et L’Unité des socialistes n’ont pas eu de postérité et le Front national ne s’est jamais doté d’une publication militante.

A droite comme à gauche, on a cru dur comme fer à la Communication sans comprendre que le remplacement des militants par des publicitaires serait lourd de cruelles déconvenues. Les prétendus experts en manipulation de l’opinion publique et les dirigeants politiques qui les écoutaient bouche bée ont marginalisé puis réduit à néant le travail de réflexion et la formation des militants. Je n’oublie pas les facilités et les mensonges de la propagande à l’ancienne et les divers sectarismes. Mais les partis offraient à leurs militants un accès aux grandes œuvres et assuraient à leur façon une tâche d’éducation populaire qui stimulait les appétits intellectuels et finissait bien souvent par bousculer les contraintes idéologiques.

Gaël Brustier a cent fois raison d’écrire que l’inculture politique met en péril la vie politique en tant que telle, dans ses institutions et ses pratiques. Face à la crise sanitaire, nous voyons bien que les erreurs et les fautes qui s’accumulent sont le résultat d’une incompréhension de la stratégie, qui implique une logistique, et d’une méconnaissance de la politique économique – réduite aux clichés de l’idéologie dominante. Des dirigeants très diplômés qui n’ont pas acquis un sens critique à l’école du militantisme et qui ont perdu en chemin leur culture générale sont voués à tous les fourvoiements.

Le désespoir nous saisirait si Gaël Brustier ne limitait pas son analyse au militantisme dans les partis politiques. Dans le syndicalisme de résistance, le militantisme se porte plutôt bien – même si la quasi-disparition des services d’ordre pose de graves problèmes lors des manifestations. L’ampleur des mobilisations syndicales, en 2006, en 2010, en 2020, montre la pugnacité des bases militantes à la CGT et à Force ouvrière, malgré les batailles perdues. Le militantisme politique évolue quant à lui  sur les marges : les identitaires à la droite du Rassemblement national, les indigénistes et les autonomes façon Black Bloc à la gauche de la gauche. On dira que ce sont des groupuscules, mais leurs thématiques se diffusent dans l’opinion publique. Quant aux militants écologistes, ils se retrouvent dans maintes associations dont l’influence est manifeste et expriment d’authentiques courants de pensée. Il est vrai que ces groupes et ces groupuscules n’offrent pas de débouchés politiques mais ils témoignent, quoi qu’on pense de leurs actions, d’une réelle vitalité militante.

On peut se plaindre, à bon droit, d’une vie politique neutralisée par l’oligarchie sous l’œil de tribus militantes aussi vindicatives qu’impuissantes. N’oublions pas que d’autres configurations militantes étaient possibles et demeurent envisageables. Philippe Séguin, après le référendum sur Maastricht, pouvait, en quittant le RPR, lancer un vaste rassemblement populaire. Il ne l’a pas fait. Jean-Pierre Chevènement aurait pu continuer l’aventure du Pôle républicain après la présidentielle de 2002. Il ne l’a pas fait. Nous avons, sur ces deux renoncements, des souvenirs précis… Jean-Luc Mélenchon pouvait, à sa manière, développer et élargir la France insoumise. Il ne l’a pas fait. Qu’on ne nous dise pas que les conditions politiques n’étaient pas favorables et qu’il y avait en face des adversaires implacables ! Dans les deux premiers cas que j’évoque, il y avait un riche potentiel militant, une base électorale solide et un projet politique issu de réflexions et d’expériences communes. A la France insoumise, il y avait une fraction patriote en quête d’un rassemblement national et républicain…

Rien ne sert de se lamenter sur les déconvenues passées. Les échecs subis n’ont pas empêché le développement d’une pensée alternative à partir de l’exigence de souveraineté. Cette pensée est diffusée par des militants qui ne collent pas d’affiches mais qui utilisent depuis 2005 les vastes ressources d’internet : ils sont prêts, n’en doutons pas, à s’engager dans des campagnes de grande envergure. Nous avons dit cent fois que le parti républicain, ou parti des Politiques, était en attente de son fédérateur. Encore faudrait-il, s’il se manifestait dans les mois qui viennent, qu’il ne se lance pas dans l’action pour se faire remarquer du Pouvoir ou pour s’en faire aimer mais pour sauver l’Etat et la nation.

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Editorial du numéro 1204 de « Royaliste » – Janvier 2021

 

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