Tout royaliste qui a vu, en ce dimanche des Pâques orthodoxes, les images du roi Michel et de la reine Anne enfin revenus dans leur pays, entourés par des Roumains de toutes conditions et de tous âges, éprouvait j’imagine deux sentiments mêlés. L’un de joie toute simple, et d’autant plus profonde que les images télévisées faisaient suite à d’autres très anciennes : ce roi sur le parvis, cette acclamation populaire, c’était et c’est encore la légitimité actualisée, pleinement incarnée et vécue…

Mais cette joie fut sans doute teintée d’amertume, légère ou vive selon l’expérience de chacun. Cette attente du retour du roi, si ardente et si massive en Bulgarie et en Roumanie, pourquoi ne se manifeste-t-elle pas dans notre pays ? Faut-il vraiment subir un régime totalitaire pour que la monarchie royale apparaisse, au sortir de l’épreuve, comme une solution possible et souhaitable ? A moins que les royalistes français ne soient eux-mêmes responsables du trop faible écho rencontré par l’idée qu’ils prétendent servir…

IDEOLOGIE ?

La seconde hypothèse n’est pas la moins répandue ces temps-ci. Et je me demande si, un jour prochain, on ne fabriquera pas une analogie entre la Nouvelle Action royaliste et l’Action française, en soutenant que les deux tendances seraient aussi compromettantes l’une que l’autre – tantôt du côté droit, tantôt du côté gauche (1). Ainsi pourrait-on se refaire à bon compte une virginité « centriste » ! Ce serait nous intenter un bien mauvais procès : il n’y a pas, ici, de mise en système de l’idée monarchique, ni de désincarnation de la fonction royale, ni de politique de guerre civile ou d’exclusion. A l’encontre de Charles Maurras, nous avons souligné le rôle décisif du Prince, notre attitude politique s’est inspirée très largement de sa pensée et de son action et, loin de reconstituer l’histoire selon nos préjugés et nos passions, nous nous sommes mis à l’école des meilleurs chercheurs contemporains. Autant d’obstacles dressés contre les dérives idéologiques et le sectarisme militant, qui n’empêchent certes pas les lenteurs, les faiblesses et les erreurs dans l’action…

Mais qu’on ne se trompe pas de critique, et qu’on ne vienne pas nous dire que, par notre faute, l’idée même de la royauté se trouverait compromise. Il suffit de feuilleter les collections de ce journal pour s’en convaincre : ce qui justifie une réflexion qui paraît parfois trop théorique, ce qui nous permet d’illustrer aujourd’hui le projet de monarchie démocratique, ce qui conforte notre espérance, ce sont les monarchies européennes instituées, et c’est le développement observable du sentiment royaliste à l’Est de l’Europe. Je ne reviendrai pas sur l’importance de la fonction royale dans les pays européens qui en bénéficient, ni sur l’immense portée symbolique (au sens du lien renoué) du geste accompli par le roi Juan Carlos à l’égard de la communauté juive, préférant retenir la question de la popularité de Michel de Roumanie et de Siméon de Bulgarie – sans oublier pour autant Alexandre de Yougoslavie et Leka d’Albanie que nous aurons maintes raisons d’évoquer dans les mois à venir. Faut-il voir dans cette popularité une réaction nostalgique à la tentative communiste d’effacement du passé, une exhumation fantasmatique d’une tradition révolue, un réveil de l’extrême droite ? Assurément non : le phénomène est trop profond et trop vaste, le retour des rois exilés est trop clairement demandé par des dirigeants politiques, des syndicalistes et des intellectuels pour qu’on puisse retenir l’hypothèse d’une pathologie collective aggravée d’extrémisme.

PRESENCE

Il est plus simple, et sans doute plus juste, de voir dans la popularité de Michel et de Siméon l’effet d’un comportement personnel et familial, puis d’un engagement qui témoigne d’une intelligence de la tradition royale, du service à accomplir et de la situation politique. La symbolique royale – c’est-à-dire la capacité à faire le lien entre passé, présent et avenir, à incarner l’identité d’une nation, à réunir le divers et les contraires – ne tombe pas sur les princes et les rois comme par enchantement, et ne résulte pas de quelques discours bienveillants et de professions de foi humanistes. Elle s’inscrit dans la succession des générations, mais elle s’affirme et se confirme aux yeux de tous par la vertu de l’exemple. Exemplarité d’une vie de travail, d’une famille unie, d’un souci constant de la patrie souffrante, d’une présence effective, d’un service concrètement rendu : Michel et Siméon n’ont pas besoin de « travail d’image » et de conseils en communication ; ils peuvent se présenter tels qu’ils sont, dans la fidélité à eux-mêmes et a une mission qu’ils ont affirmée en dépit des difficultés personnelles et des duretés de l’exil.

Je ne dis pas que cette exemplarité personnelle et familiale suffise à assurer une instauration monarchique. Mais elle est, du moins, la condition nécessaire de la popularité des princes et des rois ; elle suscite le désir du retour, de la présence, de la rencontre. Chers amis de Roumanie et de Bulgarie, comprenez-vous pourquoi nous vous regardons avec envie ?

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Editorial du numéro 580 de « Royaliste » – 18 mai 1992.

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