Mesures d’austérité : l’amertume

Avr 14, 1983 | Economie politique

 

Le premier mouvement de colère passé, comment qualifier notre réaction face à la nouvelle politique économique du gouvernement ? Il ne s’agit pas de désillusion, puisque le socialisme n’avait provoqué, chez nous, aucune illusion. Ni d’un désespoir : l’espérance, pour nous autres royalistes, se situe au-delà des vicissitudes présentes. Ne parlons pas de déception pour ne pas induire M. Giscard d’Estaing en erreur : une mauvaise politique ne peut nous amener à choisir la politique du pire, qu’il continue d’incarner.

Ces mesures d’austérité, et la fausse rigueur qu’elles masquent, font naître un sentiment d’amertume : celle des soirs de défaite, celle des occasions perdues et des chances gâchées par un instant de faiblesse. Car c’est bien de cela qu’il s’agit : à peine amorcé, le changement s’arrête ; à peine esquissée, la « révolution tranquille » semble jetée aux oubliettes de l’histoire. Après l’enthousiasme du 10 Mai, après la définition (non la mise en œuvre hélas…) d’un projet à peu près cohérent, voici le temps des discours moralisateurs, des paroles « raisonnables » qui annoncent, toujours, le sacrifice d’un espoir.

Qu’on ne vienne pas nous parler de la continuité de l’action économique et sociale : ce qu’exprime le plan Delors, c’est le retour à une politique de droite saluée avec une satisfaction à peine déguisée par M. Barre. C’est le pouvoir d’achat qui est amputé, c’est l’emploi qui est sacrifié, c’est le projet industriel qui est mis en cause par un incroyable renversement des perspectives.

Qu’on ne vienne pas nous parler de vérité. Lorsque M. Mauroy déclarait qu’il n’y aurait pas une politique avant les municipales et une autre après, il mentait ; ou bien, en acceptant à nouveau le poste de Premier ministre, il s’est renié. Dans les deux cas, ce sont les convictions du fameux « peuple de gauche » qui sont heurtées de front. Et qu’on ne vienne pas nous parler d’indépendance, du moins sur le plan économique. « Ne voit-on pas, écrit Michel Jobert dans la Lettre (1), que toute marge de manœuvre a disparu, et que les affaires de la France sont désormais sous le contrôle ou sous la main de l’assistance européenne ou internationale ? » L’alignement, la soumission, non sous la contrainte brutale mais par manque de courage, est-ce là ce qu’il fallait attendre d’un gouvernement de gauche, théoriquement soutenu par l’adhésion populaire ?

Par manque de grandeur ou, si l’on veut, de générosité vraie, la gauche avait déjà gâché politiquement sa victoire. Par son indécision, par sa timidité, par son respect ridicule des tabous économiques, par sa soumission aux règles classique de la gestion, elle est en train de perdre la bataille économique qu’elle avait pourtant les moyens de gagner. La doctrine était au point, la volonté présente, les instruments prêts à servir : reconquête du marché intérieur, projet industriel, nationalisations, il ne manquait plus qu’une protection temporaire du marché et une politique contre l’inflation structurelle pour créer les conditions favorables au développement. Oh I bien sûr, il aurait fallu par la suite procéder à des dizaines de réformes et surtout s’interroger, comme nous l’avons souvent fait, sur les méthodes et les finalités du système industriel. Du moins, par une politique cohérente et tenace, nos capacités pouvaient être sauvegardées pour l’essentiel, et remises en œuvre. En choisissant une politique libérale et européenne, MM. Mauroy et Delors retardent cette stratégie indispensable, et la compromettent. C’est bête à pleurer.

Dans cette lamentable affaire, la responsabilité du Président de la République ne saurait être dégagée. C’est lui qui a décidé que le Franc demeurerait dans le système monétaire européen, lui qui a choisi l’équipe actuellement en place. L’histoire dira si le Président a manqué d’audace ou si, comme le dit la rumeur, il s’est laissé circonvenir par certains de ses conseillers. C’est d’autant plus regrettable qu’il avait eu jusque-là, face aux problèmes économiques internationaux, une attitude cohérente ; et d’autant plus dommage qu’il a exprimé, dans son allocution du 23 mars, une claire vision de la crise économique « soubresauts d’un monde qui meurt en même temps qu’un autre naît ». Si l’analyse est juste, qu’est-ce qui prépare le nouveau monde dans la politique économique qu’il couvre de son autorité ? Et comment maîtriser le mécanisme économique que le Président affirme connaître, alors que nous nous soumettons à ceux qui se contentent de gérer le vieux système ?

Dès lors, l’appel à l’effort lancé par le Président de la République risque de ne pas être entendu. Il vient trop tard, après trop d’erreurs gouvernementales. Il prétend soutenir un plan trop dur et trop peu cohérent par rapport aux grands objectifs du septennat. Surtout, le message présidentiel s’adresse à une nation divisée contre elle-même, séparée par les égoïsmes corporatifs, et sans doute choquée par un aussi brutal retournement. Ce n’est pas par un discours de bonne qualité, ni dans l’instant d’une exhortation morale, que l’unité politique et sociale de la nation peut se refaire.

Le Président de la République sait probablement tout cela mais espère pouvoir reprendre son projet, après un période d’assainissement, et récolter la « moisson » comme dit son Premier Ministre. Mais le temps du chef de l’Etat est compté. Il va s’écouler encore plus vite, désormais : il y aura l’épreuve des législatives et, presque tout de suite après, l’échéance des présidentielles. A partir de 1985, que pourra-t-il sérieusement entreprendre ? Si le Président de la République veut accomplir des mutations économiques décisives et accompagner utilement le changement social, il lui faudra faire de nouveaux choix dans les mois qui viennent. Ou bien se résigner à gérer la société telle qu’elle est.

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(1)      « Lettre de Michel Jobert », numéro 103.

Editorial du numéro 380 de « Royaliste » – 14 avril 1983

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