L’identité nationale à l’épreuve de la guerre

Fév 25, 1991 | Partis politiques, intelligentsia, médias

 

L’inflation des commentaires impressionnistes et des interprétations abusives nous oblige, si nous voulons comprendre les enjeux de cette guerre, à tenir pour vrai ce qui est effectivement décidé par les protagonistes, et à juger les intentions selon les paroles mêmes de ceux qui les annoncent. Ainsi, les premières semaines de la guerre ont montré que Saddam Hussein avait délibéré ment choisi le conflit militaire. Indifférente à la volonté de paix manifestée jusqu’au 15 janvier par la France et par de nombreux pays arabes, la thèse pacifiste demeure muette sur un point décisif : il faut être deux pour négocier, comme le reconnaissent maintenant certains dirigeants communistes. Il faut aussi que la négociation ne soit pas assortie de conditions qui la rendent immédiatement impossible, comme celles posées par l’Irak le 14 février.

Quant aux paroles prononcées par les dirigeants alliés, elles permettent, si on veut bien les entendre, d’établir une distinction claire entre le but commun de la guerre et l’autonomie des projets de paix. L’enjeu du conflit militaire est la libération du Koweït et Saddam Hussein détient les clés d’une paix qui se fera dès son retrait effectif – quelles que soient par ailleurs les intentions supposées (destruction de l’Irak) et les intérêts manifestes des États-Unis. La France, pour sa part, ne cesse de réaffirmer des objectifs de paix (équilibre au Proche-Orient, règlement des conflits par une ou plusieurs conférences internationales) qui sont sensiblement différents de ceux des Américains. Tant que ce projet diplomatique n’est pas mis en œuvre, nul n’est en droit de le disqualifier en l’inscrivant dans un désir illusoire de grandeur.

Ces rapides constats ne sont pas inspirés par la passion belliqueuse et n’atténuent en rien la cruauté de l’épreuve, pour les soldats engagés et pour les peuples de la région. Ils permettront peut-être de corriger une vision trop concentrée sur la puissance quantitative, celle des États-Unis en l’occurrence, et de ne pas accepter sans examen ce sempiternel discours sur la décadence française qui donne à certains journalistes l’illusion de la distance et de la profondeur.

Cette impression de déclin est d’autant moins justifiée que l’épreuve de la guerre fait ressortir la force de ce qu’il est convenu d’appeler l’identité nationale. Dès le début de la crise, les Français se sont rassemblés autour d’institutions politiques incontestées et d’un chef de l’Etat qui a su inscrire dans notre vocation historique les risques et les enjeux du conflit. Dès le début de la guerre, la classe politique a parlé le langage de l’unité, avec une mesure et un sens des responsabilités qui contrastent heureusement avec l’image qu’elle avait donnée d’elle-même ces dernières années. Certes, l’accord s’est fait sur une question précise et pour un temps limité. Mais il faudra se souvenir, lorsque les rivalités et les querelles reviendront avec la paix, du sens civique de la plupart de nos représentants politiques.

COMMUNIQUER

Il faut surtout souligner que ce souci d’unité, lourd d’angoisse mais dépourvu d’excitation nationaliste, s’accompagne d’une paix civile et religieuse sur laquelle veillent de très nombreuses associations et toutes nos familles spirituelles. Il n’y a pas de « parti de l’étranger », il n’y a pas de subversion islamiste, il n’y a pas de cinquième colonne. Mais nous ne saurions nous satisfaire de cette tranquillité : nos concitoyens musulmans et les travailleurs venus des pays arabes vivent dans l’inquiétude, connaissent des déchirements intimes et parfois ne comprennent pas l’engagement de la France. Il serait aussi grave de nier ces sentiments complexes que de les mépriser. Plutôt que de clamer un pacifisme qui donne bonne conscience sans rien changer à une situation dont l’issue est à Bagdad, le premier devoir des citoyens – et tout particulièrement des élus – est de favoriser le dialogue entre tous les habitants de notre pays et d’y participer activement.

Cette fâche serait grandement facilitée si le discours médiatique ne venait pas, jour après jour, brouiller les enjeux et conforter les préjugés. Nous assistons à l’échec d’une « communication » incapable d’informer, c’est-à-dire de donner du sens à des faits établis, de les mettre en perspective. Nous voyons se dissiper l’illusion du monde transparent, de l’image vraie – puisqu’il n’y a rien à montrer, puisque l’image est toujours construite, comme la réalité qu’elle prétend refléter. Le problème de la censure militaire est tout à fait secondaire par rapport à la bêtise solennelle de celui qui annonce la troisième guerre mondiale, au scandale qui consiste à décrire la guerre du Golfe comme un combat de la civilisation occidentale contre la barbarie, au mépris prétentieux de tous ceux qui semblent ignorer que les musulmans de France et les habitants du Maghreb regardent, eux aussi, leurs émissions.

Abusant d’une compétence autoproclamée, toujours prêts à s’ériger en juges, les vedettes de la télévision devraient appliquer ce qu’elles exigent des politiques ; la connaissance des questions, la rigueur dans l’analyse, le souci de vérité et le respect des autres. Sinon elles tomberont dans un discrédit complet.

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Editorial du numéro 553 de « Royaliste » – 25 février 1991

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