Lévinas : Liberté et commandement

Déc 26, 1994 | Références

Liberté, commandement, politique, éthique, transcendance. Avec Emmanuel Lévinas, les mots reprennent sens.

La réflexion philosophique est trop souvent confondue avec un langage obscur sur des pensées opaques, qui l’exileraient de la société « réelle » et des soucis des hommes vivants. Pourtant, on bée devant un quelconque patron qui jacasse sur l’éthique, et on vote massivement pour des démagogues qui brandissent l’identité et les valeurs à tout bout de champ.

Plutôt que de chercher à retenir d’assommants bavardages, plutôt que d’accepter la manipulation des concepts et leur réduction à l’état de slogan, mieux vaut rechercher la compagnie d’un véritable philosophe. Emmanuel Lévinas est un des plus grands parmi les vivants, ce qui ne doit pas intimider ceux qui n’ont pas reçu d’enseignement philosophique : surtout lorsqu’elle s’exprime dans des conférences, la pensée lévinassienne est remarquablement claire, accessible, et peut se révéler décisive à qui veut bien méditer sa portée.

La force d’Emmanuel Lévinas, c’est de relier le politique et l’éthique, l’éthique et la transcendance divine sans nous perdre dans des abstractions puisque sa philosophie évoque et invoque le visage d’autrui, qui est à l’image et à la ressemblance de Dieu. C’est le visage qui commande à chacun de prendre la responsabilité d’autrui, c’est par la rencontre des visages que commence la relation entre les créatures qui trouvent leur libre existence dans le respect du commandement divin (Tu ne tueras pas…). Qu’importe que les visages soient blancs ou noirs, laids ou beaux, français ou étrangers : tout visage nous invite à aimer notre prochain.

Mais cette responsabilité mutuelle ne suffit pas à garantir la liberté des personnes. Guerrière, tyrannique, la violence menace à tout instant. Pour lui faire obstacle, « la liberté consiste à instituer hors de soi un ordre de raison ; à confier le raisonnable à l’écrit, à recourir à une institution. La liberté, dans la crainte de la tyrannie, aboutit à l’institution, à un engagement de la liberté au nom de la liberté, à un État ».

La transcendance fonde l’éthique, qui donne sens au politique en ce qu’il lui commande la justice et le souci primordial de liberté. Avec Emmanuel Lévinas, nous pouvons approfondir et toujours prolonger nos pensées les plus familières.

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(1) Emmanuel Levinas, Liberté et commandement, Fata Morgana, 1994.

Article publié dans le numéro 633 de « Royaliste » – 26 décembre 1994.

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