L’euro, Jacques Sapir et Jean-Luc Mélenchon – Chronique 81

Juil 8, 2013 | Chronique politique | 5 commentaires

Le débat entre Jacques Sapir et Jean-Luc Mélenchon du 4 juillet sur le site « Arrêt sur images » doit être regardé tout entier tant il est riche de controverses instructives et d’analyses d’une technicité certaine mais que l’on peut reprendre tout à loisir sur le site de Jacques Sapir (voir ci-contre). Sans prétendre résumer le débat, je voudrais relever quelques points significatifs :

Les bienfaits évidents d’une sortie de l’euro. Jacques Sapir prouve que tous les pays de l’Europe du sud seront gagnants après dévaluation de leur nouvelle monnaie nationale, du point de vue de la compétitivité et de la croissance. Dans le scénario médian, la France atteint  5{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} de croissance dans la première année et 5,8{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} la deuxième année. Deux millions de chômeurs retrouvent rapidement un emploi et les comptes sociaux se remettent automatiquement à l’équilibre – ce qui permet d’éviter toute nouvelle « réforme des retraites ». La dette publique n’est pas un problème : elle sera en grande partie remboursée aux prêteurs étrangers dans une monnaie dévaluée alors que les créanciers français ne subiront aucune perte puisque les remboursements se feront en francs.

L’illusion d’une bonne négociation avec l’Allemagne qui permettrait de sortir de la crise de l’euro « par le haut » selon le plan présenté par Jean-Luc Mélenchon : « je veux l’Europe à la française » qui met en place des critères de convergence sociale à réaliser dans les dix ans, qui institue un contrôle européen des capitaux, impose à la BCE de prêter aux Etats et installe un « protectionnisme solidaire ». Pour réaliser cette politique, Jean-Luc Mélenchon veut créer un rapport de force entre la France et l’Allemagne. Il reconnaît que l’euro actuel est « condamné » mais affirme que les Allemands craindront les dévaluations des pays du Sud. Ils accepteront donc que la BCE finance les investissements et que l’euro soit dévalué.

Au fil de la discussion, on constate que le chercheur est beaucoup plus concret que l’homme politique et beaucoup plus soucieux des conditions effectives de la solidarité internationale. Alors que Jean-Luc Mélenchon suppose la bonne volonté européenne des Allemands et affirme que la BCE – pourtant indépendante – prêtera massivement sur injonction et fera baisser la monnaie, Jacques Sapir conteste cette stratégie sur trois points :

1/ L’Allemagne ne cédera pas à la pression de la France et à la menace de dévaluations : pour faire fonctionner la zone euro, il faut réaliser une union de transferts : elle implique que l’Allemagne consacre 10{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} de son PIB pendant dix ans au rétablissement de la Grèce, de l’Espagne et du Portugal. Elle préférera voir exploser la zone euro, ce qui lui coûtera dans les premières années 3{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} de son PIB – à moins qu’elle ne décide de changer de politique.

2/ Le financement massif du développement ne permet pas d’effacer rapidement les écarts de compétitivité : il faudrait dix ans, sans certitude de réussite. « Dix ans, c’est rien du tout ! » s’exclame Jean-Luc Mélenchon qui semble oublier que les peuples concernés n’attendront pas dix ans, ni même cinq, une amélioration de la situation économique et sociale. Le carcan monétaire doit sauter le plus vite possible.

3/ La dévaluation de l’euro est une fausse bonne idée. Certes, la France serait avantagée puisqu’elle  exporte à 50{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} hors zone euro. Mais pour les pays du Sud qui font 60{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} ou plus de leur commerce international dans la zone euro (c’est le cas du Portugal, de l’Italie, de l’Espagne) la dévaluation sera décevante. « Je ne suis pas en état de répondre à cet instant », reconnaît Mélenchon. Comme un élève en difficulté à l’oral, il se réfugie dans de grandes déclarations sur les sujets qu’il connaît, par exemple la « planification écologique », assorties d’une profession de foi marxiste qui n’éclaire pas les questions débattues.

Rien ne saurait cependant marquer une vérité simple, énoncée par Jacques Sapir : « Il n’y a pas de solution où la France se sauverait seule ». Pour ne pas tomber du côté de la France seule, Jean-Luc Mélenchon doit encore approfondir sa réflexion.

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5 Commentaires

  1. François Gerlotto

    Certes, néanmoins on peut apprécier chez Jean-Luc Mélenchon l’idée sous-jacente dans son propos que « la politique ne se fait pas à la corbeille ». Son discours, par contraste assez flou face aux modèles économiques et aux calculs très convaincants de Jacques Sapir, rappelle que finalement c’est la politique qui devra prendre en compte les ratés des prévisions économiques, et que c’est elle seule qui pourra prendre les choses en main quand le système sera sorti des rails et que les modèles seront dans l’incapacité (inéluctable) de représenter l’avenir. C’est sur les modèles économiques que l’existence du « chaos déterministe », par nature imprévisible même s’il est parfaitement modélisable, a été mise en évidence (puis retrouvé un peu partout, et en particulier en météorologie et en écologie). A ce moment, l’intuition du politique s’avère plus efficace que la modélisation prévisionnelle. La politique, c’est en partie l’art de s’adapter à l’imprévu pour gérer une société dans un cadre défini et avec une vision particulière du fonctionnement du monde. Après tout, c’est en se fondant sur une vision politique « prophétique » que De Gaulle a pris en 1940 une décision fondatrice que tout « gestionnaire sensé » avait jugé irréaliste. Mélenchon a raison quand il dit que le lendemain de la catastrophe monétaire il faudra quand même emmener les enfants à l’école et préparer les repas : il s’agit là d’une réflexion précisément politique. La société continue et l’Etat doit la protéger. Sapir a raison dans ses analyses, mais je lui préférerais (même) Mélenchon s’il fallait que l’un des deux prenne la tête de l’Etat.

    • Bertrand Renouvin

      Sur François Gerlotto, j’ai l’avantage d’être parisien et d’assister à diverses interventions de Jacques Sapir – aux mercredis de la NAR, à l’EHESS récemment, au séminaire franco-russe. A partir d’une pensée exprimée dans ses nombreux livres, Jacques Sapir fait évidemment des interventions adaptées à la question mise en débat. A l’EHESS, en juin lors d’un débat sur l’Europe et l’euro, il a centré son intervention sur la question de la légitimité… et déconcerté ses deux interlocuteurs français. Face à Mélenchon, il s’est concentré sur la question de l’euro et l’a traitée sur le plan technique afin de convaincre Mélenchon que son combat d’arrière-garde était perdu. Mélanchon a pu paraître plus politique car c’est un bon tribun mais il suffit de songer à sa thématique sur la 6ème République pour se souvenir à quel point il est mauvais stratège et piètre politique.
      L’intervention de François me donne l’occasion d’une mise au point : si nous privilégions les analyses de jacques Sapir, ce n’est pas seulement parce qu’il conforte et précise notre opposition à l’euro et à l’ultralibéralisme ; c’est parce que qu’il envisage, à sa manière, le Politique en termes de légitimité. Cf. son livre sur « les économistes contre la démocratie », page 248 : « L’incontournable problème de la souveraineté implique alors une réflexion sur les fondements de la légitimité. Elle fait apparaître la démocratie et la justice sociale non plus seulement comme valeurs éthiquement souhaitables mais comme démarches systémiquement nécessaires, dans un monde d’agents hétérogènes, aux capacités cognitives limitées, soumis à un temps non réversible et confrontés à un environnement qui n’est pas stationnaire ».

  2. Peretz

    Il me semble que le vrai pb est comment les pays de la zone euro, et même de l’U.E vont revenir à leurs économies réelles. Or si l’on voit la Grèce qui subit les affres imposés par les traités de l’U.E, on peut dire que ça ne pourra être pis. Il y aura donc une partie des pays du sud qui auront une période d’ajustement troublée, mais rapidement rien ne deviendra plus grave que ce qu’ils subissent actuellement au niveau social. Et c’est là où il faut en venir. Ce point à été un peu abordé par les deux participants, mais je crois de façon insuffisante. »On » nous promet des catastrophes, mais on y est déjà pour une bonne partie de la population. Toujours les mêmes

    • Paul VINCENT

      Lu avec grand intérêt cette chronique et en particulier ceci :

      “ Le financement massif du développement ne permet pas d’effacer rapidement les écarts de compétitivité : il faudrait dix ans, sans certitude de réussite. « Dix ans, c’est rien du tout ! » s’exclame Jean-Luc Mélenchon qui semble oublier que les peuples concernés n’attendront pas dix ans, ni même cinq, une amélioration de la situation économique et sociale. “

      Cette capacité de patience que Jean-Luc Mélenchon prête aux autres, mais que l’on n’observe pourtant guère chez les politiques, me rappelle un souvenir vieux de 40 ou 50 ans, après la fin de la guerre d’Algérie.
      J’avais été invité à un colloque présidé par Edgar Pisani, qui se tenait je crois à l’Unesco, sur le “Développement” ou sur un thème de ce genre. On y côtoyait des représentants d’ONG venus exposer des solutions cas par cas à court terme et de plus hauts personnages proposant des stratégies globales à long terme genre plans quinquennaux successifs : un plan de 5 ans pour l’énergie, un autre pour la sidérurgie, etc., et entre le moment où l’on commençait à s’industrialiser et le moment où l’on pouvait trouver des clous, il s’écoulait 20 ans, ce qui m’apparaissait comme un sérieux inconvénient. J’avais comme voisin d’amphi un polytechnicien algérien qui, n’ayant pas beaucoup de compatriotes de ce niveau, s’était trouvé tout naturellement propulsé à la tête de la Sonatrach ( Société Nationale pour la Recherche, la Production, le Transport, la Transformation, et la Commercialisation des Hydrocarbures) la plus grosse entreprise publique du pays. Nous avions sympathisé au cours du colloque et nous étions sortis ensemble jusque sur le trottoir. Notre conversation s’était terminée sur cette remarque que j’avais faite et à laquelle il m’avait répondu : “ Nous en avons bavé pendant 130 ans avec la colonisation, nous ne sommes plus à 20 ans près”. Puis, ayant fort aimablement pris congé, il s’était engouffré dans une voiture officielle dont un chauffeur au garde-à-vous venait de lui ouvrir la portière. J’avais aussitôt compris que lui ne n’était pas à 20 ans près, mais je ne m’étais pas trop étonné non plus lorsque, quelques mois après, avaient en Algérie éclaté des émeutes.

  3. Didier BARTHES

    Cruel dilemme: je suis de gauche, même très a gauche et convaincu de la nécessité de sortir au plus vite de l’euro. malheureusement le seul parti qui la propose est le FN. Faut il voter pour ce parti nauseabond par ailleurs ou pour des partis qui nous mènent inexorablement dans le mur ??