Lettre ouverte à Roland Castro

Fév 24, 2006 | Res Publica

Lettre à l’insurgé

 Architecte, militant très engagé dans le mouvement de 1968, ancien animateur de « Banlieues 89 » pendant les septennats mitterrandiens, Roland Castro n’a pas renié ses convictions premières ni déserté le combat politique..

Après avoir milité au sein de grands partis de gauche, qui l’ont déçu, Roland Castro a déclaré sa candidature à l’élection présidentielle. Ce nouvel engagement n’attire pas seulement la sympathie : ce candidat a été le seul à publier un manifeste « pour une insurrection du sens » et les éléments d’un programme qui a fait l’objet, aux Mercredis de la NAR, d’un débat qui trouve ici son prolongement.

Cher Roland,

Te voici candidat. Comme je t’ai précédé dans cette démarche politique, je veux te dire ma sympathie. Ta quête des signatures d’élus sera plus difficile que la mienne car depuis les années soixante-dix la classe dirigeante a multiplié les obstacles administratifs aux candidats imprévisibles et incontrôlables qui sont, de surcroît, frappés d’interdit par les partis et victimes de la présélection arbitraire effectuée par les médias. Il est logique que Ségolène Royal, qui n’a rien à dire, soit promue. Il est non moins logique que tu sois exclu puisque tu témoignes pour le sens.

Or quoi que l’on pense de ta personne, de tes aventures militantes et de tes idées, les conditions dans lesquelles tu t’engages, sans soutiens financiers ni partisans, confirme une triste vérité : la démocratie est de plus en plus étouffée par le poids de l’oligarchie. Voilà pourquoi ta candidature, en tant que telle, mérite respect et encouragements.

Cela dit, mon rôle n’est pas de distribuer les médailles du mérite. Ta candidature m’intéresse et devrait intéresser le peuple français : elle constitue une véritable provocation parce qu’elle incite tous et chacun à prendre la parole.

Les occasions sont rares. Je saisis celle que tu nous présentes. Mais ce n’est pas pour te faire toujours des compliments ni célébrer nos affinités intellectuelles.

Commençons par ce dernier point. Toi gauchiste. Moi royaliste. Pour n’importe quelle dinde ou dindon médiatique, tout nous sépare. C’est bien sûr plus compliqué et plus passionnant.

Tu désignes les trois sources de ton engagement politique – communiste, libertaire, gaullienne.

Karl Marx ? Pour nous, c’est non, décidément non, même si notre classe dirigeante est aujourd’hui conforme à la caricature qu’en donnaient les pires romans staliniens. Comme Marcel Gauchet nous l’expliquait, nous sommes aujourd’hui plongés dans l’économisme marxiste et nos irresponsables dirigeants sont en train d’organiser le dépérissement de l’Etat. Mais nous comprenons la manière dont tu t’inscris dans la tradition communiste telle qu’elle subsiste dans le peuple français : le communisme comme ferveur patriotique transcendée par la Résistance – par l’amour de la Liberté – et comme exigence radicale de justice sociale. Je me souviens du comte de Paris accueillant Roger Pannequin, Résistant et communiste exemplaire, et de leur conversation immédiatement amicale…

La tradition libertaire ? Encore non, malgré un vieux sentiment personnel pour le syndicalisme d’action directe. Mais nous avons vu, dans l’Albanie de 1997, après l’effondrement des pyramides de crédit, ce qui se passe quand l’Etat disparaît complètement : ce n’était pas « à chacun selon ses besoins », mais à chacun selon sa Kalachnikov et la guerre de tous contre tous avec prime aux mafias.

Tu dis que l’esprit libertaire vaut par sa critique de la bureaucratie. Mais il suffit qu’on ait la volonté d’appliquer l’article 15 de la Déclaration de 1789 : « La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration ». Ce qui me fait penser à une formule de Sieyès : comme lui, nous voulons un roi pour nous épargner la soumission à un Maître.

La tradition gaullienne ? Nous ne sommes peut-être pas d’accord sur toutes les leçons à tirer des pensées et des actes du Général mais je pense comme toi qu’il faut militer sur le mode gaullien : tu dis très bien que ce sont les paroles justes du chef d’une infime minorité qui sont devenues le projet commun inscrit dans le programme de la Résistance. Oui, l’insurrection parisienne est une utopie en 1943, qui se concrétise en 1944. Cela nous donne d’autant plus de cœur au ventre que nous n’avons pas à combattre une armée d’occupation et de terreur mais une poignée d’oligarques tenaillés par la peur. Souvenons-nous que les deux seules révolutions réussies (1944-1946 et 1958-1962) ont été gaulliennes. Comme de Gaulle était monarchiste, espérant la royauté, et comme tu es gaulliste à ta manière, nous pouvons bien nous comprendre et combattre ensemble.

J’en viens à nos désaccords qui portent principalement sur la monarchie –

c’est-à-dire sur les institutions de la République – et non sur le royalisme qui implique fidélité à un principe dynastique incarné. Je ne te demande pas une profession de foi royaliste, mais seulement d’être cohérent avec toi-même.

La soixante-seizième de tes « 89 propositions pour restaurer le lien social » dit qu’il faut « en finir avec la monarchie républicaine ». Gaulliste déclaré, te voilà en contradiction totale avec la tradition gaullienne !

Pourquoi ? Parce que la souveraineté populaire adopte en 1958 une Constitution qui s’affirme en 1962 (décision sur l’élection du président au suffrage universel) comme une monarchie élective, républicaine puisque le souci de l’intérêt général est prédominant. La plupart des juristes admettent cette définition, qui correspond bien à la doctrine exprimée par le général de Gaulle.

Cette monarchie républicaine est indispensable à notre système de dissuasion nucléaire, dont tu souhaites avec raison le maintien. Et la priorité donnée à l’intérêt général, juridiquement garantie par les fonctions du chef de l’Etat, sont nécessaires aux services publics qu’il nous faut rétablir ou créer. Les actions internationales que tu souhaites sont également impensables sans les institutions de la 5ème République qu’il nous faudra restaurer et rénover selon la logique capétienne qui les inspire.

Très vite, je te signale mon désaccord sur la suppression du devoir de réserve des fonctionnaires (la prudence est une vertu politique éminente, il existe des secrets d’Etat qui sont protégés dans l’intérêt public) et, surtout, sur la suppression de l’ENA. L’Etat républicain-monarchique a besoin d’une élite de grands commis préparés à obéir aux injonctions du pouvoir politique : le problème n’est pas l’ENA mais la prise du pouvoir par des énarques formés au service de ceux qui décident, ce qui explique que les actuels « décideurs » se contentent de faire carrière sans rien décider. Cela n’empêche pas de réformer l’ENA dans le sens d’une démocratisation de ses voies d’accès.

J’aurais encore bien des observations critiques à t’adresser (« Droit d’ingérence », de qui et pourquoi ? « Illégalité de la famine », c’est trop facile à proclamer) mais j’ai hâte d’énumérer nos points de convergence :

Tu proposes de créer de nouveaux services publics (de l’eau, de la recherche médicale, du bâtiment et de la ville) ; ce sont là de bonnes idées mais nous pensons quant à nous qu’il faut débattre d’un nouveau programme de nationalisations ou de renationalisations des secteurs et des entreprises stratégiques ( crédit, énergie, télécommunications, grands systèmes de transports publics…) ; ce programme est indispensable au plan de croissance à court terme et de développement à moyen terme que l’Etat aura à mettre en œuvre.

A propos de plan, nous proposons de reprendre l’idée d’une planification démocratique associant confédérations syndicales et organisations professionnelles à l’élaboration du projet économique national.

Autre bonne idée : le « plan keynésien de grands travaux en Europe », avec « lancement d’un grand emprunt ». Il faudra le faire, mais cela suppose une révolution des structures politiques, financières et monétaires de l’Union européenne. Ce n’est pas impossible, car il existe, en dehors d’une extrême gauche qui ne peut rien comprendre à cause de sa haine de l’Etat et des nations, des forces révolutionnaires – en Allemagne, en Italie par exemple.

Dans l’ordre institutionnel, la réforme du Sénat nous paraît comme à toi nécessaire et il me semble que nous pourrions nous rejoindre sur ce point car nous avions proposé il y a quelques années que la seconde assemblée soit élue à la proportionnelle afin que toutes les familles politiques de la nation soient représentées et puissent participer à l’activité législative. Il faudra interdire au Premier ministre de se présenter à l’élection présidentielle qui suit sa prise de fonction, afin qu’il puisse se consacrer pleinement à sa tâche.

Ce sont là de vastes projets mais tu exiges aussi des mesures de justice qu’il serait facile de prendre immédiatement. Par exemple la « fin du double mépris dont sont victimes les harkis », la « réparation de la discrimination dont sont victimes les anciens combattants des ex-colonies : pension égale et attribution de la nationalité française » ou encore l’augmentation massive du Smic.

Mes amis me reprocheront peut-être de n’avoir pas suffisamment pointé ce qu’il y a de simplement proclamatoire dans ton programme (« Lutte mondiale pour la laïcité, désarmer les fanatismes » : c’est bien mais on fait comment ?) ni souligné les violentes polémiques qui surgiraient au sein d’une commission chargée d’ « informer du caractère délictueux du contenu esclavagiste, sexiste, raciste, antisémite, homophobe de certains textes des religions du livre ».

Tu me diras que tu attendais mes réactions sur ton idée de déclaration universelle des devoirs de l’homme (vieux débat…) et sur ta proposition de service civil obligatoire pour les garçons et les filles. Cela mérite effectivement réflexion et débats approfondis, entre nous autres royalistes et avec toi.

Je n’ai pas besoin de t’y convier, cher Roland. Tradition d’hospitalité : tu es ici chez toi.

***

Article publié dans le numéro 877 de « Royaliste »- 2006

Partagez

0 commentaires