Lettre à Laurent Bouvet sur la République

Déc 30, 2015 | Res Publica

 

Cher Laurent Bouvet,

Dans un entretien avec Alexandre Devecchio (1), vous donnez une définition de la République qui interpelle les royalistes : « Qu’est-ce que la République en France, au-delà du régime républicain lui-même ? C’est notre contrat social, notre pacte civique et ce qui définit notre commun. C’est même d’abord cela puisque même un royaliste qui serait opposé à la forme républicaine du régime peut adhérer aux principes qui définissent notre commun » – et vous citez la Nation, le drapeau tricolore, la Marseillaise, la laïcité, le droit de la nationalité. Je souscris à votre définition mais je voudrais discuter le commentaire que vous en faites.

Oui, bien sûr, la République est notre « commun », je dirais même à l’ancienne notre bien commun, un « bien » qui est ce que nous avons en propre, une propriété indivise constituée de pensées plus que millénaires – judaïsme, aristotélisme, christianisme – et des philosophies modernes de la souveraineté, de la légitimité, de la justice, de la liberté… La Nouvelle Action royaliste habite cette maison commune qu’elle tente de préserver, avec les autres républicains, de l’oligarchie, de la guerre civile et de plusieurs formes d’aliénation. L’une des fonctions de la NAR est d’ordre symbolique : il s’agit pour elle de trouver toujours plus de commun, de relier ce que les extrémismes monarchisants et républicanistes avaient abusivement séparé.

La nation ? N’oublions pas que son acte de naissance est l’élection d’Hugues Capet en 987. Les droits de l’homme ? Notre Déclaration de 1789 est l’œuvre d’une Assemblée qui ne remettait pas en question la royauté. Notre première Constitution républicaine, celle de 1791, est celle d’une monarchie. Le drapeau tricolore est d’abord celui de la Révolution avec le roi et c’est aussi le drapeau de la Monarchie de Juillet. Nous ne sommes pas seuls à affirmer cela. Blandine Kriegel a rétabli la généalogie de la République et Jacques Sapir, dans son nouveau livre, réfléchit sur la souveraineté (2) en compagnie de Jeanne d’Arc, de Jean Bodin, d’Henri IV…

La laïcité ? Elle n’était pas concevable hors du christianisme et son histoire n’est pas intelligible sans le long conflit entre le roi de France et la Papauté dont l’enjeu est la distinction des domaines spirituel et temporel…qui n’a certainement pas été réglée par la Révolution française.

Le droit du sol ? C’est un principe essentiel de notre tradition républicaine – au sens du bien commun – mais trop de républicains y voient une valeur de gauche alors que le droit du sol a été reconnu par deux arrêts du Parlement de Paris au 16ème siècle. Mieux vaudrait évoquer la tradition nationale et surtout inscrire le droit du sol dans la Constitution comme le souhaite la Nouvelle Action royaliste.

Mais la « forme républicaine du Gouvernement » ? Elle ne pose aucun problème pour un royaliste de la NAR : ce sont les mots inscrits à l’article 89 de notre Constitution qui posent problème ! La forme républicaine n’est pas définie et ne saurait l’être négativement comme une anti-monarchie (ce fut souvent le cas !) puisque nous sommes depuis 1962 dans une monarchie élective. La République, c’est donc le bien commun qui intègre le bien public et le bien vivre selon notre bloc de constitutionnalité dont nous sommes les fervents défenseurs. Quant au Gouvernement (avec une majuscule), il faudrait s’entendre. S’agit-il du gouvernement qui « détermine et conduit la politique de la nation » ? Notre conception de la monarchie royale est démocratique et parlementaire : le gouvernement qui procède de la représentation nationale issue du suffrage universel entre dans notre conception du pouvoir politique. S’agit-il du « gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple » (sans majuscule) ? C’est le principe de la République, qui ne dit rien du système des médiations politiques qui permet ce gouvernement. Si la médiation royale établie par le peuple souverain garantit mieux que la présidence quinquennale le fonctionnement régulier des institutions politiques, elle est républicaine au sens de Jean-Jacques Rousseau : « tout gouvernement légitime est républicain ».

Il faut d’abord rétablir les principes de la légitimité politique, cher Laurent Bouvet. Nous verrons ensuite comment elle peut s’incarner.

***

(1)    Figaro Vox, 23 décembre 2015. Laurent Bouvet a récemment publié L’insécurité culturelle (Fayard, 2015), présenté dans le n° 1077 de « Royaliste ».

(2)    Jacques Sapir, Souveraineté, démocratie, laïcité, Michalon, 2016.

Editorial du numéro 1091 de « Royaliste » – 2015

 

Partagez

0 commentaires