L’étrange capitulation des socialistes

Juin 9, 2013 | la lutte des classes

Dans son nouveau livre, Laurent Mauduit montre avec précision comment les électeurs de François Hollande et du Parti socialiste ont été trompés. Son interprétation de l’attitude des dirigeants de gauche mérite un débat que l’histoire tranchera.

Après les imposteurs de l’économie (1), voici les imposteurs de la politique. Un an après la victoire des socialistes, la liste de leurs reniements est aussi longue que consternante. Nous la connaissons par cœur mais il faut revivre chapitre après chapitre après chapitre l’histoire du reniement quasi-méthodique de toutes les promesses de campagne : enterrement de la réforme fiscale, abandon de Florange, vote du nouveau traité européen signé par Nicolas Sarkozy, alignement sur les thèses du patronat en matière de salaires et d’emploi, nomination à des postes-clés de représentants du capitalisme industriel et financier…

Il ne s’agit pas d’un pamphlet. Le livre de Laurent Mauduit (2), solidement documenté, est inscrit dans l’histoire de la gauche au 20ème siècle et s’inspire de Marc Bloch : L’étrange capitulation fait écho à L’étrange défaite que l’historien-combattant écrivit après Mai 1940 pour dire que l’armée française avait été battue par la faute de la caste militaire et parce que les élites étaient entrées dans la voie du renoncement bien en avant l’offensive allemande. En 2012, nous dit Laurent Mauduit, les hollandistes ont mentalement capitulé pendant la bataille – François Hollande donnait déjà des gages à l’adversaire, par exemple sur l’austérité – et ils ont politiquement capitulé malgré leur victoire. Pourtant, cette victoire était écrasante puisqu’ils tiennent l’Elysée, Matignon, le Parlement, la plupart des régions et la majorité des départements !

C’est là une bien étrange attitude : Léon Blum s’était battu avant de succomber, il avait fallu deux ans pour que Pierre Mauroy prenne résolument le sinistre tournant de la rigueur et Lionel Jospin avait reculé étape par étape avant de se faire éliminer au premier tour en 2002. Pourtant, il y avait eu en 1936 et en 1981 un formidable élan populaire… Pourtant, Lionel Jospin avait le désir de rompre avec la dérive ultralibérale des années Mitterrand…

Les rappels de Laurent Mauduit sont très utiles, mais entachés d’une vieille passion antigaulliste. Ainsi, le général de Gaulle, appelé par René Coty à former un gouvernement qui fut régulièrement investi, aurait effectué en 1958 un coup d’Etat ? Ainsi, la République gaullienne, issue d’un référendum et consultant régulièrement le peuple, serait antidémocratique ? Laurent Mauduit dénonce la « monarchie républicaine » sans prendre en considération ce que les nouvelles institutions ont effectivement rendu possible après 1958 et en oubliant de dénoncer les effets désastreux de la réduction du mandat présidentiel.  La rétrospective politique s’en trouve faussée. Quant à l’analyse économique, elle laisse à désirer : Laurent Mauduit souligne à juste titre les effets désastreux des privatisations et de la financiarisation de l’économie mais il ne met pas en évidence le basculement qui s’est opéré lors du passage à l’euro sous l’égide de Jacques Chirac et de Lionel Jospin. C’est autour de l’an 2000 que les dirigeants de la droite et de la gauche se constituent en une oligarchie qui défend, avec des nuances destinées à satisfaire les électeurs du PS et du RPR, la même absence d’alternative économique et financière : l’euro n’est pas seulement la monnaie de l’Allemagne social-démocrate et chrétienne-démocrate : c’est aussi la monnaie de la classe dominante, celle qui permet de maintenir le peuple sous le carcan.

La capitulation des socialistes en 2012 est étrange parce qu’ils ont semblé capituler. Certains dirigeants s’étaient ralliés dans les années quatre-vingt d’autant plus facilement qu’ils appartenaient à la haute bourgeoisie – par exemple Laurent Fabius – tandis que d’autres s’alignaient sur l’idéologie dominante – on a reconnu Pierre Bérégovoy. L’influence déclinante du Parti communiste explique pour une part cette dérive, couverte par le discours européiste et les artifices de la communication. Les dirigeants socialistes ont plus ou moins cru au mythe de l’intégration européenne mais tous, flattés d’appartenir au club bruxellois, ont adopté le langage conforme et l’idéologie qu’il véhiculait. Il y a eu consentement, pour reprendre le mot choisi par Laurent Mauduit. Consentement aux « marchés » et aux contraintes de l’Europe ultralibérale après les réticences manifestées par une partie de l’appareil socialiste lors du référendum de 2005. Par glissements successifs, le consentement a pris la forme d’un mol abandon – au sens où l’on cède aux séductions de l’argent, du confort ou tout simplement au plaisir que vous procure l’estime d’autrui, en l’occurrence l’approbation hautaine de la chancelière allemande. D’où le paradoxe inouï de la capitulation avant, pendant et après la victoire électorale qui s’explique si l’on abandonne la métaphore militaire : nous avons eu en 2007 et en 2012 une course vers le pouvoir de deux fractions de l’oligarchie qui se disputent le contrôle d’un système qu’il n’est pas question de changer ni même de modifier. Les hollandistes n’ont pas capitulé devant l’adversaire : ils étaient et demeurent partie prenante dans l’entreprise oligarchique. Les électeurs de François Hollande ont raison de proclamer qu’ils ont été trahis.

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(1)  Laurent Mauduit, Les imposteurs de l’économie, Editions Jean-Claude Gawsewitch, 2012. Voir « Royaliste », n°1014.

(2) Laurent Mauduit, L’étrange capitulation, même éditeur, 2013.

Article publié dans le numéro 1037 de « Royaliste » – 2013

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