Les trois sources de la légitimité par Luc de Goustine (Billet invité)

Déc 30, 2016 | Res Publica | 3 commentaires

A l’avant-veille d’une élection présidentielle, entendons-nous sur la Constitution (1).

Elle a pour but de définir les conditions qui permettent à la nation d’exercer sa souveraineté : à l’intérieur – comme res publica – au service du bien commun de ses membres ; à l’extérieur comme nation dans l’espace international, au service de sa mission particulière entre les puissances de la planète.

La Constitution française est couramment remise en question. Elle l’est par sa pratique, du fait des conséquences de la réduction intempestive du mandat présidentiel. Et elle l’est dans son esprit, certains politiques conditionnant la réalisation de leurs projets à l’avènement d’une VIe République[2]. Ces contestations et réflexions sont nées et se déroulent sur un fond de malaise découlant du constat de la dégradation croissante de la Ve République.

De leur côté, des royalistes qui n’ont pas moins le souci de la République, s’interrogent sur la forme que revêtirait l’accession d’un prince à la tête de l’État. En quoi cette novation serait-elle un progrès institutionnel et politique ? C’est l’heure de faire plus largement partager cette réflexion.

Telle qu’elle fut fondée sous le général de Gaulle, cette République se distingue entre autre des précédentes par le fait qu’elle reconnaît une pluralité de sources de légitimité et les instaure dans la représentation de la souveraineté nationale.

– Celle qui émane d’élections législatives prolonge la tradition parlementaire ébauchée par la Révolution de 89 et mise en forme sous la Restauration.

– Celle née de l’élection du Président de la République au suffrage universel réhabilite l’incarnation personnelle de l’exécutif issue de la tradition monarchique et caricaturée par les dictatures impériales.

– Enfin, la part faite aux procédures référendaires reconnaît le rôle direct que peut jouer l’opinion populaire dans les grands choix de la nation.

Le point névralgique du système était dans l’équilibre à conserver entre le président et le Premier ministre issu de la majorité parlementaire à l’Assemblée. Certes, élus tous deux au suffrage universel et jouissant du même degré de légitimité, ils ont des missions distinctes qui ne devraient pas les mettre en rivalité :

– L’un, à la tête de l’État, règne au long terme sur les grandes orientations en politique étrangère, défense nationale et institutions.

– L’autre, choisi dans la majorité parlementaire et légitimé par le Président qui le nomme, lui et ses ministres, gouverne le pays selon le programme politique majoritaire.

Or, au lieu d’accepter ce dualisme comme un dialogue institutionnel né d’une heureuse synthèse historique, et faute d’assumer cette « cohabitation » alliant le moyen terme au temps long à la direction du pays, certains ont présenté comme une « ratée » un fâcheux accident, ce qui était le symbole d’une démocratie française enfin équilibrée. Ils peuvent le regretter à présent : les récents gouvernants n’ont cessé de ramener tout le pouvoir au Président.

Effet paradoxal. Réduit du septennat au quinquennat, tantôt enchaîné à, tantôt asservissant une majorité parlementaire rebaptisée « présidentielle » qu’il a reçue en dot obligée de la proximité des échéances électorales,  réduisant lui-même le premier ministre au rôle de « collaborateur » ou premier commis, le Président de la République est devenu un factotum hagard, toujours à la remorque d’événements qu’il fait semblant de maîtriser, et tentant de compenser ses impuissances par une mimétique autoritaire héritée du bonapartisme.

Les maux qui en découlent – sans parler des ridicules – sont légion. Nul ne sait plus où s’élabore la visée politique puisqu’elle n’est pas dans les promesses fatalement démagogiques du futur Président en campagne, pas plus que dans les programmes des partis siégeant à l’Assemblée qui ne sont plus, même symboliquement, reflétés par les actes du Premier ministre. La vérité se fait jour que la Constitution française ainsi réinterprétée échappe au politique et sert de paravent au règne d’oligarchies inavouables.

Pour ceux qui préconisent l’alternative royale, il est clair que l’accession du Prince à la Présidence de la République comme l’envisageait le défunt Comte de Paris signifie, non pas la « restauration » d’une « monarchie d’Ancien régime » qui n’est qu’un mythe, tant elle prit de formes diverses au cours du temps, mais la réinvention de la tradition républicaine.

En effet, l’accord populaire ayant scellé l’accession de la lignée du Prince à la magistrature suprême, il en incarne à vie la pérennité sans être lié par d’autres promesses que celle d’épouser fidèlement le destin de la France. A ce destin sont effectivement liés les champs régaliens qui touchent à la survie nationale. Il ne s’agit en rien de « domaines réservés » car le gouvernement les met en œuvre et en répond devant le Parlement – mais de dossiers qui exigent une gestion de long terme et qui ne souffrent pas d’être abandonnés – par exemple, entre deux échéances électorales – où, en cas de crise grave, où le prince serait habilité à recourir à l’arbitrage du peuple. A ces dossiers de fond correspondent évidemment les réformes territoriales actuelles, que l’on frémit de voir traitées avec un tel degré d’impréparation et votées à la hâte sous une forme incomplète, au terme de compromis bassement électoraux.

La présence d’un tel Président, qui ne doive rien aux appartenances partisanes, serait le ferme appui et le conseil permanent d’un Premier ministre enfin libre, comme le lui prescrit la Constitution, de « déterminer et conduire la politique de la nation ». Le Parlement lui-même en verrait sa dignité renforcée puisqu’il aurait le pouvoir réel et non simulé de renverser le gouvernement – sans mettre en cause comme aujourd’hui, le chef d’État lui-même – avec la certitude que celui-ci nommera un nouveau chef de gouvernement issu de la majorité nouvelle. Ce sera là, aux yeux des républicains traditionnels qui déplorent l’actuelle aliénation du pouvoir, une véritable restauration de la démocratie parlementaire, modérée et équilibrée par un exécutif disponible et permanent.

Enfin, la voix populaire, qui peut, selon les circonstances, s’exprimer de diverses manières – que ce soit par l’usage réglé du référendum ou celui, volontairement méconnu, de l’abstention ou boycott,  voire celui de l’insurrection que l’histoire a souvent légitimé après coup, cette voix populaire serait reconnue dans sa légitimité essentielle et son droit de remontrance aux puissants. Il n’est pas interdit de penser que l’on pourrait accroître son pouvoir par la capacité – au-delà de la Question prioritaire de constitutionnalité – de révoquer certains élus de leur fonction. Son médiateur politique serait, à ce titre, le Prince comme observateur témoin de la vie des citoyens. A ce même titre, le Prince présiderait symboliquement les principales institutions arbitrales de la nation, du Conseil constitutionnel au Conseil supérieur de la Magistrature de l’indépendance desquels il est garant.

L’entrée d’un prince dans le rôle clé de Chef d’État en France n’est donc aucunement de l’ordre de la fiction. Au contraire, elle répond à des interrogations pressantes du peuple et de la classe politique quant à l’incarnation du service suprême : comment peut-il être à la fois symbole du pouvoir en exercice et de la citoyenneté vécue ? N’est-il pas par nature voué aux rivalités d’ambition, à la conquête perpétuelle de nouveaux privilèges ? Le naufrage éventuel de celui qui l’exerce ne jette-t-il pas le discrédit sur tous les gouvernants ? L’exercice paisible de la fonction présidentielle est-il possible ? Serait-il libérateur d’énergies citoyennes et de valeurs démocratiques ?

Il nous semble qu’au sein des trois sources de légitimité énumérées plus haut le Prince peut présider activement à l’harmonie entre le peuple et ses gouvernants.

L’expérience séculaire de la République aura démontré, sans polémique, que le seul privilège conservé par la royauté est d’offrir, gratuitement, ce service à la Nation.

Luc de GOUSTINE



[1] Une première mouture de ce texte a paru dans La Nouvelle Revue universelle n°40, printemps 2015.

[2] www.marianne.net/Contre-la-privatisation-de-la-Constituante_a242631-html

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3 Commentaires

  1. Hervé RUMIN

    Belle démonstration de l’impasse institutionnelle dans laquelle le quinquennat nous a placés ! Et novatrice approche de ce que pourrait être une République française « couronnée », loin des fantasmes qui sont très souvent véhiculés lorsqu’il est question de monarchie dans notre pays.

    Toutefois, je ne crois pas que l’on puisse dire que la Vème République « se distingue entre autre des précédentes par le fait qu’elle reconnaît une pluralité de sources de légitimité ».

    Elle ne reconnaît qu’une seule source de légitimité : celle issue du suffrage universel, à travers le référendum ou à travers l’élection, directe ou indirecte, à des mandats de représentation de la Nation.

    Quant à la « souveraineté nationale », celle-ci n’est pas « représentée » par diverses « sources de légitimité » ; elle est tout simplement « exercée » par le Peuple à qui elle « appartient ».

    Par ailleurs, je ne pense pas qu’on puisse dire du Président et du 1er Ministre qu’ils sont « élus tous deux au suffrage universel » et qu’ils jouissent « du même degré de légitimité ». L’un est l’élu direct du Peuple tandis que l’autre est nommé par l’élu du Peuple. Cela fait une différence notable, et c’est cette différence qui rend le quinquennat délétère : sauf dissolution devenue improbable en cours de mandat présidentiel et arrivée d’une majorité parlementaire opposée au Président, le 1er Ministre ne peut alors qu’être un « collaborateur » du Président.

    Le retour au septennat permettrait au moins de retrouver une Vème République plus gaullienne, même si le septennat ne garantit pas un authentique rôle d’arbitrage du président.

    Quant à la solution couronnée, elle est certes, sans jeu de mot, très séduisante sur le « principe » ; et c’est bien parce que le chef de l’Etat ne serait plus élu pour un temps réduit que le 1er Ministre pourrait retrouver un rôle central dans la conduite régulière des affaires publiques.

    Mais il faudrait pour cela que le Peuple français accepte majoritairement et durablement qu’un Prince de France accède à la présidence de la République, et qu’il accepte également que la Constitution organise, à l’avenir, une règle de succession écartant l’utilisation régulière du suffrage universel pour désigner le chef de l’Etat.

    Notre République ne reconnaissant qu’une seule source de légitimité, l’on voit mal comment le successeur pourrait se dispenser de fonder sa légitimité à représenter à vie la Nation sans en passer par l’onction du suffrage universel direct.

    Le défunt comte de Paris est évoqué, Prince issu des Bourbons-Orléans héritiers historiques du trône de France. Mais il n’est pas parvenu à ses fins, et il est loin d’être certain que ses descendants envisagent même de recevoir l’onction du suffrage universel pour présider la République, car c’est bien de cela dont il s’agirait.

    La pédagogie sur les bienfaits de la fonction arbitrale du chef de l’Etat est indispensable, et elle ici faite avec un certain brio, mais on peut craindre qu’elle soit vaine si les Princes qu’elle devrait interpeller restent aux abonnés absents aux yeux d’une immense majorité des Français.

    • Goustine

      Ces remarques ont le mérite d’attirer l’attention sur la relative ambiguïté du concept de pluralité de sources s’agissant de la souveraineté. Partant du principe de la souveraineté du peuple, il nous paraît cependant relever d’un certain « idéalisme démocratique » de prétendre que le peuple « exerce » sa souveraineté. En réalité – sauf prise d’action directe, insurrectionnelle – le peuple « exprime » sa souveraineté de diverses manières qui ont autant de formes constitutionnelles. Les consultations électorales visant à élire le président de la République, les parlementaires, ou à trancher d’une question par référendum font appel à des motivations différentes qui provoquent d’ailleurs souvent des clivages divers.
      Ce sont donc autant de « canaux », sinon de sources, qui doivent se conjuguer entre elles pour que la nation soit gouvernée et c’était l’un mérites de la Véme République. Nous nous accordons ici sur le fait que le quinquennat l’a déséquilibrée ; et que ce n’est pas seulement par la différence de durée, mais par une poussée autocratique ou bonapartiste, visant à concentrer les pouvoirs entre les mains du Chef de l’Etat, réforme qu’on pourrait bien, en parodiant Mitterrand qualifier de « coup d’état permanent ».
      De là à présenter la solution royale comme un remède radical et une pure et simple restauration de la démocratie, c’est la conclusion que nous pensons pouvoir faire partager.
      Sans préjuger de la disponibilité des princes… ce qui est un tout autre sujet.

      • Hervé RUMIN

        Il me semble qu’il faut être précis.
        Notre loi fondamentale nomme le peuple comme seul détenteur de la souveraineté nationale. « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum. Aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice » (article 3 de la Constitution).
        Elle ne reconnaît qu’une seule souveraineté, la souveraineté nationale.
        Cette souveraineté nationale s’éprouve d’abord à travers les relations inter-nationales, et c’est le peuple seul qui décide, à travers l’expression du suffrage universel et en dernière analyse, qui est légitime à représenter la nation et, au sens large, conduire la politique de la nation en son nom (le chef de l’Etat, les parlementaires).
        Il n’y a rien d’un « idéalisme démocratique » dans cette approche, qui résulte simplement de la mise en oeuvre de nos principes constitutionnels.
        Si un jour une « solution couronnée » est mise en oeuvre, c’est que le peuple français aura librement constaté et décidé qu’il en allait de « l’utilité commune » (article 1er de la DDHC de 1789) qu’une nouvelle règle de désignation du chef de l’Etat soit mise en place, qui ne saurait à mon sens évacuer totalement l’expression formelle du suffrage en début de mandat (une sorte de « sacre » permettant de confirmer la vocation de la dynastie au service du bien commun). Aucun individu ne se sera ainsi « attribué » de lui-même l’exercice de la souveraineté nationale et le président-roi ne sera jamais qu’un représentant pérenne de la nation positionné dans les fonctions arbitrales prévues à l’article 5 de notre Constitution.
        Dans cette perspective, la question de la « disponibilité des Princes » ne me semble tout de même pas totalement être un « tout autre sujet » tant la monarchie royale implique une incarnation, ici et maintenant.