Les « petits mensonges » de Lionel Jospin

Nov 1, 1999 | Res Publica

Tous menteurs ! Cela ressemble au « tous pourris » des démagogues. Massive, aveugle, irresponsable, l’accusation fait fuir les citoyens avertis. Et qui la reprend en son for intérieur, les soirs de grande colère, a tôt fait de se reprocher sa malveillance ou de s’interroger sur son équilibre mental.

Il en va pourtant du mensonge politique comme de la corruption. On a beau détourner les yeux, la chose prolifère et devient envahissante. Comment oublier que le candidat Chirac a conquis l’Elysée sur le discours de la « fracture sociale », rejeté quelques mois plus tard ? Comment négliger les contradictions entre les promesses faites par Lionel Jospin avant 1997 et les décisions qu’il a prises depuis qu’il est à Matignon ?

L’analyse comparative est accablante pour la direction socialiste (1) et il ne se passe pas de semaine sans que nous assistions à un reniement, à une manipulation de concepts, à une présentation fallacieuse de statistiques, à un jeu de mots destiné à masquer un ralliement à l’idéologie néo-libérale. On se souvient que la flexibilité fut rejetée au profit de la souplesse, simple synonyme, on devine que l’épargne salariale sert de couverture aux fonds de pension, on n’a guère prêté attention au communiqué des syndicats du ministère des Affaires sociales, dénonçant au printemps dernier le trucage systématique des chiffres publiés.

Mais à quoi bon décrire plus longuement les formes et les techniques du mensonge ? Dans les milieux dirigeants, il est acquis depuis belle lurette que la vérité et la conviction n’entrent pas en ligne de compte, puisque tout est affaire de bonne ou de mauvaise « communication ». Il n’y a donc pas d’erreur ou de faute, mais de simples maladresses dans l’expression, ou l’effet du mauvais travail accompli par le journaliste de service. Ainsi fut expliqué au mois de septembre l’aveu d’impuissance de Lionel Jospin, vite corrigé par une déclaration « volontariste » qui n’a rien changé à la ligne gouvernementale (2).

S’il n’y a pas de vérité, comment pourrait-il y avoir mensonge ? La communication arase tout dans le brillant du verbiage. Confrontés à cet effacement de la parole donnée, nous pouvons cependant la retrouver sans trop de peine, et en appeler à l’opinion publique. Ce que nous faisons, comme tant d’autres journalistes.

Mais certains ont trouvé la parade. Dans une chronique vieille de deux ans (3), Alain Lebaube expliquait la popularité de Lionel Jospin, qui abandonnait déjà son programme, par « une curieuse alchimie (….) due à une série de petits mensonges que l’opinion serait en mesure d’entendre et de comprendre » parce qu’elle serait en train d’abandonner, comme le Premier ministre, ses anciennes certitudes. Dans leur majorité les citoyens se feraient donc complices du mensonge, dans l’attente d’une nouvelle vérité dont Lionel Jospin serait l’accoucheur. Telle est l’extrême pointe du cynisme, ici exprimé avec raffinement, mais semblable à celui du patron affirmant que le personnel qu’il exploite se complaît dans sa servitude et sa pauvreté, ou du violeur qui prétend avoir révélé à elle-même la femme violée.

Il va sans dire que la Res publica, la démocratie et le simple respect des êtres humains se perdent dans ces manipulations éhontées. Mais, comme l’arroseur arrosé, ceux qui s’ingénient à tromper le peuple se dupent eux-mêmes. Ils oublient que les Français savent lire, et que les livres auxquels ils font un triomphe sont ceux qui dénoncent l’horreur économique, les chiens de garde médiatiques, la souffrance sur les lieux de travail. Ils n’ont pas voulu comprendre, en juin dernier, que le taux d’abstention aux élections européennes et l’importance du vote blanc ne constituaient pas un consentement tacite à leurs reniements, mais le plus cinglant des désaveux. Ils ne veulent pas voir que ce n’est même plus le mensonge qui nous intéresse, mais sa présentation, son intensité, ses variantes. Quand le mensonge devient distrayant, le menteur est proche de sa fin.

***

(1) cf. Gérard Desportes et Laurent Mauduit, La Gauche imaginaire et le nouveau capitalisme, Grasset.

(2) cf. l’excellent article de Daniel Schneidermann (Le Monde télévision, 3-4 octobre) jugeant le discours du Premier ministre à Strasbourg : « substituant simplement la représentation du mouvement à celle de l’immobilité, il marquait une nouvelle étape dans l’escamotage de l’administration réelle des choses par le gouvernement des images ».

(3) « Mensonges partagés », Le Monde du 15 octobre 1997.

Editorial du numéro 736 de « Royaliste – 1999

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