« Les nouveaux chiens de garde »

Fév 6, 2012 | Partis politiques, intelligentsia, médias

Le film de Gilles Balbastre et Yannick Kergoat (1) est une magistrale démolition de celui que les médias nous présentent et nous demandent de croire, lorsqu’ils font dans le sérieux : l’Expert.

L’expert omniprésent et omniscient. L’expert « inoxydable » comme dit Frédéric Lordon dans le film. Il est économiste, auteur supposé de compilations proliférantes et suspectes. Ou bien philosophe sans œuvre. Dans les allégories médiatiques, il figure tantôt la Science, tantôt la Pensée. En tout cas le Savoir. Les journalistes de radio et de télévision convient l’expert et s’inclinent devant lui : c’est suggérer que le public, supposé ignare, doit prendre ses décrets pour argent comptant.

L’argent, justement. C’est le point décisif, qui permet de trancher la question de l’expert avant de lui trancher symboliquement le cou. Gilles Balbastre et Yannick Kergoat montrent que la petite cohorte des bavards qui occupent le champ médiatique est composée d’hommes qui ne cessent de se tromper grossièrement. Pourtant, on ne cesse de les inviter et on les voit encore plus depuis qu’ils ont délivré, en 2008, de solennelles âneries sur la crise dont ils niaient le caractère systémique. Jacques Attali, Alain Minc et les autres sont recherchés par les éditeurs, pontifient à longueur de soirée sur tous les plateaux. Aux dîners du « Siècle », l’élite des patrons et des banquiers les accueille avec faveur alors qu’ils devraient mander leurs gardes du corps pour qu’ils jettent sur le trottoir ces faux prophètes et ces crétins institutionnels. Ce manque de perspicacité n’est qu’apparent : le copinage du « Siècle » a sa logique.

C’est l’argent qui explique tout. L’Argent avec une majuscule et aussi le fric qu’on se fait. L’Argent possède presque tous les médias traditionnels et les journalistes sont employés comme domestiques. Ils pontifient dans leurs belles livrées, mais ils ne sont rien. Franz-Olivier Giesbert le reconnaît, dans une phrase qui dit tout : « Mon pouvoir, excusez-moi, c’est une vaste rigolade. Le vrai pouvoir stable, c’est le pouvoir du capital. Il est tout à fait normal que le vrai pouvoir s’exerce».

Le vrai pouvoir, c’est Martin Bouygues, Lagardère de père en fils, Dassault… Toutes les « grandes signatures » médiatiques se déclarent indépendantes mais pas une seule n’ira mettre son nez dans les affaires de béton et de ventes d’armes. Pas une seule n’ira déranger le pouvoir établi, parce qu’il faut ménager son plan de carrière, son époux ou sa compagne. On revoit à l’écran Bernard Kouchner et Christine Ockrent, Anne Sinclair et Dominique Strauss-Kahn, couples typiques de ce début de siècle, preuves vivantes de l’osmose entre la politique et les médias. Du point de vue sociologique, c’est normal : le convivium s’épanouit en connubium et on peut utiliser son capital symbolique pour accumuler du capital matériel.

Ces gloires politico-médiatiques sont proposées à l’admiration des foules comme les vedettes de cinéma mais nombre de citoyens apprendront grâce au film que les chiens de garde médiatiques, à la différence des acteurs, font du fric en lousdé. Les « grandes signatures », qui sont nos grandes consciences supposées, louent leurs services à des entreprises et à des groupes de pression au mépris de la charte des journalistes. Il suffit de téléphoner à une agence pour avoir les noms et les tarifs de ces prostitué(e)s de haut vol. De fait, les citoyens sont confrontés à un système d’abus de confiance. Ceux qui ont pour mission de les informer observent des silences complices et reconnaissants sur tout ce qui fâche ou pourrait fâcher le Capital. Et les experts qu’ils invitent ne sont pas moins corrompus. Tous sont grassement rémunérés par des établissements financiers ou par de grandes firmes – par exemple Michel Godet, Daniel Cohen, Christian de Boissieu. Tous sont les commis zélés des opérations de propagande et d’intimidation – regardez-les faire en cas de grève ou d’émeute – dont nous sommes, chaque jour, les témoins de plus en plus révoltés.

****

(1) Les nouveaux chiens de garde, documentaire, 2011. Le film s’actualise par la consultation régulière du site Acrimed : http://www.acrimed.org/

Article publié dans le numéro 1006 de « Royaliste » – 2012

 

 

Partagez

0 commentaires