Les enseignements de la coexistence

Mar 4, 1987 | Res Publica

 

Depuis plusieurs semaines, les sondages se multiplient et se recoupent, indiquant tous la déception que les Français éprouvent quant à l’expérience de « cohabitation ». Positive jusqu’en décembre, la courbe des opinions favorables a chuté brutalement depuis la fin de l’année et se trouve aujourd’hui à un très bas niveau : selon le dernier sondage publié (1). La popularité de Raymond Barre s’en trouve renforcée et la vieille gauche, qui aime les affrontements nets, se réjouit discrètement. Ils nous l’avaient bien dit ! Voici, inscrit dans les chiffres, l’effondrement des illusions, des habiletés, des compromis détestables …

NOUVELLE DONNE ?

Les résultats des sondages, et la morale qu’on en tire, ne peuvent nous laisser indifférents. Nous avons, après le 16 mars, approuvé la coexistence entre le Président de la République et le gouvernement, et souhaité que l’expérience réussisse. Les lecteurs réguliers de ce journal n’ont sans doute pas oublié les raisons de notre attitude et, aussi, les réserves que nous avions exprimées dès le printemps (2).

La coexistence nous paraissait nécessaire pour éviter une crise politique qui aurait déstabilisé l’Etat, compromis la continuité politique dans les domaines essentiels et porté atteinte à la fonction présidentielle. Conforme à l’esprit monarchique des institutions, les nouvelles relations entre les pouvoirs donnaient d’autre part l’occasion de mieux définir les rôles respectifs du Président et du Premier ministre et de rompre avec la conception pyramidale qui avait jusque-là prévalu.

Tout en souhaitant que l’expérience soit menée jusqu’à son terme, nous n’en avons pas moins indiqué les limites et les risques, hors de tout jugement de valeur sur les choix du nouveau gouvernement: d’abord l’inévitable rivalité entre le Président et le Premier ministre pour la conquête ou la conservation du pouvoir suprême; ensuite le décalage qui ne pouvait manquer de se créer entre deux hommes qui n’entretiennent pas les mêmes rapports avec le temps ; enfin le risque de démagogie et celui d’une moindre cohérence de notre politique extérieure.

L’évolution de l’opinion publique depuis le 16 mars a reflété successivement les deux aspects de cette analyse. Mais faut-il, après s’être félicité en même temps qu’elle de la coexistence, la rejoindre dans sa réaction de rejet et tenter de la précéder en condamnant l’expérience ? Les effets fâcheux de la coexistence, qui peuvent être quotidiennement mesurés, ne doivent pas faire négliger ses acquis. L’année presque accomplie que nous venons de vivre dans une conjoncture générale très difficile a en effet conforté la légitimité démocratique du chef de l’Etat : point de soumission ni de démission, malgré les hypothèses catastrophiques qui couraient avant les législatives. Le domaine présidentiel s’en trouve mieux défini, dans une fidélité plus nette à l’esprit de la Constitution, et l’idée d’un arbitrage vrai a fait son chemin. Enfin, malgré les nombreuses déconvenues de Jacques Chirac, l’attitude du Premier ministre et de son gouvernement permet d’envisager clairement ce que pourrait être le rôle du second pôle de l’exécutif dans un régime politique stabilisé.

DÉPASSEMENT

En fonction de ce bilan sommaire et encore provisoire, que peut-on raisonnablement espérer ? Raymond Barre et nombre de hiérarques du Parti socialiste souhaitent le retour à l’ancien ordre des choses : un Président, un gouvernement et une majorité parlementaire de la même couleur. Cette situation est évidemment plus facile à gérer, mais nous en connaissons l’inconvénient majeur : la moitié du pays est victime de la logique de l’exclusion et n’est pas représentée dans et par les différents organes de pouvoir. En outre, ni la question du rôle du Premier ministre ni celle du fonctionnement du Parlement ne se trouveraient résolues. Faut-il, dès lors, souhaiter une meilleure coexistence après 1988, par élimination progressive des principales dissonances et grâce à un surcroît de sagesse des principaux acteurs ? Une telle éventualité serait préférable, mais on ne saurait négliger la logique de cette situation, qui engendrerait les mêmes conséquences négatives. Entre le Président de la République et le Premier ministre, la rivalité, le soupçon, le conflit latent, l’emporteront une nouvelle fois sur la franche coopération puisque le pouvoir suprême, objet de leur désir, ne peut être partagé. Aussi, quel que soit le Premier ministre d’une deuxième expérience de cohabitation, risquons-nous de voir se répéter les mêmes fautes et les mêmes erreurs d’appréciation que celles commises par le gouvernement Chirac.

Face à ce dilemme, pas d’autre solution que d’envisager les modalités de son dépassement. Le point décisif, concerne la situation et le rôle du chef de l’Etat. Celui-ci doit incarner l’unité du pays, la permanence de l’Etat, et s’affirmer comme arbitre et garant de la liberté. Cela n’est plus guère contesté sur le plan des principes. Reste à définir les conditions de leur mise en œuvre. Pour nous, elles tiennent à l’établissement d’une monarchie pleine et entière, dont l’esprit inspire la constitution gaullienne et qui permettrait d’échapper à ses impasses et à ses paradoxes.

Dans le remarquable article que M. Olivier Guichard a consacré au livre du comte de Paris (3), je note que l’ancien ministre du général de Gaulle n’a, comme tant d’autres hommes d’Etat, comme un nombre croissant de Français, « intellectuellement… rien à opposer » à une telle solution. Et le fait que le Prince n’a pas pu l’inscrire dans la pratique il y a vingt-cinq ans ne détruit pas sa pertinence. Au contraire, l’évolution institutionnelle et politique que nous avons connue rend l’idée monarchique toujours plus concrète et actuelle. Il n’y a plus qu’un pas à faire, un tout petit pas. Le Prince a exprimé son projet, et la pédagogie institutionnelle y pousse. Mais il appartient aux Français d’y réfléchir et d’en décider librement.

***

(1) Le Point », n°753 – 23 février-1er mars 1987

(2) cf. « Royaliste », n°447 et 449

(3) « Le Figaro », supplément littéraire du 23 février

Editorial du numéro 466 de « Royaliste » – 4 mars 1987

Partagez

0 commentaires