L’affaire Cahuzac a provoqué d’innombrables réactions indignées, dont celle de Jean-Luc Mélenchon. Le coprésident du Parti de gauche a très vite lancé un appel à manifester le 5 mai « pour purifier cette atmosphère politique absolument insupportable ». Ce désir de purification avait une tonalité étrangement religieuse qui a peut-être troublé in extremis les consciences mélenchoniennes  puisque le défilé aura pour visée officielle l’instauration d’une « sixième République ».

J’aurais hésité à descendre dans la rue pour exiger la pureté car je me méfie des intégristes de la Vertu mais si Jean-Luc Mélenchon avait appelé à manifester contre les oligarques, je me serais mêlé au cortège pour marcher avec des Français qui sont en colère pour de bonnes et simples raisons. L’appel à la « sixième République » m’en écarte : l’objectif est illusoire et la marche protestataire va se réduire à une opération de diversion. Je n’accuse pas le Parti de Gauche de manœuvres obscures : il agit selon sa doctrine et c’est ainsi qu’il s’égare et nous égare.

La critique de la 5ème République, telle qu’elle est énoncée par le Parti de Gauche, est aberrante. Dans son appel à manifester (1), François Delapierre écrit que notre Constitution n’est plus accordée à la sociologie française et permet tout à la fois les phénomènes de Cour, le pouvoir des oligarques, « la forfaiture du traité de Lisbonne »… Que de confusions !

L’organisation générale du Pouvoir politique et les relations entre les pouvoirs obéissent à des principes juridiques qui transcendent les évolutions historiques et sociologiques : ce sont les modalités de la représentation nationale qui doivent tenir compte des changements sociaux. Par exemple, il est possible – et souhaitable – de changer le mode d’élection des sénateurs sans pour autant remettre en cause le régime parlementaire et le bicaméralisme.

La courtisanerie est la plaie de tous les régimes politiques et elle n’épargne pas les dirigeants des partis politiques, de droite, de gauche et même d’extrême gauche. Faut-il rappeler que le culte de Lénine, de Staline, de Mao, était pratiqué par d’impeccables marxistes et de fervents défenseurs de la classe ouvrière ?

L’oligarchie ne définit pas la 5ème République : elle est sa perversion, devenue manifeste lorsque les hiérarques de gauche et de droite, à la fin du siècle dernier, se sont mis à défendre les mêmes intérêts en professant une idéologie commune : ultralibéralisme, monnaie unique, européisme, occidentalisme.

Le traité de Lisbonne n’a pas été permis par la Constitution mais signé en violation de celle-ci. Il est inutile de changer de régime politique pour réaffirmer notre souveraineté nationale. Il suffit de dénoncer les traités et accords internationaux qui limitent nos droits souverains – à commencer par le récent pacte budgétaire. Et comme « la loi fixe les règles concernant (…) le régime d’émission de la monnaie » (article 34) il n’est pas difficile de sortir de la zone euro.

Le problème de la corruption peut lui aussi être résolu dans le cadre de la 5ème République comme il l’a été en Grande-Bretagne sans rien changer au régime politique. Je lis en effet dans Le Monde du 12 avril qu’ « une autorité indépendante, l’Independent Parliamentary Authority, est chargée depuis 2010 de gérer le système de frais de Westminster » et que par ailleurs « depuis 1974, existe le registre des intérêts des députés. Ils doivent déclarer les revenus professionnels autres que leur salaire, les postes d’administrateurs indépendants dans le privé, les cadeaux, les invitations à l’étranger, la composition du portefeuille d’actions et les biens immobiliers. Le registre est public et peut être consulté sur Internet. Cette transparence est importante dans la mesure où, pour devenir ministre, il faut siéger soit à la Chambre des lords, soit aux Communes ». Je sais que cette allusion dérange le républicanisme mystique des mélenchoniens, mais l’exemple de la monarchie parlementaire britannique serait digne d’être médité par nos législateurs.

Bien entendu, notre Constitution peut et doit être critiquée. J’ai souligné à d’innombrables reprises les contradictions de la monarchie élective instituée entre 1958 et 1962. Elle présentait cependant des avantages, quant à la distinction des fonctions au sein de l’exécutif, qui ont disparu avec  l’adoption du quinquennat. Au lieu de détruire nos institutions, il faudrait revenir sur les erreurs commises.

Ces observations ne sauraient convaincre les dirigeants du Parti de Gauche qui sont rigoureusement étrangers à la pensée gaullienne et en cela fidèles à la tradition originelle de la gauche. Cet antigaullisme serait digne d’intérêt si Jean-Luc Mélenchon et ses camarades présentaient un projet sérieux de révolution institutionnelle. Or François Delapierre appelle à l’élection d’une Constituante qui est censée délibérer en toute liberté mais qu’il enferme dès à présent dans un ensemble d’impératifs catégoriques : « changer de modèle de production », donner « des droits pour les salariés », « maîtriser la finance », imposer « la séparation bancaire », « régler enfin démocratiquement les rapports avec l’Union européenne », « assurer la pluralité de l’information »… Tel pourrait être le programme d’un gouvernement authentiquement socialiste qui peut être adopté s’il dispose d’une majorité à l’Assemblée nationale – sans qu’il soit besoin de changer la Constitution.

Somme toute, la « sixième République » n’est qu’un slogan qui recouvre divers éléments d’un programme de gauche fort peu crédible pour deux raisons :

–         Un changement de régime ne garantit pas la réalisation de ce programme qui suppose une majorité parlementaire accordant sa confiance à un gouvernement composé de dirigeants du Front de Gauche.

–         Le programme du Front de Gauche n’annonce pas la décision préalable à toute réaffirmation de la souveraineté nationale : la sortie de l’euro qui est la condition nécessaire, mais non suffisante, à une politique de redressement économique et de progrès social (2).

Désigner comme objectif principal le leurre d’un hypothétique changement institutionnel et présenter un programme dépourvu de cohérence, c’est s’égarer doublement.

***

(1) http://www.lepartidegauche.fr/actualites/edito/de-air-22344

(2)  Cf. l’article de Jacques Sapir : « 6ème République ou Souveraineté ? » sur son blog : http://russeurope.hypotheses.org/1149

 

 

 

 

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4 Commentaires

  1. Benoît dolle

    On reconnaîtra peut-être au bonhomme Mélenchon un certain talent de bonimenteur de carrefours ; on réfléchira à deux fois avant de confier à si piètre docteur, si mal armé de son Vidal républicaniste suranné et de son manuel de la parfaite Vertu terroriste, le soin de poser le diagnostic des maux de notre République ; on se refusera absolument à ingurgiter le remède de ce marchand d’orvietan-là.

    Merci à Bertrand Renouvin de pointer les imposteurs et de le faire si clairement.

  2. MICHEL

    Décidément, la seule cause de Bertrand Renouvin, c’est la défense de la (5e) république…
    Si c’est au nom du gaullisme fondateur, il faut bien reconnaître que la pratique s’est totalement retourné contre les idées de départ.
    Tous les thèmes du gaullisme ont échoué : indépendance nationale, sortie de l’OTAN, la France à la tête du tiers-monde, lutte contre le règne des partis.
    Il ne reste de cette constitution qu’un machin qui permet par l’alternance, au pays légal de se maintenir sans l’assentiment du pays réel.

    • J. Payen

      Une Constitution est une armure.

      Elle peut être habitée par un piètre guerrier.

      Ou par un Seigneur de la guerre.

      De Gaulle a doté la gent politique de notre pays d’une armure, ou d’un outil, si vous préférez, de qualité.

      Ce que la dite gent en a fait révèle autant son manque d’amour pour la patrie que sa rapacité à occuper les places et sa désinvolture en face des immenses forces en jeu dans le vaste monde.

      Quant au peuple français, qui a laissé se perpétrer tant de dévoiements inconsidérés de cette Constitution, il commence à payer très cher le prix de sa légèreté. Ce n’est, hélas, qu’un début.

      Quant à votre affirmation suivant laquelle « tous les thèmes du gaullisme ont échoué », elle témoigne me semble-t-il d’une erreur d’optique.
      Vous prenez les effets pour les causes.

      C’est bien parce que la plupart des « thèmes » gaullistes ont été piteusement abandonnés par nos dirigeants depuis 40 ans, au profit de politiques centristes et systématiquement « accommodantes » avec tout le monde, que la force de notre pays a reculé, et son influence.

  3. OLIVIER COMTE

    M. Melenchon ne dispose pas d’ une organisation politique puissante; il pratique donc l’ agitation politique.
    Cela est légitime. Cela peut être utile.

    M. Melenchon ne semble pas disposer d ‘une doctrine claire.
    Le PS et l’ UMP n’ offrent pas une doctrine claire.
    Ces deux bouillantes organisations sont donc responsables
    de l’ huile enflammée que M. Melenchon verse sans retenue
    dans les deux marmites désormais vides.

    Bertrand Renouvin offre des analyses qui doivent s’ imposer
    au delà de sa famille royaliste.
    Pour les gens de ma génération, le pouvoir gaulliste n’ a pu s’ établir légalement que par les circonstances d’un coup d’ Etat militaire. Je ne pourrai jamais accepter une quelconque légitimité historique des idées gaullistes.
    Ces idées peuvent être soutenues à l’ extérieur de l’ héritage gaulliste.
    Cependant, l’ élection du Président de la République au suffrage universel est une idée perverse qui corrompt
    implacablement toute démocratie parlementaire.
    Comparaison n’est pas raison, mais il est surprenant de voir que la France partage ce vice présidentiel avec de nombreux
    régimes politiques sans charme excessif.