Dans un discours prononcé à Grenoble, le chef de l’Etat a appelé à un « dialogue fracassant » dans le pays. Est-il possible, et comment ?

En finir avec un consensus politique factice, faire en sorte que « la vie civique s’aiguise » et que « un peu partout, on reprenne goût à la chose publique ». Tout en exprimant fortement son souci de cohésion sociale lors du congrès national de la Mutualité française, le président de la République a appelé à une relance du débat politique. C’est là une excellente suggestion : une société dans laquelle les enjeux collectifs ne sont plus clairement exprimés, et qui masque ses tensions nécessaires par des discours lénifiants et des explications techniques, est une société lourde des pires violences. Nous en avons fait trop longtemps l’expérience ; une claire expression des conflits et une nette représentation des oppositions vaut mieux, quant à l’équilibre social, politique et mental du pays, que les politesses gnangnan entre Rocard et Méhaignerie. La guimauve peut rendre fou.

Le fait que l’appel du chef de l’Etat soit resté sans écho notable en dit long sur la difficulté de l’entreprise. Pour ranimer le dialogue politique et le mener tambour battant, il faudrait que les principaux acteurs veuillent l’engager, et qu’ils se comportent de telle manière que les simples citoyens aient envie d’y participer. Un rapide tour d’horizon montre que nous sommes très loin du compte.

Le gouvernement ? La solidarité ministérielle oblige à la prudence, et la peur des groupes de pression incite au silence. Nul n’oserait aujourd’hui heurter la FNSEA ou les transporteurs routiers ; nul n’oserait mettre en cause les dogmes financiers du Quai de Bercy en rappelant qu’ils sont incompatibles avec l’idée même du socialisme.

Les directions politiques ? Il faudrait qu’elles cessent de marginaliser les fortes têtes, qui ont souvent la sympathie de l’opinion. Hélas, Michel Noir, Michèle Barzach, Alain Carignon et la cohorte des exclus du Parti communiste donnent trop d’exemples contraires. Il faudrait aussi, du côté de la rue de Solférino, qu’on cesse de tenir les intellectuels pour quantité négligeable.

Les militants des grands partis ? Posons-leur la question que Nietzsche adressait aux chrétiens : « avez-vous des têtes de sauvés ? », en d’autres termes, donnez-vous le sentiment que vous êtes porteurs d’une grande idée ? Non, ces militants passent leur temps à se plaindre des médias et à dénigrer leurs camarades qui sont d’un autre courant. Ce qui ne donne pas la moindre envie d’adhérer.

Les petites formations ? A gauche comme à droite, leur pauvreté les contraint à un rôle modeste ou inexistant sur le terrain électoral, ce qui provoque une présence faible ou inexistante dans les médias, ce qui nuit à leur crédibilité. Il y a cercle vicieux, qui est rarement brisé. Quant aux petites formations qui sont portées par un mouvement d’opinion et qui parviennent à s’installer dans le paysage politique, on songe moins à engager le dialogue avec elles qu’à les récupérer (le Front national pour la droite, les Verts pour la gauche). Quant aux médias, ils confortent les situations acquises et excellent dans le spectaculaire qui ne dérange personne : la dernière émission vraiment passionnée et souvent passionnante fut celle de Michel Polac…

La renaissance du dialogue civique exigerait un immense effort :

– des dirigeants politiques, qui devraient avoir le courage de se remettre en question et d’écouter ceux dont le métier est de réfléchir.

– des partis, qui devraient cesser de confondre débats publics et prestations d’apparatchiks et qui, surtout, devraient organiser des réflexions et des confrontations hors du champ médiatique.

– des militants des grandes formations qui sont, après tout, libres d’inventer une autre manière de faire de la politique. Mieux vaudrait agir sans tarder. Si la classe politique se montrer incapable de relancer le dialogue civique, c’est hors d’elle et contre elle qu’il se fera.

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Article publié dans le numéro 561 de « Royaliste » – 17 juin 1991

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