L’épreuve du nihilisme

Déc 22, 2003 | Non classé

 

 

Après la chute du soviétisme et de ses dérivés, faisons-nous l’expérience d’une nouvelle forme de nihilisme aussi ravageuse pour les esprits que pour les corps ? Si tel est le cas, est-il possible de résister à la logique de l’anéantissement ?

 

L’épreuve, c’est la souffrance. C’est aussi l’expérience qui permet de découvrir en soi une force qui permettra de triompher du mal ou du malheur – à la manière dont on éprouve la résistance d’un matériau en lui tapant dessus.

Depuis le commencement du monde, l’homme est à l’épreuve, par sa démarche propre ou par le fait d’autrui. Epreuve de l’angoisse métaphysique, de la violence, de la maladie, de la mort…Tout cela est archi-connu.

Mais voici du nouveau. L’épreuve que nous traversons pourrait bien être la dernière – celle de l’anéantissement des hommes et de la destruction du monde. Nietzsche  annonçait à la fin du 19ème siècle que l’Europe allait basculer dans le nihilisme qui serait l’aboutissement de la volonté de toujours plus de puissance. Les deux guerres mondiales et les totalitarismes ont donné de la réalité à cette prophétie  Mais comme le philosophe au marteau annonçait que l’épreuve du nihilisme durerait deux siècles, nous manquons du recul nécessaire à la vérification à ce qu’il faut encore considérer comme un hypothèse.

Certes, l’effondrement du système soviétique a semblé donner tort aux pessimistes absolus. Ne nous annonçait-on pas, depuis les Etats-Unis, une heureuse fin de l’histoire dans l’économie de marché ? Très vite, les ravages de l’ultra-concurrence ont dissipé cette illusion et nous obligent à reposer la question du nihilisme.

C’est ici que Stanko Cerovic intervient. Direction de la rédaction serbo-croate de Radio France international, l’homme est connu mais pas reconnu par les directeurs de l’opinion parisienne. Natif du Monténégro, il est catalogué serbe et insulté comme tel par les bien-pensants. Opposant à Tito et à Milosevic, il a dénoncé l’agression de l’OTAN contre la Yougoslavie, vécue à Belgrade sous les bombes. Nous avions admiré son premier livre (1). Le deuxième est non moins remarquable, en raison du caractère aventureux de la démarche et de la singularité de l’expérience que Stanko Cerovic est en train de vivre.

Ce « dissident de l’Est » est resté dissident dans notre occident soumis à l’invisible main de fer du marché alors que tant d’autres, parmi ceux qui avaient résisté à l’empire soviétique, s’installaient confortablement dans les palais présidentiels et les ministères. Cette attitude résolument critique lui vaut le silencieux mépris des intellocrates dont il dévoile la misérable mais très rentable tactique : « être toujours au pouvoir, mais toujours avec l’air rebelle ».

Condamné à l’isolement, et lourd de son expérience historique, Stanko Cerovic est parti quant à lui à l’aventure, avec en tête une idée folle : « vérifier si le monde, tel qu’il se présente aujourd’hui, peut être ramené à un poème métaphysique dans le cœur des hommes, comme autrefois ».

Le voyage est une descente aux enfers modernes et postmodernes : enfermements totalitaires, séduisante bêtise de la propagande ultralibérale ; destructions provoquées par la démesure occidentale dans l’ordinaire des jours mais aussi par les faux humanistes quand ils donnent libre cours à la pulsion de mort ; travail acharné de destruction des corps, des esprits, des symboles, des identités ; récupération cynique des contestataires écologistes et altermondialistes. Telle est bien l’épreuve du nihilisme : la rupture de tous les liens, si radicale que même les ombres « maigrissent » comme le dit Dante.

N’y aurait-il plus rien à faire ? N’aurions-nous « pas le choix » comme on nous le répète du matin au soir ? Stanko Cerovic affirme qu’il y a un possible salut pour la terre et un espoir en l’homme s’il garde mémoire, s’il reconnaît la beauté, s’il continue d’aimer sa langue ou ses langues.

Justement, l’auteur nous dit qu’il a écrit directement en français car « aucune autre langue n’a mené aussi longtemps une lutte aussi acharnée contre l’hypocrisie ». Il se peut que les ombres maigrissent mais, dès les premières pages, il est clair que les résistants auront le dernier mot.

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(1) Stanko Cerovic, Dans les griffes des humanistes, Climats, 2001. Cf. notre critique dans Royaliste n° 780.

(2) Stanko Cerovic, Comment maigrissent les ombres, Climats, 2003.

 

Article publié dans le numéro 828 de « Royaliste » – 22 décembre 2003

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