Le trentième anniversaire de la Constitution

Sep 29, 1988 | Res Publica

 

Le trentième anniversaire de la Constitution de 1958 ne saurait être passé sous silence, et pourtant nous avons tant commenté ses principes et son évolution qu’il y a risque de parcourir à nouveau des sentiers battus et rebattus.

Ce risque, il faut le prendre allègrement. D’abord pour informer ceux qui s’étonnent que des royalistes puissent admettre une Constitution républicaine, la défendre au besoin, et soutenir celui qui, depuis plus de sept ans, préside nos institutions et garantit leur bon fonctionnement. Ensuite parce que ce qui nous paraît être la simple reprise de jugements maintes fois énoncés permet parfois de mieux éclairer une démarche qui semblait obscure ou insensée à certains de nos lecteurs familiers. De ces révélations soudaines, dues à un simple changement de style ou de méthode d’exposition, nous avons de nombreux exemples qui illustrent la difficulté de ce qu’on appelle « communication ».

FORCES ET FAIBLESSES

Sous une forme volontairement schématique, donc incomplète, je tiens donc à rappeler les trois bienfaits, les trois faiblesses et les trois réformes possibles de notre Constitution, en commençant par ce qui suscite dans notre pays une large approbation, explicite ou non.

– Nul ne s’étonnera que des royalistes soit particulièrement sensibles au souci de légitimité qui fonde toute notre architecture institutionnelle. Cette légitimité est due à un consentement plus nettement exprimé qu’au temps des présidents « élus du seigle et de la châtaigne » (3ème et 4ème République), à un principe du service de la nation qui l’emporte sur l’expression contradictoire des intérêts représentés, et au respect d’une règle de droit qui s’impose au chef de l’Etat comme aux majorités successives. Certes, il manque le fondement historique de cette légitimité retrouvée, c’est à dire le lien avec l’origine, l’expression et l’incarnation de l’ensemble de l’aventure collective. Mais, depuis 1958, il y a eu plus qu’un progrès : une révolution dans la conception du pouvoir.

– De ces principes de légitimité, plus ou moins compris et respectés, résulte l’autorité du chef de l’Etat que la Constitution rétablit, en théorie et parfois en pratique, dans son indépendance (relative), dans sa fonction arbitrale qui est la première condition de la justice sociale, et en lui reconnaissant une nécessaire capacité de décision – non sans contrôle ni limites comme il se doit. C’est en ce sens que la Constitution a renoué avec notre conception traditionnelle de l’Etat, tel qu’il a été créé, défini et organisé par la monarchie capétienne, dont les intentions majeures ont été reprises et modernisées par le général de Gaulle.

– Comme on peut le constater, tout particulièrement depuis 1981, cette référence à notre tradition politique fondatrice n’exclut pas, au contraire, une grande souplesse d’adaptation. D’abord présentée comme un texte taillé par de Gaulle à sa mesure, notre Constitution a survécu au départ de son fondateur et aux fantasmes giscardiens avant de surmonter l’épreuve de la cohabitation. Elle ne paraît pas non plus trop mal armée pour supporter l’absence de majorité absolue à l’Assemblée nationale.

Tenir ces acquis pour décisifs ne nous a jamais empêché de souligner les faiblesses de notre loi fondamentale: La première, bien connue, tient au déséquilibre entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif et à l’ambiguïté de la fonction gouvernementale – quelles que soient par ailleurs les orientations, convergentes ou non, du Président, du Premier ministre et de sa majorité parlementaire.

La deuxième, latente depuis 1958, spectaculaire entre mars 1986 et mai 1988, tient à la rivalité presque toujours inévitable entre le chef de l’Etat et le Premier ministre, qui fait peser de graves menaces sur la cohérence et l’efficacité de l’action étatique.

La troisième tient au fait que le fonctionnement de nos institutions dépend beaucoup trop (beaucoup plus qu’en monarchie) des qualités personnelles du président de la République. Il faut en effet que celui-ci ait un sens particulièrement élevé de sa mission pour dominer sa situation ambiguë d’homme de parti devenu arbitre de toute la nation et, aussi, pour résister au culte de la personnalité qui (là encore plus qu’en monarchie) risque de troubler sa relation avec le pays.

QUELLES REFORMES ?

Ces faiblesses rendent toujours actuel le thème de la réforme constitutionnelle, qui a été jusqu’à présent interprété sur le mode mineur. Deux réformes de grande envergure reviennent de temps à autre sur le devant de la scène :

– l’une vise l’instauration d’un régime présidentiel, sans dissolution de l’Assemblée par le président et sans responsabilité du gouvernement devant celle-ci. Mais notre histoire montre que la stabilité obtenue est grosse d ‘insolubles conflits que tranchent les coups d’Etat : la constitution de l’an III aboutit au 18 Brumaire, celle de 1848 au Deux Décembre.

– l’autre préconise la réduction du mandat présidentiel à cinq ans. Nous avons souvent montré que cette prétendue solution aux conflits possibles entre les pouvoirs détruirait la fonction arbitrale, l’indépendance du chef de l’Etat et la continuité nécessaire à sa mission. A ces objections fondamentales que nous reprendrons chaque fois qu’il le faudra, s’ajoute une observation de fait : comment souhaiter le quinquennat au moment même où nous apprécions les bienfaits d’un mandat présidentiel exercé dans la longue durée ?

– Reste une réforme possible, indispensable à nos yeux, faisant de notre monarchie partielle une monarchie pleine et entière qui instituerait ce qui n’est qu’esquissé et vécu dans le manque, la contradiction et l’ambiguïté : une légitimité fondée sur l’histoire, un arbitrage incontestable, une continuité inscrite dans le très long terme, une garantie solide de la démocratie.

Les monarchies européennes montrent que ce projet n’est ni une pure hypothèse ni un retour au passé. Dès lors, pourquoi ne pas souhaiter pour nous-mêmes ce mariage heureux de la tradition et de la modernité, ce nécessaire couronnement de la démocratie que nous apprécions tant chez nos voisins les plus proches ?

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Editorial du numéro 499 de « Royaliste » – 29 septembre 1988

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