Tous les cinq ans, sur la scène médiatique, nous assistons au défilé des magiciens. Des lapins blancs sortent des chapeaux, des éléphants roses surgissent dans un décor nimbé de tricolore et de bleu étoilé. Tout sourires, Valérie Pécresse tire de son sac à malices une belle réforme des droits de succession. En bonne professionnelle, Marine Le Pen sort de sa hotte une chatoyante augmentation des salaires de 10{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163}. Encore et toujours péremptoire, Éric Zemmour nous fait voir des expulsions d’immigrés chômeurs, des tirs à vue sur des délinquants, des limitations du plafond des mosquées. Il y en a pour les jeunes et les vieux, pour les travailleurs et les chômeurs qui vont très bientôt retrouver un emploi !

Dupes ou complices, les commentateurs autorisés comparent les prestations et les courbes de popularité selon des sondages douteux. Le spectacle est mené tambour battant et, dans le bruit des pétards mouillés, personne ne fait la remarque qui éteindrait maintes tirades : ces messieurs et ces dames font des campagnes de chef de gouvernement alors qu’ils se présentent à une élection présidentielle ; ils promettent monts et merveilles comme s’ils étaient sûrs de disposer d’une majorité parlementaire parfaitement soumise. JE vais augmenter le pouvoir d’achat ! JE vais baisser les charges ! JE vais construire 10 000 places de prison !

Nul n’ignore que la réforme de la fiscalité et l’augmentation des investissements publics supposent le vote de lois mais pendant la campagne présidentielle tout le monde fait comme si le peuple souverain était invité à élire un despote. Il n’y a plus de Parlement, ni de gouvernement. Les principes fondamentaux sont passés sous silence, tout comme les corps intermédiaires et les collectivités décentralisées. Au paradis des enchanteurs, il va de soi que le président élu disposera d’une majorité servile. La preuve, c’est que ça s’est toujours passé comme ça ! On peut supposer, à l’extrême rigueur, que Valérie Pécresse pourrait disposer d’une majorité parlementaire et d’un gouvernement conciliant, mais la victoire de Marine Le Pen ou d’Éric Zemmour ne permettrait certainement pas l’élection d’une majorité d’extrême droite aux législatives car il y aurait un choc en retour.

Nous allons donc vivre jusqu’au 10 avril dans une fiction anticonstitutionnelle couverte par un débat sur les hypothèses fallacieuses de programmes irréalisables. La fin de la période électorale marquera la “découverte” quinquennale du poids de la dette publique, de l’étroitesse des marges de manœuvres, des contraintes bruxelloises et autres “réalités” auxquelles les programmes seront sacrifiés…

Le président sortant va bientôt prendre sa place, au premier rang de la troupe des illusionnistes. Il veut lui aussi être élu comme chef de gouvernement et nous pouvons reconnaître qu’il pourrait bénéficier d’une majorité parlementaire. Il se distinguera des autres candidats par le caractère retentissant de ses promesses soigneusement peintes aux couleurs de la souveraineté. Qui le croira, hors des milieux privilégiés ? Le quinquennat qui s’achève permet de comparer les belles paroles et des actes qui, dans les textes et dans la rue, ont concrétisé la froide violence de classe et le mépris qui l’accompagne. Des analystes et des enquêteurs rigoureux nous ont permis de voir en même temps, le maître-magicien et l’envers du décor.

L’homme qui avait pris le pouvoir “par effraction”, grâce à l’efficacité de ses réseaux et en profitant de la dynamique dégagiste, a révélé dans sa gouvernance un accablant mélange d’amateurisme, d’indécision et d’impuissance dans le domaine industriel comme dans la politique étrangère (1). Le point du vue du banquier d’affaires est dangereux quand il s’agit de veiller à la défense et à la promotion de l’industrie nationale. Le laisser-faire a été catastrophique pour Airbus et EDF. La cécité volontaire concernant le rôle central et les conflits d’intérêt dans lesquels baigne le Secrétaire général de la Présidence, Alexis Kohler, plonge l’Elysée dans des négligences coupables et d’inavouables complicités, au détriment de l’intérêt national. La naïveté européiste du pitoyable concepteur de l’invraisemblable “souveraineté européenne” conduit à un déni de réalité dont la France va encore longtemps payer le prix : dans le système ultra-concurrentiel promu par MM. Macron, Attali, Minc et alii, un Etat n’a plus d’alliés mais des rivaux qui ne reculent jamais devant la prédation et la déstabilisation, en utilisant toutes les méthodes de l’espionnage et toutes les pratiques de la corruption. Or la caste dirigeante a renoncé à contrer l’espionnage américain et à punir les corrompus.

Face aux volontés de puissance, la France ne peut compter que sur ses seules forces, que l’ultralibéralisme a terriblement amoindries. Pendant quelques semaines, les magiciens vont continuer d’occuper le devant de la scène, tous unis pour éviter le seul programme qui tienne : sortie de l’euro, planification, nationalisations, politique des revenus selon le principe de justice sociale.

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(1) Marc Endeweld, L’emprise, La France sous influence, Le Seuil, 2022.

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