Le sens de notre action

Avr 11, 1984 | Partis politiques, intelligentsia, médias

 

Notre journal est entré, en même temps que la Nouvelle Action Royaliste, dans sa quatorzième année. Bien que le chiffre ne soit pas rond, c’est une occasion de dire ce que nous sommes, et de préciser le sens de notre action. Ces treize années, dont l’histoire vient d’être contée (1) nous ont permis, à travers une révolution difficile, de trouver une identité qui paraît bien définie et de tracer une ligne de conduite toujours plus précise.

Lecteurs et rédacteurs de ce journal, qui sommes-nous ? D’abord, il me semble, des citoyens, c’est-à-dire des personnes qui ont le sentiment d’appartenir à une communauté donnée sans laquelle ils ne pourraient ni s’épanouir, ni même exister vraiment. Ce sentiment d’appartenance exclut toute attitude d’émigration intérieure, qui fut la plaie d’un certain royalisme, et tout esprit de guerre civile. Loin d’être l’occasion de règlements de comptes historiques, la politique est pour nous le souci du présent et de l’avenir, la recherche en commun des conditions de l’unité, de la justice et de la liberté. Car nous sommes, il est vrai, des « politiques », c’est-à-dire des citoyens qui, par-delà leurs intérêts propres, pensent que le pouvoir est une médiation nécessaire et cherchent la forme institutionnelle qui lui permettrait de répondre le moins mal possible aux exigences de la vie collective. Notre projet royaliste découle de ce souci, et nous paraît en mesure de répondre à ces exigences, comme nous essayons de le démontrer chaque quinzaine.

Ainsi exposée, notre attitude paraît simple. Mais l’action royaliste ne l’est pas ! L’histoire de notre famille de pensée a montré, pendant la première partie de ce siècle, qu’un mouvement royaliste animé d’excellentes intentions pouvait sombrer dans les pires incohérences – au point d’être condamné par les Princes dont il se réclamait. Dogmatique, sectaire, extrémiste, il n’a pu résister à la logique infernale que contient tout système de pensée. D’où notre volonté d’imaginer un autre royalisme, plus fidèle à l’idée qu’il entendait exprimer. La tentative, apparemment paradoxale, semblait vouée à l’échec. Comment être dans la cité sans prétendre la résumer, et dire quelque chose sur elle sans l’enfermer dans des concepts ? Comment être royaliste sans définir nous-même la monarchie, et sans désincarner son projet ? Comment repenser la politique sans tomber dans l’idéologie ? Comment entrer dans le débat politique sans céder à la volonté de puissance ? Nous connaissions les erreurs qu’il fallait éviter, mais nous n’avions pas de recettes.

Ces recettes, nous ne les avons toujours pas. Nous cherchons simplement, dans nos publications et à travers nos campagnes, à demeurer cohérents avec nous-mêmes et avec notre projet. Parce que le Prince est un homme libre et, par conséquent un recours possible pour tous les Français, il serait absurde que nous parlions en son nom et que nous cherchions à l’annexer. Parce que la monarchie n’est pas un parti, il serait absurde que nous désirions « prendre » un pouvoir qui ne saurait appartenir à une fraction de notre pays. Parce que la monarchie nous paraît en mesure de répondre aux exigences communes d’unité, de justice et de liberté, il serait absurde de favoriser l’esprit de guerre civile, de céder à la tentation du cynisme, et de chercher à imposer de force notre conviction.

De tels soucis, étrangers à la logique politicienne, ne facilitent pas notre tâche. Il n’y a pas de places à prendre, pas de « clientèle » possible, et nous n’offrons même pas d’ennemis à détester ! Aussi nous a-t-on accusés de « désespérer les militants », de refuser le réconfort du catéchisme idéologique, et de sombrer dans l’angélisme… Pourtant, nous pensons qu’il est possible de penser et d’agir autrement. La Nouvelle Action Royaliste se définit comme un mouvement, non comme un parti ; elle s’interdit toute logique de puissance puisqu’elle cessera d’exister dès le retour de la monarchie. Notre journal, qui annonce si clairement sa conviction, n’est pas l’organe d’un « comité central » autoritaire mais un lieu de réflexion où sont accueillis les représentants de tous les courants de pensée. Quant à la communauté militante que forment les adhérents de la NAR, elle est demeurée souple et ouverte – à tel point que la plupart de nos réunions se font autour de personnalités qui ne sont pas royalistes. Cela ne signifie pas que nous ayons atteint un point de perfection. Penser dans le nihilisme et contre lui est une rude entreprise, toujours menacée. Essayer d’envisager une société différente, post-moderne, est un travail que nous ne prétendons pas accomplir seuls ; il se fera dans la recherche commune et dans l’écoute attentive de ceux qui ressentent la même nécessité. Et puis, nous avons nos refus, nos préférences et nos passions, qui peuvent heurter ceux qui nous lisent. Car tous ne sont pas royalistes ! Tantôt ce sont des lecteurs communistes qui se plaignent de notre dureté ; tantôt des militants ou des dirigeants socialistes qui s’étonnent de notre sévérité ; ou bien des partisans de Jacques Chirac qui ne comprennent pas notre soutien à François Mitterrand. C’est que nos colères sont à la mesure de nos déceptions.

Nous avons souhaité une évolution du Parti communiste et nous sommes obligés de constater sa régression. Nous avons espéré que le Parti socialiste changerait ses méthodes et nous devons souvent déplorer ses erreurs et son étroitesse d’esprit. Et c’est parce que nous nous sentons proches de la tradition gaullienne que nous contestons la logique politicienne de ceux qui s’en réclament. Il est vrai, enfin, que nous sommes sans concession à l’égard du « libéralisme avancé », qui porte en lui l’injustice, à l’égard des totalitarismes de droite et de gauche, qui tuent la liberté, et que nous répudions toute attitude de guerre civile. Point de complaisance, donc, ni de démagogie, mais une volonté de dialogue qui s’exprime dans chaque numéro de ce journal. « Royaliste » n’est pas l’instrument d’une idéologie, mais un lieu de libre débat, rédigé par des hommes et des femmes qui appartiennent à des traditions différentes, qui n’ont pas les mêmes convictions philosophiques et religieuses, et qui, heureusement, ne donnent pas des événements des interprétations toujours identiques. Nous sommes tous en recherche, ce qui implique approximations et, parfois, contradictions. Mais nous voulons, tous, poser la question de la monarchie à l’ensemble des Français et témoigner, déjà, qu’il est possible de participer autrement à la vie politique. Tel est notre lien, et notre commune ambition.

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(1)    Cf. Olivier Lespès, Une révolution dans le royalisme, histoire de la NAR, Col. Lys Rouge.

Article publié dans le numéro 402 de « Royaliste » – 11 avril 1984.

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