Ils reviennent, mais ils n’ont pas changé. L’un, depuis Nouméa, annonce la catastrophe sans laquelle il n’y aurait, pour lui, ni combat ni sûre revanche. L’autre tente de donner de lui-même une nouvelle image, moins hautaine, et voudrait devenir la conscience et la voix d’un peuple momentanément égaré, tandis qu’un professeur, naguère désigné comme le « meilleur économiste de France », recommence ses sempiternelles leçons.

Pourtant, leur échec électoral a été cuisant, et leur gestion désastreuse. Mais ils semblent avoir tout oublié : l’inflation qu’ils ne parvenaient pas à maîtriser, le chômage sans cesse croissant, un déficit budgétaire et un déséquilibre du commerce extérieur qui ne datent pas du 10 mai 1981. C’est tout de même en raison de ce bilan particulièrement négatif qu’ils ont été chassés, et les lourdes conséquences qui, aujourd’hui, affectent le pays, devraient les inciter à plus de retenue. On ne prend pas pour juge une assemblée de faillis. Mais non. Il faut qu’ils tranchent, menacent, prophétisent : ils l’avaient bien dit, le « socialisme, ça ne marche pas », et le pire est pour demain…

Difficilement supportable quand on veut bien se souvenir des réalités passés, l’attitude de l’opposition de droite est cependant logique : elle n’existerait pas sans cette condamnation aveugle de la politique actuelle, car elle est incapable de concevoir autre chose que ce qu’elle a toujours fait. Sans programme ni projet, la droite apparaît infiniment plus négative dans sa critique qu’autrefois l’opposition de gauche : cette dernière, parfois trop systématique, trop démagogique, avait le mérite de présenter un plan de réformes relativement cohérent. Au contraire, l’unique ambition de la droite est de prendre sa revanche, de reconquérir un pouvoir dont elle s’estime propriétaire. Sa seule intention est de dénationaliser, c’est-à-dire de redonner aux groupes financiers la puissance qu’ils ont perdue, et de rendre aux plus riches le peu qui leur a été enlevé. Le reste n’est que slogan creux, comme ce « libéralisme du futur » annoncé par M. Giscard d’Estaing, ou cette idée d’un «capitalisme populaire» qui a toutes chances d’être un attrape-nigauds.

LA VOIE DE LA FACILITÉ

La droite n’est pas au service de la justice et de la liberté, mais des intérêts financiers qui la soutiennent et des castes sociales qui la composent. C’est ainsi, mais ce n’était pas inévitable. La droite aurait pu, après l’échec, se remettre en question et rechercher dans sa tradition de pensée les principes susceptibles d’inspirer une nouvelle politique. Elle a préféré la voie de la facilité, qui est de faire la politique de ses clients et de ses créanciers, au lieu d’exprimer une conviction. La dérive du R.P.R. est à cet égard significative ; gaulliste d’inspiration, le voici qui puise ce qui lui tient désormais lieu de pensée dans les élucubrations élitistes du Club de l’Horloge tout en pratiquant la plus basse démagogie.

Est-il besoin de préciser, que royalistes par passion de la justice et de la liberté, nous ne pouvons pas être de ce camp-là, qui cherche une revanche de classe, qui est celui de l’argent, qui ne propose rien d’autre que le retour à l’ancien ordre des choses. Est-il besoin de dire que, royalistes par souci de l’unité, cette stratégie de la tension, cette guerre civile froide, où pleuvent les injures et les coups bas, où les pires égoïsmes corporatifs sont cultivés, nous inquiète et nous écœure.

Notre refus, né des reniements intellectuels et des abandons pratiques de la droite, puis confirmé par le bilan de la trop longue expérience giscardienne, ne nous a jamais conduit à une quelconque complaisance envers la gauche. Certes, nous avons appelé à voter en faveur de M. Mitterrand, seul moyen d’en finir avec une imposture, et nous ne regrettons pas notre choix. Mais cette libre décision ne nous a jamais empêché de souligner les limites et les carences de la gauche. Nous avons, longtemps avant que le gouvernement n’en convienne, déploré ses incohérences et ses improvisations, et reproché d’autre part au Parti socialiste d’avoir mis fin, lui-même, à l’état de grâce par son sectarisme et ses imprécations.

UN SOUTIEN CRITIQUE

Nombre des difficultés que nous connaissons aujourd’hui viennent de ces erreurs : si la gestion économique laisse à désirer, c’est que le gouvernement n’a pas osé appliquer à l’économie le traitement de choc (dévaluation de combat, protection des activités nationales) qui aurait permis de procéder ultérieurement à une relance dans de bonnes conditions. Ainsi aurait-on évité de prendre les mesures nécessaires sous la contrainte des événements, tout en dissertant sur les avantages comparés de la volonté et du volontarisme. De même, si la « révolution tranquille » n’a pas été pleinement accomplie, c’est que le gouvernement n’a pas profité du consensus de 1981 pour briser les privilèges corporatifs et pour libérer la France – et lui-même – de ses pesanteurs bureaucratiques.

La gauche, par sa faute, a gâché nombre de ses chances, et c’est d’autant plus regrettable que la situation créée le 10 mai ne se retrouvera pas de sitôt. Il n’en demeure pas moins que le Président de la République et son gouvernement accomplissent, dans trois domaines essentiels une politique qui doit être soutenue :

— Après sept années de scandales divers et de spectacles ridicules, l’Etat a été restauré dans sa dignité et dans son honnêteté.

— Après sept années d’hésitations, de fautes et de verbiage, la France a retrouvé une politique étrangère digne de ce nom – notamment au Proche-Orient où, depuis l’agression israélienne contre le Liban, notre pays tente de sauver des vies et de ramener la paix.

— Après sept années d’effondrement économique, un projet industriel s’affirme, grâce aux nationalisations, par la reconquête du marché intérieur, dans la volonté d’affronter les grandes mutations technologiques. Cet effort est suffisamment fondamental pour refuser le retour de ceux qui, obsédés par leur désir de revanche, n’ont plus la capacité de concevoir une politique pour la France, ni peut-être de comprendre qu’elle puisse former de grands desseins.

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Editorial du numéro 366 de « Royaliste » – 30 septembre 1982

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