Le Prince et nous

Jan 18, 1979 | Chronique politique

 

Vérités premières : M. Marchais exprime et incarne le programme et la doctrine du Parti communiste, comme M. Mitterrand ou tel autre dirigeant politique – représente son parti et assume la responsabilité de sa politique. Vérités premières qui ne valent pas pour la Nouvelle Action Royaliste : elle échappe aux schémas et aux tentatives de classification habituelle. C’est ainsi. Mais cela ne facilite pas notre travail d’explication : de même qu’on voudrait à tout prix nous classer à droite ou à gauche, beaucoup estiment qu’un mouvement royaliste ne peut manquer d’être dirigé par le Prince qu’il appelle de ses vœux.

Rumeurs politiques et échos journalistiques n’y changeront pourtant rien : le comte de Paris n’est pas le « chef » de la Nouvelle Action Royaliste, nous ne sommes pas les porte-paroles du Comte de Paris, nous n’exprimons pas la « doctrine monarchique », pas plus que nous aurions à « promouvoir » un quelconque programme de gouvernement. Cette situation originale ne rend pas notre combat inutile ou absurde. Elle est au contraire parfaitement cohérente avec les idées que nous défendons.

UN HOMME LIBRE

Car le Comte de Paris, s’il était le chef de la Nouvelle Action Royaliste ou de tout autre mouvement monarchiste, ne serait plus le Prince mais un simple chef de parti, parmi d’autres chefs de parti. Il serait en pleine contradiction avec lui-même puisqu’il ne pourrait prétendre à la fois animer une faction politique et représenter un recours, un arbitre entre tous les Français. L’idée du recours suppose la liberté à l’égard des partis qui divisent la France. L’idée d’arbitrage suppose l’indépendance de l’arbitre, elle exclut que celui qui prétend à ce rôle soit à la tête d’un groupe de pression idéologique, politique, économique ou social. C’est parce que le Comte de Paris est un homme libre, c’est parce que le Prince est, par sa naissance, un homme indépendant, que nous sommes royalistes. Là est l’essentiel, qui fonde notre philosophie politique et notre combat quotidien. Comment pourrions-nous le remettre en cause ou le laisser remettre en cause devant l’opinion publique – sans trahir l’idée même qui nous définit et nous rassemble.

Cela ne signifie pas que le comte de Paris nous soit indifférent. Au contraire, depuis notre fondation, nous avons voulu comprendre la pensée et l’action du Comte de Paris plutôt que de lui manifester de temps à autre une fidélité abstraite. Notre attitude constante en découle, qu’il s’agisse de notre refus de rejoindre tel ou tel camp, ou de notre conception de l’action royaliste.

QUELLE ADHESION ?

Mais qu’on me comprenne bien : étudiant la pensée et l’action du Prince, nous n’avons jamais cherché à devenir les porte-paroles de cette pensée et les interprètes officiels de cette action. A plus forte raison, nous n’avons pas abandonné la doctrine maurrassienne au profit d’une « doctrine du comte de Paris » … qui n’existe pas. Nous adhérons simplement à une pensée souple et libre, cherchant à appréhender les problèmes dans toute leur complexité plutôt que de fixer un dogme, proposant des solutions qui évoluent selon les situations, et renvoyant toujours aux questions politiques fondamentales. Puisque la monarchie n’est ni un « prêt-à-porter » ni une doctrine, comment pourrions-nous, dès lors, en être les représentants ?

De même, si l’action que le Comte de Paris mène depuis quarante ans nous passionne parce qu’elle était celle d’un homme qui n’a pas voulu devenir un partisan — nous ne la considérons pas comme une vulgaire tactique politicienne à laquelle nous devrions nous plier. Mais cette action demeure pour nous une référence, une indication de ce qu’il faut faire ou ne pas faire pour ne pas gêner ou compromettre le Prince.

C’est ce que l’Action française n’avait pas su, ou pas voulu, comprendre. Malgré les services éminents qu’elle avait rendu à l’idée monarchiste, lui redonnant une jeunesse et une vigueur nouvelles, elle avait peu à peu monopolisé l’action royaliste, puis prétendu incarner la doctrine de la monarchie, allant jusqu’à essayer de dicter aux Princes leur attitude. Face à cette volonté de domination, le Duc de Guise et le Comte de Paris ne pouvaient manquer de prendre leurs distances, puis de rompre publiquement avec le mouvement de Charles Maurras, séparation qui aurait été moins douloureuse si les excès polémiques de l’A.F. ne l’avaient transformée en rupture totale. Triste épisode de l’histoire du mouvement royaliste, qu’il convient de ne pas oublier…

ACTION ROYALISTE

Ces données une fois rappelées, l’action des royalistes risque d’apparaitre bien difficile, ambiguë, voire impossible à mener. Elle est au contraire parfaitement définie, bien délimitée, et beaucoup plus simple qu’on ne pourrait le croire :

— Nous avons à poser aux Français la question du pouvoir politique, nous avons à leur faire partager, loin de toute doctrine réductrice et de tout programme démagogique, notre souci d’unité, de justice et de liberté que la monarchie exprime.

— Nous avons à dire la nécessité du recours à un pouvoir indépendant, capable d’accueillir et d’accomplir les aspirations des Français. – Nous avons, dans le débat politique quotidien, à témoigner pour ces idées, en évitant qu’elles ne se perdent dans telle ou telle combinaison politicienne. Hommes libres, telle est notre manière de servir un homme libre et le principe qu’il incarne. Nous demandons seulement que les commentateurs comprennent et respectent cette liberté, au lieu de se laisser aller à leur imagination ou aux automatismes de pensée. Nous n’y pouvons rien : nous ne serons jamais un mouvement comme les autres. Nous ne voulons pas conquérir l’Etat et en faire notre chose. Nous ne prétendons pas exprimer la tradition de la monarchie pour mieux en être, un jour, ses censeurs. Nécessaires quand le Roi n’est pas là pour faire sentir le poids de cette absence, les royalistes représentent un danger dans les monarchies instaurées. C’est pourquoi ils n’existent pas, ou disparaissent, pour redevenir des citoyens comme les autres — conservant seulement en eux le souci de la chose publique et la passion de leur pays qui les a conduits à manifester, librement, leur fidélité au Prince.

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Editorial du numéro 285 de « Royaliste » – 18 janvier 1979

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