Le pari des incapables

Sep 22, 1999 | Economie politique

La stupidité malfaisante de l’ultralibéralisme n’est plus à démontrer. Semaine après semaine, le haut patronat et les grands financiers en apportent de nouvelles preuves, éclatantes, scandaleuses, révoltantes. Peu importe désormais qu’ils vantent la taille mondiale de leurs groupes et établissements, qu’ils nomment “ modernité ” l’application imbécile qu’ils font des modes et des préjugés du moment, et qu’ils invoquent les prétendues lois du marché pour expliquer leurs agissements.

Nous savons qu’ils mentent et qu’ils nous violentent. Nous l’avons toujours su. Savoir théorique, acquis à la lecture de Karl Marx ou, pour nous autres, de François Perroux. Connaissance historique – celle de l’économie capitalisme au 19è siècle et des causes qui ont provoqué, voici soixante ans, la crise de 1929. Mais surtout expérience directe des dégâts économiques et sociaux provoqués depuis plus de quinze ans par les idéologues du marché. Avant Michelin, qui licencie pour faire encore plus de profit, il y avait eu Renault décidant de fermer Vilvorde sous les applaudissements des spéculateurs boursiers. Avant Carrefour et Promodès il y a eu bien d’autres concentrations, pour la plupart irrationnelles et inefficaces (le taux de réussite est de 10{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163}) et avant tout dictées par la vanité de quelques prédateurs en col blanc.

Ce qui frappe en cette fin d’été, ce ne sont pas les nouvelles preuves qui nous sont apportées, mais le fait que toute la vérité éclate en très peu de temps. Grâce aux opérations spectaculaires de l’été, nous avons vérifié que les fusions bancaires réussies ou manquées résultaient de la rivalité entre des individus qui se moquent de la logique financière tout autant que de l’intérêt national, que les concentrations industrielles détruisent la concurrence entre les entreprises, asphyxient les producteurs, et ne profitent même pas aux consommateurs puisque la logique monopoliste aboutit tantôt à des augmentations de prix, tantôt à des baisses obtenues par la surexploitation des employés et au mépris de la qualité des produits.

En quelques semaines nous avons pu ainsi vérifier, sans le moindre effort théorique, que la concurrence érigée en principe détruit les entreprises, porte gravement atteinte à la santé des consommateurs, et dénie aux travailleurs leur dignité même. Il restera à établir, une nouvelle fois, que la logique de la pure rentabilité, donc de l’incessante spéculation, aboutit à l’autodestruction des puissances financières par l’effet d’un krach boursier qui surviendra de manière tout aussi inéluctable qu’en 1987 et 1998.

Voilà qui contraste brutalement avec l’euphorie d’un gouvernement qui se targue de succès conjoncturels fragiles, partiellement illusoires ou qui ne tiennent pas à son action (1). En fait, la “ communication ” gouvernementale consiste à noyer sous de nobles paroles de constants aveux d’incapacité. La fusion manquée entre la BNP et la Société générale ? Les souhaits du pouvoir politique sont ignorés par un organisme opaque, incontrôlé et irresponsable, et le Premier ministre ose publier qu’il trouve cela normal, puisque telle est la loi des marchés. La concentration dans la grande distribution ? Le mouvement de menton de M. Strauss-Kahn, annonçant que le Conseil de la concurrence reprendra le dossier, a été suivi par une déclaration de la Commission bruxelloise, rappelant qu’elle a en la matière le pouvoir de décision.. La colère des producteurs de fruits, de légumes, de lait ? On se repose sur la FNSEA, alliée traditionnelle du CNPF mué en MEDEF, pour rétablir l’ordre par quelques douteux compromis, et on espère que la Confédération paysanne, pauvre et isolée, s’épuisera dans son combat contre MacDonald. Les licenciements annoncés par Michelin ? Lionel Jospin déclare qu’il faudrait tout de même faire “ attention ”.

Laisser-faire. Velléités. Moralisme. Jamais l’impuissance publique, consciente, théorisée, revendiquée, n’a été aussi manifeste. Jamais la haine sociale n’a été aussi vive car elle se nourrit de colères, de peurs et d’humiliations qui ne trouvent pas leur expression politique. Le gouvernement escompte que la résignation l’emportera sur la fureur. Sur une longue période, c’est un pari difficile à tenir.

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Editorial du n° 733 de « Royaliste » – 1999

 

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