Le faux « tournant » d’Emmanuel Macron – Chronique 149

Déc 11, 2018 | Chronique politique | 8 commentaires

Union européenne

Après l’allocution présidentielle, le 10 décembre au soir, des « experts » ont disserté à n’en plus finir sur le « tournant du quinquennat ». Des Gilets jaunes avaient été conviés sur les plateaux pour montrer qu’on donnait la parole au peuple révolté mais ce n’était qu’une mise en scène. Ce que les Gilets jaunes parvenaient à dire était immédiatement corrigé et rejeté avec arrogance par les « grands journalistes parisiens » et les « économistes sérieux » : les révoltés n’avaient rien compris à la politique économique et n’étaient pas reconnaissants pour les milliards qu’on mettait sur la table !

Isolés, accablés de reproches, les Gilets jaunes des plateaux ne pouvaient pas voir les informations qui commençaient à être publiées ni deviner les explications qui seraient données le lendemain matin.

Non, il ne s’agit pas d’une hausse du Smic mais de l’augmentation prévue de la prime d’activité qui sera versée en accéléré !

Non, l’annulation de la hausse de la CSG pour les retraites de moins de 2000 euros par mois n’est pas une solution suffisante puisque les retraites ne sont pas indexées sur l’inflation.

Non, la défiscalisation des heures supplémentaires n’est pas une bonne nouvelle car elle provoquera la destruction de 30 000 à 100 000 emplois.

En revanche, il est certain qu’on ne rétablira pas l’impôt sur la fortune.

En revanche, ce même 10 décembre, le Sénat a voté l’allègement de l’exit tax : alors que les Français installés à l’étranger devaient attendre 15 ans pour vendre leurs actions sans payer une taxe de 30{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} sur leurs plus-values, ils pourront le faire dans un délai de deux à cinq ans après leur départ selon le vœu exprimé en mai dernier par le président des riches.

Quant aux promesses sur la délibération collective, elles seront à examiner selon les projets et propositions de loi qui seront effectivement déposés mais il est probable que ces belles paroles visent à endormir les Gilets jaunes. Ceci en attendant de remettre le débat public dans un cadre polémique classique par la relance du débat sur l’identité et sur l’immigration. Marine Le Pen, toujours mal à l’aise sur les questions sociales – elle s’est opposée à une augmentation du Smic – sera ravie de reprendre ses thèmes habituels et de faire revivre jusqu’aux élections européennes l’affrontement entre les xénophobes et les « progressistes ».

Les misérables concessions faites aux Gilets jaunes et les manœuvres qui vont être tentées ne doivent pas nous détourner des deux conditions préalables à tout débat :

Quant à la crise de la représentation politique, pas d’avancées démocratiques sans retour au fonctionnement normal des institutions de la Vème République. Le président de la République est un arbitre, non le chef du gouvernement et de la majorité parlementaire. Le gouvernement est responsable devant le Parlement, non devant le président de la République. C’est le gouvernement qui détermine et conduit la politique de la nation, non le président de la République. Si Emmanuel Macron en vient à respecter la Constitution, et la fonction qu’elle lui assigne, il pourra être accepté par les Français. Sinon, il s’exposera toujours et de plus en plus à subir leurs coups directs.

Quant à la crise économique et sociale, pas de remèdes sans reconquête, contre Bruxelles, Francfort et Berlin, de notre souveraineté. Comme l’écrit Coralie Delaume dans « Le Figaro » : « Les gouvernements des pays membres ne disposent que d’un très petit nombre d’instruments de politique économique. Aucune politique industrielle volontariste ne leur est possible puisque les traités interdisent de « fausser la concurrence » par le biais d’interventions étatiques. Aucune politique commerciale protectrice ne leur est possible puisque la politique commerciale est une « compétence exclusive » de l’Union. Aucune politique de change n’est possible puisque dans le cadre de l’euro, les pays ne peuvent dévaluer. Aucune politique monétaire n’est possible puisque c’est la Banque centrale européenne qui la conduit. Enfin, aucune politique budgétaire n’est possible puisque les pays qui ont adopté la monnaie unique sont soumis à des « critères de convergence », notamment la fameuse règle – arbitraire – des 3 {9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} de déficit public. »

Comme l’Union européenne est une construction antidémocratique, comme le président de la République est, selon notre Constitution, le garant de l’indépendance nationale, il faut vouloir à la fois que le président de la République change ou soit changé et que l’Union européenne disparaisse sous l’effet de sa logique de dislocation interne et grâce à l’explosion de la zone euro. Cette volonté largement partagée trouvera un jour ou l’autre son expression concrète dans un vaste rassemblement politique.

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8 Commentaires

  1. Franck Boizard

    Sur l’immigration incontrôlée, vous vous méprenez. Elle fait partie de cet ensemble politique et la signature du pacte de Marrakech ( » non-contraignant mais engageant » selon M. Le Drian, comprenne qui pourra) montre lui aussi qu’il n’y a pas de vrai tournant.

  2. Francois

    Ne pas oublier la crise écologique, tout à fait liée aux autres, et qui a été remise en perspective quand le gouvernement a peint en vert sa taxe sur le diesel. Il faut alors rappeler la position du Pape François dans son encyclique « Laudato Si » : « Mais aujourd’hui nous ne pouvons pas nous empêcher de reconnaître qu’une vraie approche écologique se transforme toujours en une approche sociale, qui doit intégrer la justice dans les discussions sur l’environnement, pour écouter tant la clameur de la terre que la clameur des pauvres ».

  3. Denis

    Pour « retourner » à un fonctionnement normal des institutions de la Vème République qui n’a entre parenthèses depuis 1962 et l’élection au suffrage universel direct du Président de la République, quasiment jamais existé, hormis les périodes de cohabitation, et encore, avec un Chef de l’Etat certes arbitre mais surtout Chef de l’opposition, il faudrait couper le lien existant entre le Chef de l’Etat et sa majorité présidentielle à l’Assemblée nationale. Pour cela, il faut revenir à la lettre de la Constitution de la Vème République qui dans le texte est un régime parlementaire mais avec un Chef de l’Etat effectivement garant et arbitre disposant de pouvoirs propres importants à cet effet. Il faut donc changer le mode de scrutin avec une proportionnelle intégrale à l’Assemblée nationale qui sera ainsi véritablement représentative de la Nation et de ses aspirations, sans pour autant prendre le risque d’un régime d’assemblée (ce sera aussi le rôle du Chef de l’Etat dans son pouvoir de nommer le 1er Ministre et les membres de son gouvernement sur la proposition de ce dernier), retourner à la primauté chronologique des élections législatives sur l’élection présidentielle, au septennat à défaut de l’instauration d’une monarchie parlementaire qui résoudrait les contradictions de la Vème République, et à la prise en compte du vote blanc.
    Il resterait alors à réfléchir à des modes de représentation et de participation démocratique supplémentaires qui vont devenir rapidement indispensables au XXI ème siècle, tels : des comités locaux élus faisant remonter les doléances de la base et pouvant se constituer en Chambre consultative aux côtés de l’Assemblée et du Sénat, l’élargissement de l’article 11 sur le référendum aux questions économiques et sociales, le référendum d’initiative populaire pour toute une série de questions mais à condition de cadrer ce mode d’expression afin d’en limiter toute dérive et maintenir une cohérence avec les autres modes de décision.
    Un Chef d’Etat élu ou constitutionnellement héréditaire, véritablement garant et arbitre, se consacrerait pleinement à la défense du Bien commun, notre République, et à la France, au-dessus des partis politiques. Il ne dissoudrait pas l’Assemblée nationale en détournant ce pouvoir pour convenance personnelle, comme ce fut le cas sous la Vème République, mais pour rendre la parole au peuple en cas de situation hautement conflictuelle, comme c’est le cas en ce moment; il n’engagerait pas de référendum en forme de plébiscite car il n’en aurait pas l’utilité pour lui-même, il ne serait perçu ni comme le chef d’un parti, ni comme celui d’une majorité présidentielle, ni comme le principal opposant ou rival du 1er Ministre, mais comme un recours permanent au service de tous. Il serait au centre de l’échiquier politique à la fois clé de voûte et point de ralliement.

    • xc

      La proportionnelle pour l’élection des députés signifie la possibilité pour les petits partis de faire la loi, au propre comme au figuré, en s’alliant tantôt avec les partis pro-gouvernement, tantôt avec ceux d’opposition.
      C’est aussi des élus choisis sur une liste constituée avec les apparatchiks les plus disciplinés, et privés de l’attache avec un territoire que constitue l’élection dans une circonscription. Donc, coupés des Français. Bon, au vu de la crise des GJ, c’est peut-être bien déjà le cas.
      Et si on veut un Président qui s’en tient strictement aux fonctions qui lui sont dévolues par la constitution, il faut revenir à l’élection au suffrage indirect, par un collège de grands électeurs. Dans le cas contraire, il peut être tenté de puiser dans le vote populaire l’autorisation de déborder hors de ces fonctions. Et je doute que les Français se déplacent en masse pour voter pour quelqu’un qui n’aura pas fait campagne sur leurs problèmes concrets.

      • Catoneo

        La proportionnelle transfère le désordre de la rue à l’hémicycle. Mais elle est réservée aux corps électoraux adultes. Celui de la « patrie des droits de l’homme » est passé de l’adolescence à la décrépitude sans jamais avoir pu apprendre l’art de la coalition parlementaire.
        Un peuple aussi primitif doit être éduqué d’abord et éloigné du césarisme qui le dévoie en partis d’acclamations comme les otaries !

      • PenArBed

        Vous écrivez : «il faut revenir à l’élection au suffrage indirect, par un collège de grands électeurs».
        Petit retour en arrière à un collège de grands électeurs de la IIIè et à la IVè république
        La IIIè République a vu plus de 100 gouvernements là où, sur la même période, l’Angleterre en a vu une vingtaine et les États-Unis quatorze. La IVè nous a donné 17 présidents du Conseil et 22 gouvernements sur 12 ans.
        La Vè république, si on s’en tient à ses fondamentaux, a une constitution solide mais il n’y a plus de  »talents » sur étagère tandis que les médiocres restent majoritaires.
        Nos politiciens qui nous avaient fait du  »responsable mais pas coupable » viennent au sujet des assistants parlementaires lors de la dernière présidentielle de nous faire du  »ce n’est pas moral mais c’est légal ».
        Faute de ne pas pouvoir changer le peuple ce dernier n’est plus sollicité par référendum. On ne peut plus rien attendre de notre classe politicienne.
        Quant aux médias dominants (Presse,TV,Radios), en permanence, l’insignifiant occulte l’essentiel.
        Nous n’avons que ce que nous méritons :
        «Une nation vaut ce que vaut son peuple»(Camus) – «Chaque génération a les élites qu’elle mérite» (Bernanos) – «le désir du privilège et le goût de l’égalité, passions dominantes et contradictoires des Français de toute époque» (De Gaulle) – «les élites sont affligeantes mais le peuple est décevant» (Emmanuel Todd – 9 avril 2017).
        Seuls des circonstances et des Hommes changeront les choses.

  4. PenArBed

    Simone Weil (Méditation sur l’obéissance et la liberté, hiver 1937-1938) : «Sans doute, en toute occasion, ceux qui ordonnent sont moins nombreux que ceux qui obéissent. Mais, précisément parce qu’ils sont peu nombreux, ils forment un ensemble. Les autres, précisément parce qu’ils sont trop nombreux, sont un plus un plus un, et ainsi de suite. Ainsi, la puissance d’une infime minorité repose malgré tout sur la force du nombre. Cette minorité l’emporte de beaucoup en nombre sur chacun de ceux qui composent le troupeau de la majorité. Il ne faut pas en conclure que l’organisation des masses renverserait le rapport, car elle est impossible. On ne peut établir de cohésion qu’entre une petite quantité d’hommes. Au-delà, il n’y a plus que juxtaposition d’individus, c’est-à-dire faiblesse.
    (…) Les puissants n’ont pas d’intérêt plus vital que d’empêcher cette cristallisation des foules soumises, ou du moins, car ils ne peuvent pas toujours l’empêcher, de la rendre le plus rare possible. Qu’une même émotion agite en même temps un grand nombre de malheureux, ce qui arrive très souvent par le cours naturel des choses ; mais d’ordinaire cette émotion, à peine éveillée, est réprimée par le sentiment d’une impuissance irrémédiable. Entretenir ce sentiment d’impuissance, c’est le premier article d’une politique habile de la part des maîtres».

  5. PenArBed

    26 septembre 2017, Macron fait un discours à la Sorbonne «Initiative pour l’Europe» :
    «Nous devons refonder le projet européen, par et avec le peuple, avec une exigence démocratique beaucoup plus forte qu’une simple question binaire. C’est pourquoi, si nous voulons avancer à nouveau, je souhaite que nous passions par des conventions démocratiques qui feront partie intégrante de la refondation européenne. Je souhaite qu’une fois que nous aurons défini des termes simples d’une feuille de route partagée par les principaux gouvernements qui seront prêts à aller dans ce sens, nous puissions, pendant six mois, l’année prochaine, dans tous les pays qui le souhaitent, organiser autour des mêmes questions un vaste débat pour identifier les priorités, les préoccupations, les idées qui nourriront notre feuille de route pour l’Europe de demain. Remettre les choses dans le bon ordre, au lieu de demander, en fin de course, perclus de fantasmes et d’incompréhension, si c’est oui ou si c’est non, sur un texte illisible, écrit dans le secret, organisons un débat ouvert, libre, transparent, européen pour construire ce projet qui donne enfin un contenu et un enjeu à nos élections européennes de 2019»
    Dans ce discours, alors que les peuples («Gilets Jaunes») ne veulent pas de cette UE supranationale fédéraliste, il nous dit aussi ceci :
    «Je défends, pour 2019, des listes transnationales qui permettront aux Européens de voter pour un projet cohérent et commun. (…) Et je souhaite qu’aux élections suivantes, le vrai pas en avant puisse être que la moitié du Parlement européen soit élue sur ces listes transnationales».
    Le 17 avril 2018, Macron s’exprime devant le Parlement européen : «Il faut entendre la colère des peuples d’Europe aujourd’hui, certains nous disent avec aplomb que les peuples ne veulent plus de l’Europe. Ce n’est pas le peuple qui a abandonné l’idée européenne c’est la trahison des clercs ».
    Le 13 décembre 2018. Voici qu’après le soulèvement des Gilets Jaunes, Macron à Bruxelles nous dit : «Aucun pays n’avance s’il n’entend pas cette part de colère légitime de son peuple»
    Les Gilets Jaunes ont-ils sifflé la fin de la récréation ? Personnellement je crois que non, le vrai pouvoir étant dans les mains du Monde des Affaires.
    Pierre Bourdieu : «Les hommes d’appareil, et tout spécialement ceux qui ne sont rien en dehors de l’appareil, sont prêts à tout donner à un appareil qui leur a tout donné ».