Le chaos… mais après ?

Oct 22, 2018 | Economie politique | 3 commentaires

 

L’avenir s’annonce chaotique. Cela se dit en termes choisis dans les institutions internationales et de manière plus précise sur les blogs spécialisés. La spéculation effrénée, les montagnes de dettes publiques et privées, les crises qui frappent l’Argentine, la Turquie et le Pakistan annoncent une catastrophe financière de très grande ampleur. Celle-ci se produira au moment où l’Union européenne se disloque pour des raisons que nous avons mille fois exposées, sans que les organes de direction, de stabilisation et de contrainte – gouvernement allemand, Commission européenne, Banque centrale européenne – puissent s’y opposer.

Cette dislocation survient alors que les gouvernements nationaux sont devenus fragiles. La fragilité de ces « gouvernances » est d’autant plus inquiétante que les classiques alternances sont perturbées ou empêchées par la décomposition des systèmes partisans : la social-démocratie européenne est moribonde et les partis qui se réclament du libéralisme économique, aujourd’hui discrédités, seront laminés par la catastrophe qui ravagera le fameux marché mondialisé. En d’autres termes, ce sont tous les blocs oligarchiques nationaux qui sont menacés de destruction.

La conjonction de ces crises fait craindre l’effondrement d’un monde de plus en plus perturbé par le changement climatique, sans que la promesse d’un avenir radieux, politique ou technique, puisse apaiser les angoisses. Il nous faut dès lors affronter des incertitudes maximales, sans se résigner au pire. Cela signifie que nous devons chercher dès à présent des points d’appui. Nous avons l’expérience des séismes financiers et des effondrements d’empire – l’empire ottoman il y a cent ans, l’Union soviétique plus près de nous – mais nous n’assisterons pas à une répétition historique de ces événements : la dislocation de l’Union européenne est un phénomène original face auquel nous ne sommes pas démunis.  L’effondrement d’un empire entraîne la création d’Etats nationaux, de même que la destruction d’une fédération – par exemple la Yougoslavie. L’Union européenne est quant à elle constituée par des Etats nationaux reliés entre eux par des traités, ce qui change tout.

Nous ne sommes pas dans un système fédéral disposant de moyens coercitifs, militaires et policiers. Il y a bien un carcan monétaire appelé « zone euro », une chape technobureaucratique nommée « Commission européenne » et un centre berlinois bénéficiant de l’allégeance d’oligarques nationaux (1) mais ce centre est maintenant paralysé, nous avons conservé nos Banques centrales, nous savons comment recréer rapidement une monnaie nationale et le fonctionnement de la Commission repose sur le bon vouloir des Etats. En d’autres termes, la superstructure européiste peut s’effondrer sans gros dégâts puisque les infrastructures étatiques continuent d’exister et peuvent se renforcer à brefs délais.

Puisque les Etats nationaux sont, en dépit du processus d’« intégration européenne »,  les seules collectivités politiques réellement existantes en Europe, il sera logique d’en revenir à des politiques nationales, définies et conduites par les Etats souverains. On entrera dans une période qui sera dénoncée par la presse oligarchique comme un « repli nationaliste » alors qu’il s’agira d’une réorganisation interne au cours de laquelle les Etats chercheront à établir un nouvel équilibre européen et à instituer de nouvelles relations internationales dans le domaine de la monnaie, du commerce et de l’écologie, en vue de la mise en œuvre d’une nouvelle politique du développement.

En France, cette phase de réorganisation impliquera un renouvellement complet des dirigeants politiques, dans des circonstances et selon des modalités qu’il n’est pas possible d’imaginer – mais sans que soit exclu le risque de violence sociale, en raison des humiliations subies. Cette révolution politique pourra se fonder sur notre bloc de constitutionnalité. La nouvelle politique économique et sociale prendra appui sur un socle administratif qui mettra en œuvre la planification, conçue pour réduire les incertitudes, les nationalisations et les mesures protectionnistes indispensables au redressement du pays.  La crise multiforme qui nous menace peut être l’occasion d’une politique salutaire.

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(1)    Après Laurent Wauquiez, Valérie Pécresse est allée chercher à Berlin des idées pour son propre programme !

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3 Commentaires

  1. Franck Boizard

    « En France, cette phase de réorganisation impliquera un renouvellement complet des dirigeants politiques ».

    Ce point me soucie. Je ne vois pas d’élites de rechanges.

    • Catoneo

      En France comme partout il existe des intelligences bien supérieures à la moyenne. Aucune de celles-ci ne choisit une carrière politique, ce serait déclasser leurs ambitions voire dégrader l’estime de soi-même.
      Les « crânes » font carrière dans les sphères privées internationales.
      Cela ne date pas d’hier. Yves Rocard avait maudit son fils pour avoir emprunté la voie des sciences molles et de l’illusion.

  2. Francois

    « La crise multiforme qui nous menace peut être l’occasion d’une politique salutaire ». Oui, et en ce qui concerne les problèmes écologiques, c’est peut-être même la seule façon de s’en sortir. Je me souviens d’un livre de Barbault et Weber (« La vie, quelle entreprise! ») qui proposait une série de réformes pour permettre une économie écologique, en particulier le basculement des régulations qui consiste, « toutes choses égales par ailleurs », à transférer les taxations du capital manufacturier et humain vers le capital naturel et les consommations de nature. Seulement il y a une condition, comme disaient les auteurs : « pour qu’une telle refondation ait un sens, encore faut-il qu’elle soit mondiale. Cela suppose donc une refonte des institutions internationale ». Nous en sommes loin, et comme les vrais décideurs pour l’instant ne sont pas nos élus qui se sont couchés devant la Bourse et la BCE, mais les économistes qui gardent les yeux rivés sur les taux de croissance et la Bourse (et leur propre portefeuille), on peut être pessimistes. Enfermés qu’ils sont dans leur logique qui finalement repose sur la confiance infantile en la « main invisible », donc sur une utopie, je crains qu’ils n’aient dépassé depuis longtemps le stade de la réflexion indépendante. De plus on leur demande d’abdiquer de leur pouvoir et de remettre l’économie à sa place de serviteur et non de maître de l’humanité. Incompréhension, inculture générale, foi dans les modèles des anciens, priorité de l’enrichissement personnel sur le bien-être de l´humanité, incapacité de réfléchir à l’importance du temps long : la liste est longue de leurs erreurs ou biais conceptuels. Reste à attendre et espérer (!) que l’économie se charge d’elle-même de remettre les pendules à l’heure, ce qui pourrait être plus rapide qu’on ne le pense, si, comme vous le dites, une crise économique majeure est imminente.