Année après année, nous avons dénoncé la violence de l’économie capitaliste et les effets destructeurs produits par les réformes qu’inspire l’idéologie néo-libérale. La classe ouvrière et la paysannerie ont subi les premières ces violences mortifères, qui se sont ensuite étendues aux classes moyennes – tandis que le territoire national subissait un processus  de dislocation qui ne cesse de s’aggraver. La pandémie, vécue pendant un an sous le signe de la pénurie, a cruellement souligné les conséquences catastrophiques de la désindustrialisation, de l’appauvrissement de la recherche et de la gestion a minima de la santé publique.

Aux multiples souffrances qui affectent la société française, s’ajoutent les réformes qui tendent à réduire le rôle de l’État et à privatiser le personnel qui est à son service. Ces réformes visent maintenant l’ENA, le corps préfectoral et les inspections générales. Nous les étudions dans leurs principales dispositions mais nous voulons aussi les placer dans une perspective plus générale : celle d’un affrontement entre le pouvoir politique, devenu oligarchique depuis le passage à l’euro et au quinquennat, et l’Etat.

Cet affrontement est inédit. Depuis deux siècles, la Constitution administrative soutient le pouvoir politique sous les différentes formes de gouvernement qu’il s’est données ; c’est cette relation entre le Pouvoir et l’État qui a permis à la nation française de surmonter les épreuves de son histoire, y compris les épreuves que traversait le Pouvoir. Or l’oligarchie mène une entreprise de déconstruction lente mais systématique qui se cache sous des termes obscurs ou sous des formules qui fleurent bon le manuel de communication : on évoque aujourd’hui la “fonctionnalisation” d’une administration rendue plus “agile” tout comme, à la fin du siècle dernier, on laissait “respirer” les services publics pour ne pas dire qu’on s’engageait dans une privatisation.

Le pari de la gouvernance oligarchique, c’est que les protestations des fonctionnaires seront encore plus faciles à contenir que les grandes démonstrations organisées par les confédérations syndicales, entre 1995 et 2020. Ce pari est fondé sur un calcul méprisant : quoi qu’il arrive et au prix de quelques mouvements de mauvaise humeur, le personnel des hôpitaux publics, les policiers, les militaires, les magistrats et l’ensemble des hauts fonctionnaires continueront d’assurer leurs missions, tout simplement parce qu’ils sont formés à l’obéissance et que la plupart sont pleinement dévoués à leurs concitoyens.

De droite ou de gauche, les gouvernances oligarchiques ont pourtant affronté des mouvements de protestation qui auraient dû les inquiéter. Fronde de magistrats en 2011, manifestations spontanées de policiers en octobre et en novembre 2016, grève et fermetures de commissariats en 2018, manifestation des syndicats de police en 2019 à la Bastille, pétition de militaires en avril dernier et nouvelle manifestation policière devant le Palais-Bourbon le 19 mai, suivie d’une protestation des syndicats de magistrats à la suite de virulentes mises en cause de la justice au cours de cette manifestation.

Tels sont les signes visibles d’une crise qui secoue ce qu’on appelle curieusement “le régalien”. Cette crise va s’aggraver à cause de l’attitude irresponsable de ceux qui sont censés détenir l’autorité. Nous avons vu le ministre de l’Intérieur participer à la manifestation des syndicats de police symboliquement réunis devant l’Assemblée nationale, certes pour rendre homme à leur collègue assassiné mais aussi pour clamer que “la justice doit rendre des comptes”. Le président de la République et le Premier ministre ont laissé faire Gérald Darmanin. Cela signifie que les médiations institutionnelles ne jouent plus leur rôle et que l’autorité liée à ces médiations a disparu.

Il y a pire : Emmanuel Macron a montré à quel point il méprisait la fonction présidentielle lorsqu’il s’est donné en spectacle aux côtés de deux amuseurs publics, McFly et Carlito. Il s’agissait, nous dit-on, de “casser les codes” pour séduire l’électorat jeune. C’est méconnaître radicalement la symbolique du pouvoir politique. Et c’est sacrifier l’autorité, telle que le Président l’incarne normalement, à une entreprise d’autopromotion fondée sur une certitude : l’élu de 2017, en campagne permanente, est tellement brillant qu’il peut attirer ou récupérer n’importe quel public, à toute heure et en tous lieux.

Emmanuel Macron devra faire preuve d’un talent hors du commun s’il veut échapper à la mécanique autodestructrice qu’il a enclenchée. L’homme qui veut déconstruire l’État et asservir les fonctionnaires doit bénéficier d’une autorité exceptionnelle, dès lors qu’il ne peut recourir à la violence. Or Emmanuel Macron sacrifie son autorité résiduelle dans des pitreries sur YouTube au moment même où éclate la colère de ceux qui tentent d’assurer, vaille que vaille, le bon fonctionnement des pouvoirs publics. Ceci dans un pays profondément éprouvé par la crise sanitaire.

Le candidat à sa propre succession craint une nouvelle révolte populaire, et le dit. Que fera-t-il si l’insurrection éclate au cœur de l’État ?

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Editorial du numéro 1213 de « Royaliste » – Juin 2021

 

 

 

 

 

 

 

 

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