Une fois encore, il faut revenir sur le XXIème congrès du Parti communiste français, tellement important qu’il a rejeté dans l’ombre la plupart des dirigeants politiques. D’où, en ce début de semaine, une « offensive » des membres du gouvernement à la radio et à la télévision : après une longue éclipse, on ne voit plus que MM. Chirac et Dominati, tandis que les caméras pourchassent un président de la République parfaitement à l’aise sur les pentes de Courchevel. Le malheur est que ces gens-là n’ont pas grand-chose à dire et que cela se voit : le Président disserte sur les jeux d’Innsbruck, le Premier Ministre dit n’importe quoi en inaugurant une exposition, et le Secrétaire général des Républicains indépendants se contente de répéter sur tous les tons que « le P.C. n’a pas changé » sans même chercher à étayer sérieusement son analyse. Quant aux socialistes, ils font grise mine. Déjà profondément divisés sur la question européenne, ils observent sans aucun plaisir l’évolution du Parti communiste et le dynamisme de sa stratégie : voici les amis de M. Mitterrand qui chipotent, qui font la fine bouche, au lieu de saluer avec enthousiasme les choix du principal tenant de l’union de la gauche. Les raisons de ces agacements sont évidentes. En fait, personne n’a intérêt au changement du Parti communiste : ni la droite giscardienne, qui sait parfaitement que sa seule chance de conserver le pouvoir est le chantage à la « subversion communiste », ni la gauche socialiste qui a prospéré tant que le P.C. se montrait sectaire et hargneux. S’il se met à sourire, s’il abandonne les formules qui faisaient peur, s’il tend une main largement ouverte, s’il dénonce la répression en URSS, il ne peut plus servir, comme l’année dernière encore, d’excellent repoussoir. Ainsi va la politique politicienne, peu soucieuse d’aller au fond des choses ou même craignant d’y aller voir. Ce n’est heureusement pas le cas de la NAF, puisque l’anticommunisme n’est pas sa raison d’être et qu’elle n’a pas de positions électorales à défendre. Elle peut donc réfléchir sereinement sur l’avenir du communisme et sur la nature du changement au sein du Parti français.

L’AVENIR DU COMMUNISME

Pour contrebalancer la bonne impression produite par la nouvelle image du P.C.F., la presse de droite (Le Point par exemple) essaie de nous effrayer avec la « nouvelle menace » soviétique en Europe et en Afrique. Comme si le pion poussé en Angola pouvait bouleverser l’échiquier mondial ! Comme si les Etats-Unis avaient d’ores et déjà abandonné l’Europe occidentale ! Comme si ces vingt dernières années n’avaient pas détruit le mythe du « rouleau compresseur » soviétique ! Il est vrai que la Russie soviétique est le centre d’un empire, qui s’est constitué grâce à la victoire de 1945 et selon les traditions de la politique tsariste — et non pas par l’effet d’une action révolutionnaire qui avait échoué partout entre les guerres.

Mais — cet empire a déjà connu deux schismes (le yougoslave et le chinois) tandis que l’internationale des partis éclatait en un « polycentrisme » de plus en plus national ; — malgré une énorme pression idéologique, politique, policière, économique et linguistique, cet empire est traversé de courants nationalistes très puissants (de l’Octobre polonais au printemps de Prague) qui emporteraient tout si le Kremlin faiblissait ; — le communisme soviétique a subi partout des échecs, dans le monde arabe, en Amérique latine (sauf Cuba) comme en Afrique. Quant aux victoires de la diplomatie soviétique, elles peuvent très facilement se transformer en déroute (en Egypte par exemple). Si l’impérialisme soviétique demeure (en raison de ses pesanteurs et non à cause de son dynamisme) rien ne permet de dire qu’il se trouve dans une phase d’expansion. Ses énormes difficultés agricoles laissent plutôt supposer le contraire. Déclin probable d’un empire. Déclin certain de son idéologie, tant il est évident que nous vivons la fin de la royauté intellectuelle du marxisme-léninisme soviétique. L’insurrection hongroise, le rapport Khrouchtchev et le printemps de Prague l’avaient sérieusement ébranlé. Soljenitsyne lui a porté un coup mortel en démontrant, comme l’écrivait Clavel, que « le Goulag est né en 1844 », qu’il est au cœur même de la pensée marxiste. La jeunesse, à travers la contestation gauchiste, a fini par s’en défier puis par s’en désintéresser. Quant au vieux thème de l’Université marxisée. il ne résiste pas à l’analyse. Nous ne sommes plus en 1950, où chaque intellectuel était du Parti ou se définissait par rapport ait Parti. Longtemps séduite par le marxisme, l’intelligentsia s’est maintenant engagée dans d’autres voies, souvent éloignées de tout dogmatisme politique : ainsi la jeune philosophie (Glucksmann, Nemo), nos grands sociologues (Morin, Ellul, Friedmann) ou encore l’école historique française (Leroy-Ladurie, Ariès). Voilà pourquoi nous soulignions dans notre dernier numéro la mort du stalinisme et de ses héritiers directs. Quant aux cousins plus ou moins éloignés (titisme, maoïsme, castrisme), ils n’ont réussi à « tenir » — mais pour combien de temps — que dans la mesure où, intellectuellement et socialement, ils se sont enracinés dans une réalité nationale.

LE CHANGEMENT DU PARTI

Il fallait rappeler ces faits pour mieux comprendre l’évolution du Parti communisme français. Car le changement qui l’affecte depuis dix ans est à l’image des transformations de la société communiste internationale. Consciemment ou non, le Parti a senti qu’il se perdrait s’il restait attaché à ce clergé moscoutaire sans foi, à cet univers concentrationnaire, à ces dogmes stratégiques désuets. Par sa pratique politique légaliste, il a donc rejoint la classe politique établie. Par l’abandon de son langage, il a effacé l’image sectaire qui était la sienne. Par son abandon récent de la « dictature du prolétariat », il a rompu avec un concept essentiel du marxisme, au risque de perdre son identité. Ce risque demeure cependant limité. D’abord parce que l’appareil bureaucratique du parti est très solide et reste attaché à la théorie marxiste (ce qui explique l’aversion des dirigeants pour Soljenitsyne). Ensuite (et surtout) parce que les abandons doctrinaux permettent de renforcer la seconde caractéristique du Parti : son caractère populaire, qui en fait le défenseur attitré des intérêts d’un grand nombre de travailleurs. Ainsi, en coupant les branches mortes du marxisme-léninisme, le Parti peut s’enraciner plus profondément dans le sol de la France. Comment ne pas s’en réjouir ? Restent cependant deux questions :

I°) Celle de la cohérence des choix du P.C. en politique étrangère : s’il refuse l’Europe américaine et s’il s’éloigne de l’Empire soviétique, comment maintiendrait-il son hostilité à la force de dissuasion ?

2°) Celle du modèle de société proposé par le Parti. C’est aujourd’hui un modèle pauvre, trop marxiste, trop centralisateur pour être à la mesure des problèmes de notre temps. Mais rien ne dit que le Parti ait achevé sa mutation…

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Editorial du numéro 220 de la NAF bimensuel royaliste – 25 février 1976

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