Tour à tour, les membres de la « bande des quatre » connaissent des difficultés internes : tout comme le RPR et le Parti socialiste, il semble que le Parti communiste soit, lui aussi, entré dans une période de crise. La démission d’Henri Fizbin du Comité central, le soutien que lui ont apporté de nombreux militants de la Fédération de Paris et les déclarations très critiques de Jean Ellenstein au Matin ont été observés avec une satisfaction évidente par les adversaires et par les anciens compagnons de route du parti de Georges Marchais.

Qu’ils ne se réjouissent pas trop vite. Le Parti communiste a connu d’autres difficultés, beaucoup plus graves, et la « crise » qui l’affecte en ce moment ne le met pas en péril. L’affaire Fizbin est simplement la conséquence des orientations nouvelles prises par le P.C. depuis la rupture de l’union de la gauche. Aujourd’hui il cherche à refaire ses forces, à affirmer son identité, à consolider ses positions dans la classe ouvrière. Il y a donc repli et net durcissement, qui montrent que le P.C. ne songe plus à prendre le pouvoir ou y participer, mais seulement à assurer son propre avenir. D’où les violentes attaques contre un Parti socialiste accusé -non sans raisons- de « virer à droite », et maintenant critiqué sur le plan municipal. D’où la défense, de plus en plus nette, de l’Union soviétique. Non seulement le bilan de l’URSS est « globalement positif » mais il fait apparaître, selon Claude Mazauric, « un formidable mouvement des travailleurs décidant collectivement ce qui est bon pour eux depuis l’Etat jusqu’à l’entreprise, la cité, la région : l’autogestion révolutionnaire ».

BONNE CONSCIENCE

Cette apologie du paradis soviétique, digne de la période stalinienne, se double d’un soutien sans réserve à la diplomatie russe : la défense de l’Iran, depuis que l’extrême gauche iranienne appuie l’Ayatollah, et celle de la politique vietnamienne au Cambodge, montre que le P.C. ne se soucie plus de voir ressurgir le thème du « parti moscoutaire ». Enfin, ce durcissement s’accompagne, comme toujours, de réflexes d’assiégés : toute critique du P.C. est la preuve du complot, toute campagne déclenchée en dehors de lui fait le jeu du pouvoir (ainsi ses réactions face à l’affaire des diamants et à la mort de Robert Boulin), toute la presse non communiste est « nocive », comme l’a récemment déclaré Roland Leroy.

Dès lors, les sarcasmes, les critiques et les insultes ne feront que renforcer le P.C. dans sa bonne conscience et lui permettront de resserrer plus rapidement les rangs.

Les contestataires de la ligne du Parti n’ont donc aucune chance de faire triompher leurs thèses : la direction du P.C. se soucie des intellectuels comme d’une guigne ; quant aux militants dissidents, l’appareil bureaucratique les étouffera ou les écartera sans trop de peine. Car l’institution communiste est très forte, et son organisation d’une redoutable efficacité. Endurcis par les crises du mouvement communiste international (procès de Moscou, pacte germano-soviétique, Budapest, Prague), obligés d’avaler d’innombrables couleuvres, habitués à justifier l’injustifiable, les cadres du Parti tiendront bon une fois de plus, même si, au fond d’eux même, ils doutent ou s’étonnent. C’est qu’ils doivent tout au Parti : leur éveil à la conscience politique, leur culture, parfois leur statut social. Comment renieraient-ils une communauté qui leur a tant donné ? Comment, en dehors d’elle, auraient-ils encore le sentiment d’exister ? Il faut être un intellectuel, ou posséder une force d’âme peu commune, pour retrouver, en dehors du Parti, des raisons de vivre et d’espérer.

L’IMPASSE

En outre, le Parti communiste se sent tout à fait à l’aise dans la situation actuelle. Le grand capital est effectivement au pouvoir, la «crise du capitalisme» se traduit très classiquement par un fort taux de chômage, les contradictions européennes justifient sa politique d’indépendance : autant de facteurs qui ne peuvent manquer de renforcer l’audience communiste et de justifier l’analyse politique du P.C. Déconcerté par le gaullisme, mal à l’aise dans la société pompidolienne, dépassé par le gauchisme, le Parti a retrouvé, avec Giscard d’Estaing, son confort intellectuel, moral et politique. Dès lors, la conquête du pouvoir passe au dernier rang de ses préoccupations. Plutôt que d’avoir à gérer la crise en s’exposant aux critiques des groupes sociaux qu’il représente, le Parti communiste préfère conserver son statut d’opposant et s’affirmer comme le seul défenseur de la classe ouvrière. Telle sera la stratégie de Georges Marchais pour les présidentielles. Et peu importe si, s’abstenant au second tour, le Parti assure la victoire de Giscard d’Estaing.

Du point de vue de la direction communiste, ce jeu est tout à fait justifiable. Mais cherchant à assurer l’avenir de leur organisation -et non la « révolution » ou « l’avancée vers le socialisme » – les dirigeants communistes mentent à leurs militants et trahissent leurs aspirations, tout autant que les représentants honnis de la social-démocratie. Tandis que la direction du Parti savoure son confort retrouvé, les militants se retrouvent dans une impasse : ils savent que leur Parti ne peut pas prendre, seul, le pouvoir, ils savent que les socialistes ne songent qu’à se débarrasser d’eux. Ils rencontrent aujourd’hui les limites de la réforme démocratique de leur parti. Ils sont donc voués à n’être que les serviteurs muets d’un groupe de revendication. C’est important, pour la société française, qu’un tel groupe de pression existe. Mais est-ce suffisant quand on se veut révolutionnaire ? Aux militants communistes d’y réfléchir.

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Editorial du numéro 306 de « Royaliste » – 27 décembre 1979

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