L’atlantisme est un piège

Mar 25, 2014 | Chemins et distances | 3 commentaires

Les manifestants de Kiev qui brandissaient des drapeaux bleus ont obtenu ce qu’ils voulaient : la signature du volet politique de l’accord d’association entre l’Union européenne et le pouvoir né de l’insurrection. Ils feraient bien de lire ce texte et de le mettre en relation avec les conditions posées par le Fonds monétaire international au début des discussions sur le prêt à l’Ukraine.

Il va presque sans dire que l’accord signé le 21 mars détruit définitivement l’illusion d’une intégration de l’Ukraine dans l’Union. En attendant la signature du volet économique qui devrait avoir lieu après l’élection présidentielle du 25 mai, les Ukrainiens noteront qu’ils sont désormais soumis aux principes de l’économie de libre marché (titre I, article 3) et qu’ils sont engagés dans une coopération impliquant des contacts militaires (titre II, article 5) avec des pays qui sont membres de l’Otan. Il s’agit donc d’un accord d’association européo-atlantique, qui réjouit les plus occidentalistes des Ukrainiens, soucieux de trouver assistance et protection contre le voisin russe. Leur joie sera de courte durée. Ils ont déjà constaté que l’Occident n’a pas empêché le rattachement de la Crimée à la Russie et ils auraient déjà dû s’apercevoir que l’économie de marché est celle du renard libre dans le poulailler libre. Pourquoi ?

Parce que le FMI exige, comme d’habitude, les « réformes » qui entraînent l’appauvrissement et le pillage des pays qui les acceptent : privatisations, annulation des subventions, augmentation des taxes, augmentation de l’âge de la retraite, augmentation des tarifs du gaz et de l’électricité,  réduction de la protection sociale et des dépenses d’éducation… Choisi par les Etats-Unis et soutenu par Bruxelles, Arseni Yatseniouk, qui fait fonction de Premier ministre, a déjà engagé un programme de restrictions budgétaires pour prouver sa pleine et entière collaboration à cette sauvagerie programmée.

L’Ukraine est dans la mâchoire du piège atlantiste. La France aussi.

A Kiev, l’accord d’association et le prêt de 15 milliards de dollars constituent l’appât. A Paris, il se présente sous la forme du Pacte transatlantique sur le commerce et l’investissement (PTCI). Avec d’autres peuples européens, nous sommes confrontés à la même idéologie libre-échangiste assortie de la même promesse d’avenir radieux par les progrès de la concurrence sur le marché dérégulé. En France et dans d’autres pays, nous constatons que le gouvernement des Etats-Unis est le maître de la manœuvre commerciale et financière comme il est, avec l’Otan, le maître de la manœuvre militaire. La solidarité avec les Ukrainiens insurgés n’est pas plus gratuite que le partenariat transatlantique : il s’agit d’assurer la domination américaine sur un territoire européen aussi étendu que possible afin qu’un bloc atlantique puisse être opposé à la Chine – par ailleurs bordée par le Partenariat transpacifique.

Il ne s’agit pas d’un complot machiavélique mais d’une logique de puissance qui s’est réaffirmée après l’effondrement de l’Union soviétique. Au mépris de la promesse faite par James Baker à Mikhaïl Gorbatchev, l’Otan s’est étendue à l’Est, puis l’influence américaine s’est renforcée dans les Balkans, la France, divine surprise, est revenue dans le commandement militaire intégré et il a paru possible de rejeter la Russie encore plus loin vers l’Est par une révolution en Ukraine en attendant de faire la même opération en Biélorussie. Le Partenariat transatlantique ferait quant à lui l’affaire des multinationales américaines dans des secteurs-clés et permettrait à l’Allemagne de réorienter son approvisionnement énergétique. Alors que la France a tout à redouter d’un accord qui mettrait en péril ses secteurs les mieux protégés, François Hollande a souhaité une conclusion rapide des négociations pour éviter « une accumulation de peurs, de menaces, de crispations ». Cela signifie que, comme le retour dans l’Otan sous Nicolas Sarkozy, le PTCI doit être adopté sans débat public, à l’insu des peuples qu’on espère berner par la promesse d’un « plus de croissance ».

Face au déni de démocratie, face au piège atlantiste, nous développerons, avec nos amis, le projet salutaire d’une confédération européenne des Etats nationaux de l’ensemble du continent. L’avenir de l’Europe ne doit plus s’écrire à Washington.

***

Editorial du numéro 1053 de « Royaliste » – 2014

 

 

Partagez

3 Commentaires

  1. bouillot

    SOLJENITSYNE regrettait la séparation de l’Ukraine et de la Russie.Malheureusement, les derniers évènements vont tracer un fossé entre russes et ukrainiens. Ce n’est jamais bon d’humilier un peuple. Je pense que la partie orientale de l’Ukraine va rejoindre la Russie; la partie occidentale va vite intégrer l’OTAN.Je ne suis pas sur que Poutine est fait le bon choix.

  2. Jacques Payen

    L’affaire d’Ukraine nous donne la juste mesure de l’extinction de la voix de notre pays.
    De sa vassalisation.
    De la soumission mentale et psychologique de la plupart de ses « élites » aux maitres de l’OTAN.

    Jusqu’où cette descente aux abimes ?

  3. OLIVIER COMTE

    L’ Union Européenne a retricoté la Russie en Union Soviétique et nos oreilles sont assaillies de bruits de sabres et de bruits de plumes.

    Pour les sabres, l’ agitation qui saisit certains pays prétend s’ exprimer par l’ OTAN mais il s’ agit de jeux guerriers présentés par des gouvernements et commercialisés par des media soucieux d’ oublier la crise économique .
    Je ne vois là aucun retour à l’ Atlantisme, pratique et discours dépassés. L’ Atlantisme est une soumission automatique à la volonté politique des Etats Unis. Où pouvons-nous trouver cette volonté? Les Etats Unis ont un discours, ou des discours, non une politique.
    Ce discours n’ est plus fondé sur les intérêts nationaux ou impériaux américains. Il répond à la volatilité, aux incohérences de la politique intérieure américaine.
    L’ instabilité politique et l’ instabilité idéologique se confondent. La politique étrangère américaine semble avoir pris, pour longtemps, le caractère d’ une politique politicienne. Le leadership atlantique n’ existe plus.
    Toute référence à l’ Atlantisme est sans fondement.
    L’ Amérique se présente plus comme une victime qu’ un leader. Le harcèlement des banques suisses serait justifié par la fraude fiscale, problème intérieur américain.
    La consommation intérieure de drogues, qui corrompt les pays étrangers, transforme les Etats Unis en victime de trafics étrangers.
    Le bras armé des Etats Unis n’ est plus l’ Otan. Les tribunaux américains ont désormais une jurisdiction globale pour défendre l’ Amérique victime des politiques intérieures des pays souverains. L’ OMC sert cette politique unilatérale qui sera servie par le PTCI.
    L’ unilatéralisme et le désordre sont la politique américaine, non l’ Atlantisme.

    Pour les plumes, ceux qui attaquent la Russie oublient la réalité d ‘un référendum dont le vote même n’ est pas contesté. Voilà pour le fameux droit international qui existe plus par ses violations que par son respect.
    Pour ceux qui se trouvent dans la position inconfortable de dénoncer l’ hystérie anri-russe, il faut se garder d’ oublier que l’ intégrité territoriale des pays est un principe fondamental.
    Ma famille maternelle de Metz était passée de la souveraineté française à la souveraineté allemande , pour retrouver la France par une victoire militaire, non grâce au droit international. Comme tous les Mosellans et les Alsaciens qui n’ avaient pas le nombre requis de grands parents allemands, elle fut expulsée par les nazis, au mépris de la convention d’ armistice qui devenait ainsi caduque, montrant clairement la trahison de Vichy.
    Une sécession tragique menace la Belgique, comme elle a frappé la Yougoslavie.
    L’ Ukraine doit nous rappeler les dangers d’ un pouvoir présidentiel. Le Parlement Ukrainien a clairement violé le droit constitutionnel mais une rupture de l’ ordre constitutionnel ne permet pas le viol de la constitution par un référendum.
    Un exemple historique est sous nos pieds. Le coup d’ Etat militaire et civil en Algérie, partiel en Corse, a permis l’ accession du général De Gaulle à la présidence du Conseil
    mais le processus constitutionnel fut tout sauf « régulier ».
    Le CCC, issu principalement des deux chambres, n’ était pas une assemblée constitutionnelle et il ne s’ agissait pas d’une
    révision disposée par le loi constitutionnelle.
    Le référendum constitutionnel n’ était pas sans menaces mais on ne peut contester aujourd’ hui la constitution du 4 octobre. Le rattachement de la Crimée à la Russie est un précédent inquiétant mais un fait établi. L’ OTAN fut une cause pathologique, elle n’est pas un remède.