L’Allemagne et nous

Fév 8, 1999 | Union européenne

 

Nous ne nous laisserons pas prendre au misérable débat qui se fixe sur la personnalité de Daniel Cohn-Bendit et que celui-ci entretient avec une habileté consommée. Nous combattons les Verts  depuis qu’ils existent et quels que soient leurs dirigeants. Il est normal que le nom de leur tête de liste aux européennes soit souvent cité, mais le fait que Daniel Cohn-Bendit vienne d’Allemagne ne nous choque pas. C’est l’idéologie libérale-libertaire, ce sont les fantasmes naturalistes que nous refusons. Mais nous redoutons tout autant les pulsions antiallemandes, et nous serons intransigeants à l’égard des nationalistes de droite et de gauche qui cultivent ces mauvaises passions.

Il est facile d’être antiallemand. Il est facile d’évoquer les souvenirs terribles et d’utiliser les sales mots d’autrefois. Facile, mais répugnant. Notre mémoire toujours à vif exploitée, manipulée, trafiquée par des agitateurs xénophobes qui veulent prouver, pour les besoins d’une campagne dérisoire, qu’ils sont plus Français que quiconque – puisqu’ils reprennent le combat contre le Reich allemand !

Nous étions persuadés qu’en France, où l’on pense de multiples manières selon l’universel, il n’était pas nécessaire de haïr son voisin pour se donner le sentiment d’exister. Mais puisque des tragédiens de foire pointent du doigt les démons germaniques, il faut bien rappeler quelques vérités élémentaires sur l’Allemagne.

A commencer par notre méconnaissance de ce très proche pays. Elle a valu à la France de mauvaises surprises après la chute du Mur de Berlin, parce que certaines bévues se teintaient de mépris. Elle est à l’origine de l’actuel malaise franco-allemand, parce que le silence timoré de nos dirigeants accroît, de part et d’autre, l’incompréhension et le ressenti ment. Ceux-ci masquent leurs complexes par d’amicales surenchères, sans voir les complexes allemands à notre égard. Ces relations ambiguës alimentent le nationalisme : faute de regarder l’Allemagne d’aujourd’hui, on feuillette les livres d’histoire et on fabrique des faux-semblants.

On ferait mieux de réviser ses leçons de morale républicaine et ses cours de philosophie : Kant et Hegel, auxquels se frottent les générations successives de lycéens, font partie intégrante de notre identité nationale – comme tant d’autres penseurs et poètes de culture germanique. Cela va sans dire ? Tant mieux. Il serait par ailleurs nécessaire de s’interroger sur la crise allemande. Celle d’une économie frappée comme la nôtre par l’ultralibéralisme. Celle qui affecte une organisation sociale beaucoup plus complexe que l’image consensuelle que nous en avons. Celle, surtout, qui va toucher l’identité de l’Allemagne : si le gouvernement rompt avec la conception raciale de la nationalité, si le deutschemark est remplacé dans trois ans par l’euro, l’imaginaire allemand et la symbolique allemande en seront profondément affectés. Ceci dans un peuple où ceux de l’Est et ceux de l’Ouest continuent d’être séparés par d’invisibles barrières. C’est dire que la crise identitaire allemande, qui couve en ce moment, sera beaucoup plus profonde que celle qui affecte notre pays.

Dès lors, comment peut-on parler d’un danger allemand ? Il n’est certainement pas militaire, puisque nous sommes protégés par notre force de dissuasion nucléaire. Il n’est pas géopolitique, puisque l’Allemagne s’inscrit désormais dans des limites reconnues par traité. Le seul risque, qu’Yves La Marck a été le premier à souligner, tient à une contamination de l’impuissance politique que la social-démocratie allemande et les Verts présentent, chacun à sa manière, comme le modèle de la modernité.

Ne nous trompons pas d’adversaire. C’est l’idéologie ultralibérale qui doit être combattue et défaite, à Francfort et à Paris, avec le concours du peuple allemand s’il renoue avec ses fortes traditions socialistes-réformistes et révolutionnaires. C’est la raison politique qui doit être réaffirmée, de part et d’autre de la frontière, contre le culte de la nature dont l’Allemagne a terriblement souffert. Et c’est par l’accord entre les États, sur un projet clairement défini, que l’Europe des nations pourra s’organiser.

L’heure est à une discussion profonde, sans complaisance, entre Français et Allemands. Ne nous laissons pas distraire par la querelle des nationalistes qui caricaturent leur nation et des cosmopolites qui nient l’universel.

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Editorial du numéro 722 de “Royaliste » – 8 février 1999

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