L’affaire Nicolas Hulot et le droit à l’oubli – par René Fiévet

Nov 30, 2021 | Billet invité | 1 commentaire

 

 

J’ai regardé, comme beaucoup d’entre vous sans doute, le reportage d’Elise Lucet sur Nicolas Hulot, et écouté attentivement les commentaires qui ont suivi dans les médias. Il y a une chose que je remarque : on nous dit, au début du reportage, qu’il s’agit d’une enquête approfondie, qui a duré quatre ans. Or les seuls faits qui sont mis à jour sont prescrits, parfois depuis longtemps, qu’il s’agisse de viol ou d’agression sexuelle. Cela veut-il dire qu’après quatre années d’enquête approfondie, les journalistes n’ont rien trouvé contre Nicolas Hulot qui ne soit pas couvert par le délai de prescription (30 ans pour un viol, 10 ans pour une agression sexuelle) ? On peut raisonnablement le penser.

J’avoue n’avoir jamais beaucoup réfléchi à ces questions, mais j’avais toujours compris, ou cru comprendre, que la prescription (de même que le droit de grâce et l’amnistie) s’accompagnait d’un droit à l’oubli. Ce droit à l’oubli est une marque de civilisation ; il « fait société » : celle-ci décide, à partir d’un certain délai, de tirer un trait sur les fautes commises. L’oubli permet d’apaiser la société, et d’empêcher le cycle infini de la violence et de la vengeance. Je fais mienne cette phrase que j’ai lue chez un juriste : « une société sans oubli est une société tyrannique ». On peut même aller jusqu’à dire qu’il n’y a pas d’état de droit possible dans une société s’il n’y a pas, à partir d’un certain délai, oubli des fautes commises. Je pense que la prescription et le droit à l’oubli existent de tout temps et dans toutes les sociétés civilisées. Il me paraît logique que l’imprescriptibilité n’existe que pour les crimes contre l’humanité : l’humanité est au-dessus de la société.

Les journalistes viennent nous dire que la prescription ne s’applique pas à eux, et que rien ne leur interdisait de mener cette enquête. Ils ont assurément raison. Mais justement, même si cela ne leur était pas interdit, ils devaient néanmoins s’interdire de le faire, ne serait-ce que pour respecter le droit à l’oubli de ses fautes dont doit pouvoir bénéficier Nicolas Hulot, comme n’importe quelle autre personne. Car il ne faut pas se méprendre sur le sens de ce que j’écris : il ne s’agit pas de dire que les faits révélés sont inexacts et mensongers, il s’agit de dire qu’ils sont couverts par le voile de l’oubli une fois que la prescription est effective. Et que la parole des femmes, aussi vraie et émouvante soit-elle, ne peut plus et ne doit plus être entendue.

Le résultat de cette affaire, c’est que, suite à ce reportage, nous avons assisté à un spectacle médiatique encore plus pénible que les quatre témoignages contenus dans l’enquête. C’est la meute contre Nicolas Hulot, et le lynchage pur et simple. Les journalistes, qui sont de grands hypocrites, viennent nous dire qu’en dépit des faits qu’ils révèlent, il faut respecter la présomption d’innocence à l’égard de Nicolas Hulot, et qu’ils n’ont fait que leur devoir d’information. Mais comment parler de présomption d’innocence puisque l’homme est déjà condamné par l’opinion, et qu’il ne peut pas se défendre par voie de justice ?  Et comment peuvent-ils dire qu’ils contribuent à la vérité, alors qu’ils savent bien qu’il n’y aura jamais de procès, et donc de procédure contradictoire ? Tout cela, ils le savaient à l’avance, avant de publier leur reportage.

Ce qui se passe sous nos yeux est tellement révoltant qu’il faut bien y trouver une raison profonde, voire souterraine, dont les racines plongent au plus profond de notre inconscient collectif. Mon explication est la suivante : il me semble que notre société est malade des violences (sexuelles et autres) faites aux femmes. On en parle beaucoup depuis quelque temps ; et la vérité qui se fait jour est d’une ampleur qu’elle ne soupçonnait probablement pas. Ce n’est plus de l’ordre du fait divers, c’est un phénomène social. Dès lors, il faut que la société exorcise le mal qu’elle découvre en elle. Et pour cela, il faut qu’elle trouve des boucs émissaires dont le sort terrible et exemplaire vient atténuer, voire évacuer pour un temps, le remords profond qui l’habite.

Le sort qui est fait à Nicolas Hulot aujourd’hui, c’est celui qui fut réservé aux femmes tondues à la Libération en 1944.

René Fiévet

 

 

Partagez

1 Commentaire